COP28 : des enseignants-chercheurs racontent leur expérience au quotidien
Par La Rédaction | Le ( mis à jour le ) | Rse - développement durable
La COP28 s’est déroulée à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre. Cinq enseignants-chercheurs et personnels de l’Université Côte d’Azur ont décidé de s’y rendre. Même si l’événement est controversé, l’enjeu est trop important pour que l’enseignement supérieur reste sur la touche, estiment-ils. Pour Campus Matin, ils ont documenté leur expérience dans un journal de bord quotidien. Voici leur cheminement.
La 28e Conférence des parties (COP28) de l’ONU sur le changement climatique a ouvert ses portes à Dubaï, aux Émirats arabes unis, le 30 novembre. Cette année et pour la troisième fois consécutive, l’Université Côte d’Azur (Unica) est présente.
La délégation se compose de Sylvain Antoniotti, directeur de recherche au CNRS et vice-président en charge du programme Initiative d’excellence (Idex), Saranne Comel, directrice opérationnelle du programme international et Europe de l’Idex, Erwin Franquet, professeur des universités, Jean-Christophe Martin, directeur de l’Institut de la paix et du développement, Cécile Sabourault, vice-présidente développement international.
Une équipe qui permet à la fois une représentation institutionnelle, mais également thématique avec des expertises en chimie durable, transition énergétique, droit international, écologie marine…
Depuis le 2 décembre, ils participent aux échanges dans les pavillons et panels, et entendent rencontrer décideurs, négociateurs ou observateurs (organisations internationales, société civile organisée, acteurs académiques, acteurs économiques…). Pour Campus Matin, ils racontent ce déplacement.
Jour 7 à 13 : Retour sur deux semaines de négociations
Mercredi 13 décembre. Si la COP climat est devenue un évènement multidimensionnel, sa raison d’être reste l’adoption de décisions dans le cadre de trois traités reliés : la CCNUCC de 1992, le protocole de Kyoto de 1997 et l’accord de Paris de 2015 qui s’y rapportent.
Les négociations qui président à leur adoption, par consensus, constituent ainsi le cœur de la COP. Et la 28e édition s’est révélée particulièrement intéressante en la matière.
L’ambition affichée par la présidence était élevée : faire de la COP28 la plus significative, au moins depuis celle de Paris en 2015.
- Le premier succès a été remporté dès le jour d’ouverture de la COP28, avec l’adoption immédiate de la décision sur le fonctionnement du fonds sur les pertes et préjudices.
- Il s’agissait ici d’entériner un accord trouvé dans le cadre du comité préparatoire constitué suite à la COP27.
Pouvoir de blocage
Mais les deux semaines de négociations sur les autres enjeux ont été intenses, pour parvenir à des accords sur des sujets où règnent les divergences d’intérêts et, partant, les dissensions. Les décisions doivent, en effet, pour être adoptées (par consensus, du fait de l’impossibilité de parvenir à un accord sur une procédure de décision à la majorité, lors de la COP 1), ne faire l’objet d’aucune objection.
Des scènes presque caricaturales de négociations
Chaque partie aux traités a ainsi un pouvoir de blocage, et ce mécanisme conduit à des décisions souvent faibles, reposant sur un dénominateur commun minimal.
On assiste ainsi à des scènes presque caricaturales de négociations ardues sur certaines formulations, pour des positions de principe qui semblent bien dérisoires au regard des enjeux pour la planète et l’humanité.
Premier bilan mondial
Parmi les textes qui ont posé le plus de difficultés cette année, celui sur le premier « bilan mondial » (« global stocktake ») a suscité une attention particulière. Il a fait l’objet des plus difficiles tractations, y compris de nuit, et nécessité le prolongement des travaux jusqu’au mercredi 13 décembre.
Alors que les États étaient tous d’accord sur l’impossibilité de se séparer sans avoir adopté cette décision - l’accord de Paris prévoit l’adoption du premier global stocktake au cours de la COP de 2023 -, une opposition nette s’est dessinée.
Alors que les États exportateurs de pétrole du Golfe refusaient la mention de l’objectif de sortie (phasing-out) des énergies fossiles, qui était réclamée par l’Union européenne et de nombreux autres États, en particulier les plus vulnérables aux changements climatiques, une formule de compromis a été trouvée.
Habileté de la présidence
La présidence de la COP n’a pas ménagé ses efforts et fait montre d’habileté. Le texte final prévoit, en effet, non pas la sortie, mais une transition hors des énergies fossiles :
« Transitioning away from fossil fuels in energy systems, in a just, orderly and equitable manner, accelerating action in this critical decade, so as to achieve net zero by 2050 in keeping with the science ».
On note que le caractère critique de cette décennie est souligné, ainsi que l’objectif « net zero » pour 2050.
Cet engagement inédit constitue ainsi une nette avancée (qui n’est pas la seule, mais la plus significative) et qui revêt une portée symbolique intéressante, puisqu’obtenue dans un pays dont l’économie repose largement sur l’exploitation du pétrole.
On retiendra aussi de cette phrase à l’équilibre subtil la mention explicite du rôle de la science dans la réponse qui doit être apportée face aux défis majeurs en réponse au changement climatique global.
Jour 6 : « Des thèmes qui structurent les discussions et les négociations »
Jeudi 7 décembre. La présidence, les champions de haut niveau, le partenariat de Marrakech et le secrétariat de la convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques ont travaillé conjointement à la définition du programme thématique de la COP28.
À cette fin, la définition des thèmes a fait l’objet d’une consultation publique de six semaines en mai 2023, permettant de recueillir plus de 600 retours de la part des observateurs.
Loin d’être anecdotique, le choix des thèmes quotidiens traduit donc la vision de la présidence telle qu’explicitée dans la lettre du président aux parties et qui repose cette année sur quatre engagements :
- Accélérer la transition énergétique et réduire les émissions avant 2030 ;
- Transformer le financement climatique ;
- Positionner la nature, l’humain, le vivant et les ressources au cœur de l’action climatique ;
- Se mobiliser pour plus d’inclusivité au sein de la COP.
Les thèmes retenus doivent également s’inscrire en soutien du plan d’action pour le climat, de l’agenda de rupture et de l’agenda d’adaptation de Sharm-El-Sheikh, dans l’objectif d’impulser les transformations systémiques nécessaires à la mise en œuvre de l’accord de Paris (2015).
Les thèmes retenus sont les suivants :
- La santé / secours, le rétablissement et la paix (3 décembre) ;
- Finance / commerce / égalité des genres / responsabilité (4 décembre) ;
- Énergie et industrie / transition juste / peuples autochtones (5 décembre) ;
- Actions multi-niveaux, urbanisation et environnement construit / transport (6 décembre) ;
- Jeunesse, enfant, éducation et compétences (8 décembre) ;
- Nature, utilisation des sols, les océans (9 décembre) ;
- Alimentation, agriculture et eau (10 décembre).
Quatre thèmes transversaux ont également été adoptés : technologie et innovation, inclusion, communautés et finance. Concrètement, ces thèmes structurent les discussions et les négociations, et influencent la programmation quotidienne des pavillons qui organisent, en conséquence, des événements en lien avec le thème de la journée.
Pour la première fois, une journée a été dédiée à l’éducation.
Sans détailler chaque thème, il est intéressant de constater, pour la première fois, qu’une journée a été dédiée à la santé et une autre à l’éducation, ce qui traduit une prise de conscience des liens entre ces enjeux et le changement climatique.
Dans ce contexte, c’est avec beaucoup d’espoir que nous prenons la mesure du rôle des universités comme actrices du multilatéralisme et pourvoyeuses de solutions.
Jour 5 : « Un réel mouvement de la jeunesse »
Mercredi 6 décembre. Les changements climatiques vont impacter bien plus fortement les générations futures qui auront des défis à relever singulièrement plus complexes. Les dernières avancées scientifiques sur la compréhension des mécanismes mis en jeu, ainsi que des diverses cascades associées, montrent que, en cas d’inaction, les prévisions pessimistes se réaliseront le plus probablement.
Face à cet état de fait, il est intéressant de constater la proportion importante, parmi les participants accrédités à la COP28, de jeunes qui se mobilisent à différents niveaux.
Comme ce fut souligné hier dans un panel dédié animé par Erwin Franquet, le rôle de la jeunesse s’incarne au travers de différentes actions. Ainsi, on trouve des pavillons pilotés par des associations de jeunesse ou des pavillons qui associent des jeunes, aussi bien en zone verte qu’en zone bleue.
À noter d’ailleurs que cette année, un bâtiment spécifique a été dédié aux actions « Youth, women and gender ». S’y expriment les voix, avis et propositions de la jeunesse, qui cherchent, notamment, à inclure dans les raisonnements et décisions la dimension du genre et des peuples autochtones.
La jeunesse porte une attention particulière au développement d’une approche holistique.
Il est en effet encourageant de voir que la jeunesse se saisit avec engouement de ces multiples aspects de la crise climatique et porte une attention particulière au développement d’une approche holistique, non centrée exclusivement sur des solutions techniques (choix des technologies, financement ou gouvernance énergétique mondiale). On peut aussi être témoins de l’organisation de nombreux événements (marches, manifestations, concerts, protestations…).
Plus proche des enceintes décisionnelles, il faut aussi souligner la part importante de jeunes parmi les négociateurs de nombreux pays ; on a mentionné précédemment le cas d’un Alumni membre de la délégation de la principauté de Monaco.
Enfin, il faut noter l’existence d’une alliance pour la jeunesse, Youngo, qui est habilitée avec huit autres coalitions à faire entendre sa voix au sein de la COP. Avec les autres ONG, Youngo a participé à la séance officielle d’échanges du président de la COP28 avec les observateurs, lors de laquelle elle a pu transmettre ses remarques et recommandations.
En résumé, on note donc l’existence d’un réel mouvement de la jeunesse, impliquée à différents niveaux et sous des formes variées, ainsi qu’une réelle appétence pour les questions climatiques et une détermination à faire bouger les lignes.
Jour 4 : « De très nombreux enjeux reliés entre eux »
Mardi 5 décembre. Le défi climatique intègre de très nombreux enjeux reliés entre eux, et la COP climat le reflète de plus en plus chaque année. L’ensemble des thèmes couverts par les 17 objectifs de développement durable (ODD) sont ainsi abordés dans le cadre des tables rondes organisées au sein des nombreux pavillons de la zone bleue.
Les enjeux de santé globale (et liens entre changement climatique et santé), la transition juste et équitable, la paix, la prise en compte des intérêts et aspirations des peuples autochtones, l’égalité des genres, les enjeux d’éducation, la finance « verte », l’alimentation durable et la biodiversité sont au cœur des échanges, sur les pavillons, mais aussi dans les salles de négociation.
Les conséquences du changement climatique en Amérique latine et en Afrique pèsent sur les jeunes femmes.
À titre d’exemple, à la demande de notre communauté qui peut quotidiennement choisir un événement dont nous rendons compte, nous avons assisté à une table ronde sur le thème de la justice climatique en lien avec les égalités de genre, la santé et droits en matière de sexualité et de procréation.
Dans ce cadre, des expertes ont présenté les conséquences du changement climatique en Amérique latine et en Afrique, qui pèsent presque exclusivement sur des jeunes femmes (inégalités de genre), qui subissent de nombreuses violences. Mais le thème qui, pour l’heure, a le mieux su trouver sa place à la COP climat est celui de la biodiversité, au travers des liens de mieux en mieux connus entre changements climatiques et perte de biodiversité.
En plus de se réunir tous les deux ans lors des COP Biodiversité (la dernière en date était la COP15, tenue à Montréal en 2022), la communauté des chercheurs de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) se retrouve aussi lors des COP climat, avec la communauté des chercheurs du Giec, afin d’adopter une approche holistique et intégrative de ces deux combats.
Cette année, les sujets de l’alimentation durable et de la protection des océans connaissent également une forte montée en puissance et apparaissent dans plusieurs projets de décision en cours de négociation.
Et pour la deuxième année seulement (en 28 COP !), un pavillon océan est dédié aux enjeux liés à la conservation et à la restauration des écosystèmes marins. Tous les regards sont déjà tournés vers Nice, où aura lieu la prochaine Conférence des Nations Unies sur les océans (en juin 2025), évènement mondial organisé par le Costa Rica et la France.
Jour 3 : « Un lieu de convergence et un événement hors-normes »
La délégation d’Université Côte d’Azur est unanime : la COP climat est un lieu d’échanges et de rencontres unique. Aucune autre conférence des parties à un traité international ne connaît une telle mobilisation et, partant, une participation aussi large et riche. Depuis notre arrivée à la COP28, voilà deux jours, nous avons pu en prendre la mesure, en interagissant déjà avec des participants d’horizons variés.
Ainsi, lundi 4 décembre, un bref échange avec le ministre de l’innovation, des sciences et de l’industrie du Canada, François-Philippe Champagne, a été improvisé à la faveur d’une pause déjeuner avec notre collègue vice-recteur de l’Université Laval.
Le matin même, Jean-Christophe Martin participait à un panel sur le pavillon « Science for climate action », organisé par Université Côte d’Azur et la Fondation Cortes Solari, réunissant la cheffe de la délégation du Panama, un vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec-IPCC) et le secrétaire adjoint de la convention sur la diversité biologique.
L’après-midi, Sylvain Antoniotti animait un panel, sur le même pavillon, dans lequel intervenait notamment une représentante du programme des Nations-Unies pour l’environnement, le président de l’Organisation latino-américaine pour l’énergie (Olade), ainsi qu’un autre vice-président du Giec-IPCC.
Chaque moment passé dans un pavillon de la zone bleue (réservée aux personnes accréditées), dans l’enceinte dédiée aux négociations ou même dans les allées très fréquentées du site, offre des opportunités de côtoyer négociateurs et membres des délégations des états parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, ainsi que des agents des institutions internationales présentes.
Croiser Hilary Clinton, John Kerry, Kamala Harris.
Quel plaisir, ainsi, de retrouver un ancien étudiant d’Université Côte d’Azur — diplômé de master deux années plus tôt — représentant la principauté de Monaco dans les négociations sur le premier bilan mondial (plus connu sous global stocktake, en anglais).
Et c’est en croisant Hilary Clinton, John Kerry, ou encore la vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris, et le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, que l’on prend conscience de l’importance de l’évènement dans l’agenda mondial.
La COP climat est aussi un lieu de convergence permettant de retrouver, dans une même semaine, des partenaires académiques de premier plan — universités, réseaux et réseaux de réseaux — ou encore d’échanger avec le président-directeur général de l’Ifremer, organisme chargé avec le CNRS de coordonner la dimension scientifique de la Conférence des Nations Unies sur les océans de juin 2025 à Nice, dont il est question dans beaucoup de panels.
Évènement hors-norme, la COP climat est une enceinte incontournable de la gouvernance mondiale du climat, bien sûr, mais aussi d’autres enjeux globaux reliés, tels que les déchets, les ressources, la biodiversité, les océans ou encore l’atmosphère
Jour 1 et 2 : « Des enjeux globaux si cruciaux pour les générations futures »
Samedi 2 décembre. Dès l’arrivée sur le site exceptionnel de l’exposition universelle de 2020, nous avons été frappés par la grande pluralité des parties prenantes et le sentiment de participer à un évènement planétaire où la population mondiale est représentée dans sa diversité, ce que semblent confirmer les chiffres annoncés : 97 000 participants venant de 198 pays.
Université Côte d’Azur, dans la phase de préparation de cet évènement, s’est interrogée sur l’opportunité de participer à une COP organisée dans un pays dont l’économie repose sur l’exploitation de ressources fossiles et qui se classe parmi les pays qui émettent le plus de gaz à effet de serre par habitant.
Notre action de diplomatie scientifique vise cependant à nourrir les débats, amener la connaissance générée par nos activités de recherche et celles de nos communautés et partenaires, présenter les formations offertes à nos étudiants, citoyens et futurs décideurs, et proposer des solutions techniques au travers de nos actions en innovation.
Les universités doivent être présentes dans les enceintes multilatérales de décision.
Nous sommes convaincus que les universités doivent être présentes dans les enceintes multilatérales de décision sur des enjeux globaux si cruciaux pour les générations futures, lesquelles ne peuvent se fonder sur l’exclusion.
Ce faisant, Université Côte d’Azur s’inscrit résolument dans une approche de soutien au multilatéralisme, reposant sur la confrontation des points de vue, tenant compte des besoins et des aspirations, assise sur une base scientifique et factuelle ; et notre participation active au pavillon « Science for climate action », avec nos partenaires (le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [Giec-IPCC], l’Organisation météorologique mondiale, la fondation philanthropique Cortés Solari) en sont la matérialisation.
Ils sont également présents
Plusieurs organismes de recherche français participent à la COP28, dont le CNRS qui a constitué une délégation officielle, menée par son président-directeur général, Antoine Petit, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).
Par ailleurs, le collectif Scientifiques en rébellion organise une COP alternative « réellement écologique » à Bordeaux du 30 novembre au 3 décembre.