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« Stand up for science » : la riposte scientifique face aux restrictions de Donald Trump


Le 7 mars, sur l’impulsion de cinq chercheurs états-uniens, la journée « Stand up for science » a mobilisé de nombreux chercheurs et institutions en France. Que dénoncent-ils ? Quelles sont les réactions et prises de position suite à cette manifestation ? Campus Matin vous résume les enjeux.

Plusieurs organisations et figures françaises se sont mobilisées le 7 mars. - © Flickr/Peg Hunter
Plusieurs organisations et figures françaises se sont mobilisées le 7 mars. - © Flickr/Peg Hunter

Suspension des programmes d’aide au développement de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAid), licenciements d’employés de l’agence d’observation océanique et atmosphérique (Noaa), arrêt des financements par la National science foundation pour tout projet de recherche comprenant les mots « femmes » ou « inégalité »…

Depuis son retour à la Maison Blanche le 20 janvier, Donald Trump a multiplié les mesures qui attaquent la liberté des scientifiques et des institutions de recherche.

Afin de « protéger la science », cinq jeunes chercheurs états-uniens ont appelé à la mobilisation. Si le mouvement a été peu suivi outre-Atlantique, il a largement fédéré en France : aussi bien les individus qu’institutions et associations représentatives des acteurs de l’ESR.

Des mesures contre la liberté académique qui se multiplient depuis janvier

En France, la tribune parue dans Le Monde le 5 mars 2025, signée par des personnalités comme Esther Duflo, Anne L’Huillier et Thomas Piketty, a sonné l’alarme face à une « offensive obscurantiste » aux États-Unis…

La politique de Donald Trump a pour conséquence de « réduire les financements de pans entiers de la recherche », de « restreindre la libre utilisation de données cruciales à la communauté scientifique » et de « menacer de mettre fin à de grands programmes internationaux », estime le ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, Philippe Baptiste, dans un courrier du 7 mars.

Les conséquences de ces politiques sont déjà tangibles. Lors d’une conférence au Collège de France avec cinq autres chercheurs signataires de la tribune du Monde, Dominique Costagliola, épidémiologiste à l’Inserm, décrit une situation préoccupante au National institutes of health où « 1 200 des 20 000 employés ont déjà été renvoyés » et où ceux qui restent ont « l’interdiction de parler aux journalistes, d’assister à des congrès scientifiques ou de publier des travaux sur les inégalités ».

Valérie Masson-Delmotte était coprésidente du groupe n° 1 du GIEC de 2015 à 2023. - © D.R.
Valérie Masson-Delmotte était coprésidente du groupe n° 1 du GIEC de 2015 à 2023. - © D.R.

Des domaines aussi variés que la santé publique, les sciences sociales, l’environnement, l’intelligence artificielle et le spatial sont concernés, mais le climat et l’environnement sont particulièrement visés. Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche au Commissariat à l’énergie atomique, dénonce lors de la même conférence la « censure sur les thématiques liées aux inégalités, la santé, la protection des milieux naturels, le changement climatique, la justice environnementale ». Des informations liées au changement climatique ont même été « éliminées de sites internet publics ».

Des mots comme « femmes », « inclusion », « traumatisme », « égalité », « exclusion », « inégalité », « statut », « genre », « institutionnel », « LGBT », et même « historiquement » sont par ailleurs proscrits des projets de recherche financés par la National science foundation (NSF).

Dans une tribune pour Libération du 10 février, Romain Huret, président de l’École des hautes études en sciences sociales, a rapporté que « sur un échantillon de 10 000 projets financés par la NSF, 1 200 contiendraient un ou plusieurs des mots désormais interdits ».

Des répercussions sur le monde de la recherche à l’international

L’aide internationale à la recherche est également impactée, notamment avec la possible fermeture de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAid). Delphine Manceau, directrice de Neoma Business School, alertait lors de Think Éducation & Recherche, le 6 février, sur l’impact de cette décision : « L’arrêt de l’USAid signifie la suspension des projets de recherche, l’abandon des projets par les doctorants, la fin des coopérations entre chercheurs, la fermeture des incubateurs. »

Cela entraîne également l’interruption du service d’alerte précoce pour les sécheresses en Afrique et la mise à disposition d’informations sur la qualité de l’air dans les ambassades et consulats américains, qui jouent un rôle dans la prise en compte de la pollution atmosphérique en Chine et d’autres pays qui n’ont pas ces réseaux de mesure.

Pepfar, le programme assurant la prise en charge d’environ 20 millions de patients atteints du VIH dans le monde, a également été suspendu.

La France en première ligne de la mobilisation

De nombreuses organisations ont apporté leur soutien à Stand up for science. Les associations des présidents d’université, France Universités, et de treize universités françaises, Udice, ont appelé à une « large participation » à la journée de mobilisation du 7 mars. Plusieurs syndicats de l’ESR, à l’instar du SNCS-FSU, du Sgen-CFDT et du SNRTS-CGT, ont également appelé à rejoindre ce mouvement.

Carine Bernault, présidente de Nantes Université, a publié une tribune soulignant que « la science n’est pas une idéologie au service d’un pouvoir » et que les attaques aux États-Unis s’apparentent à une « guerre menée contre la science ». L’Académie des sciences a exprimé sa « solidarité avec le monde scientifique des États-Unis » et sa préoccupation face aux baisses de crédits et à la censure. Le collectif Scientifiques en rébellion a également manifesté sa solidarité.

Philippe Baptiste est ministre chargé de l’ESR. - © Christophe PEUS
Philippe Baptiste est ministre chargé de l’ESR. - © Christophe PEUS

Des actions de soutien ont été organisées dans une vingtaine de villes françaises. À Paris, des conférences publiques et tables rondes ont eu lieu à Jussieu, suivies d’une marche dans le Quartier latin. Des rassemblements ont également eu lieu dans d’autres villes comme Nantes, La Roche-sur-Yon, Saint-Nazaire et Toulouse.

Philippe Baptiste a exprimé sa profonde préoccupation face à des « positions sur des sujets contraires au consensus scientifique, des positions sur la fermeture de données ».

Enfin, plusieurs voix se sont élevées pour souligner des similitudes avec des problématiques en France et appeler à une vigilance accrue quant à la place de la science dans la société.

À l’international, des rassemblements plus timides

Selon Reuters, il y a eu 30 événements aux États-Unis et plus de 150 dans le monde, qui ont cependant moins fédéré qu’en France. La manifestation à Washington D.C. n’a rassemblé que « quelques milliers de personnes », selon l’Associated press.

Pourquoi une si faible mobilisation aux États-Unis ? Selon Valérie Masson-Delmotte, « nos collègues américains et les institutions scientifiques font face à un traitement brutal, de l’intimidation, des coupes budgétaires, des licenciements et la menace, par exemple pour les dirigeants d’organismes, d’être jetés en pâture à l’opinion publique sur les réseaux sociaux. Cela conduit à paralyser, à faire profil bas, à de l’autocensure. » Elle souligne que l’initiative Stand up for science ne vient pas des institutions mais des « jeunes scientifiques américains qui ont tout à perdre ».

Les chercheurs seniors, eux, n’osent pas s’exprimer sur le sujet. « Certains ont accepté de témoigner, mais à condition que les universités où ils travaillent ne soient pas citées, par peur des représailles », indique Claire Matthieu, professeure au département en informatique de l’ENS, lors de la conférence au Collège de France.

Accueillir les chercheurs dont la liberté académique est menacée

Philippe Baptiste a sollicité les présidents d’université et d’organismes nationaux de recherche pour recueillir leurs « réflexions, alertes, analyses et propositions concrètes en la matière » afin d’accueillir les chercheurs américains qui souhaiteraient quitter les États-Unis.

Aix-Marseille Université a, de son côté, annoncé le 5 mars la création d’un programme d’accueil, « Safe place for science », de 15 M€ qui accueillera une quinzaine de chercheurs « se sentant menacés ou entravés dans leurs recherches » et « souhaitant poursuivre leurs travaux dans un environnement propice à l’innovation, à l’excellence et à la liberté académique ».

En Allemagne, la société Max Planck, organisation non gouvernementale regroupant des instituts de recherche allemands, a passé le même message et signale déjà une augmentation significative des candidatures en provenance des États-Unis.