Mesurer les déplacements domicile-campus pour promouvoir des alternatives
Par Isabelle Cormaty | Le | Rse - développement durable
En lien avec la politique de réduction de leur empreinte carbone, les établissements du supérieur mènent des enquêtes sur les habitudes de déplacements des personnels et étudiants. Une mission de plusieurs mois qui leur permet ensuite de construire un plan de mobilité avec la communauté universitaire et les collectivités. Puis qui alimente leur travail sur les schémas directeurs de développement durable.
Savez-vous quel est le poste le plus émetteur en gaz à effet de serre (GES) de votre établissement ? L’Université de Caen Normandie a fait le calcul à la fin de l’année 2023. Résultat : 58 % de son bilan carbone provient des déplacements (domicile-campus et professionnels) de ses 35 000 étudiants et personnels. À l’Université de Lille, les déplacements domicile-travail représentent eux 47 % des émissions GES de l’établissement.
Levier majeur pour réduire l’impact carbone, la mobilité fait régulièrement l’objet d’enquêtes auprès des communautés de l’ESR. Trois universités racontent à Campus Matin les objectifs de ces études et les solutions qu’elles proposent à leurs personnels et étudiants pour encourager des mobilités plus douces.
Une enquête pour établir un diagnostic
Pour les établissements de l’ESR, ces enquêtes sur la mobilité permettent de réaliser un état des lieux des habitudes de déplacements sur les campus. Une étape préalable à la rédaction d’un plan de mobilité, obligatoire depuis 2018 pour les entreprises qui accueillent plus de 100 salariés sur un site.
L’Université de Lille, qui a publié son enquête mobilité le 9 novembre 2023, a choisi d’adresser un questionnaire différent à ses étudiants et personnels pour inclure des questions sur le télétravail.
L’Université de Caen Normandie a réalisé une seule enquête avec cette fois pour point de départ sa candidature au label développement durable et responsabilité sociétale et environnementale (DD&RSE) obtenu en juin 2023.
« Nous avons mené un diagnostic complet durant l’année universitaire 2022-2023 en faisant le tour des campus et des services pour explorer tous les items du label. Nous avons identifié nos points forts, nos faiblesses et nos marges de progression sur cinq ans. La mobilité fait partie des thèmes abordés dans le volet environnement. C’était l’occasion de refaire une enquête mobilité comme en 2014 », se souvient Claire Danvy, directrice adjointe de la communication de l’établissement.
Faire plus de place aux vélos sur les campus
Bien souvent, le vélo figure au cœur des plans de mobilité, avec les autres mobilités dites douces (trottinette, marche…). Abris ou garages à vélo, pistes cyclables, prêt de bicyclette, ateliers de réparation… les initiatives pour le faciliter sont nombreuses.
« Nous avons remarqué une massification du vélo depuis 2014 sur tous les campus et avons des demandes pour plus d’infrastructures cyclables. En 2024, nous allons implanter des arceaux. La prochaine étape serait de déployer du prêt de vélo pour de la moyenne ou longue durée sur l’ensemble de nos campus, pas uniquement à Caen », indique Claire Danvy.
Antoine Delanoé, le chef de projets mobilité et déplacements durables de l’Université de Lille, rappelle aussi le besoin d’« améliorer la communication sur les dispositifs déjà existants comme le forfait mobilité durable cumulable avec les frais de transport ou encore les aides à l’achat de vélo ».
« La marge de progression la plus importante est d’aller chercher les personnes qui habitent loin et n’ont pas d’alternative à la voiture, car l’offre est plus faible dans les zones moins denses. La voiture électrique peut être une solution pour ces personnes, ce qui nécessite d’avoir des places avec des bornes de recharge sur le campus. Nous réfléchissons aussi à créer des aires de covoiturage », présente-t-il.
À l’Université de Lorraine, « le covoiturage est insuffisamment développé, remarque son vice-président transition écologique Guillain Mauviel. L’enquête nous aide à identifier le potentiel de covoiturage sur chacun de nos sites. Il y a beaucoup de trajets professionnels et personnels entre Nancy et Metz. Aussi, toutes les pistes pourront être envisagées pour réduire l’impact de nos déplacements, en lien avec nos parties prenantes internes et externes. »
Impliquer les communautés dans la construction du plan
Après avoir réalisé son enquête mobilité au printemps 2023, l’Université de Caen Normandie a adopté une démarche participative pour construire son plan.
« En parallèle de l’analyse, nous avons travaillé avec des groupes de travail entre juin et septembre. Puis, nous avons organisé une concertation en ligne en octobre pour recueillir les propositions », détaille Ameylie Bourasseau, chargée de projet en développement durable de l’établissement.
« Nous avons informé toute la communauté à chaque étape et présenté le plan de mobilité avant la dernière phase de concertation. C’est important d’embarquer tout le monde pour susciter l’adhésion et de ne pas faire du voiture bashing ! Nous mettons en place les conditions pour réduire l’impact carbone des déplacements et permettre aux personnes qui ont la possibilité de faire autrement de changer leurs habitudes », complète Claire Danvy.
Présente dans 52 sites universitaires, l’Université de Lorraine n’a pas encore de plan de mobilité. Mais elle mise aussi sur la concertation pour élaborer son schéma directeur du développement durable, qui contient une partie sur la mobilité.
« Nous réunissons tous les deux mois environ un comité de transition écologique qui regroupe des élus des conseils centraux, des représentants des différentes listes politiques et des étudiants. J’échange aussi avec les référents transition des laboratoires et composantes à qui nous proposons des formations », cite Guillain Mauviel.
Quant à l’Université de Lille, dont l’enquête a été publiée plus récemment, sa direction du développement durable et de responsabilité sociale réfléchit aux moyens de consulter sa communauté universitaire dans la rédaction de son plan d’action mobilité.
Dialoguer avec les collectivités et les réseaux de transport
Les résultats des enquêtes mobilité sont aussi partagés aux collectivités et réseaux de transport locaux. « Avec l’étude, nous avons des bases saines pour discuter avec ces partenaires », souligne Guillain Mauviel.
Un avis partagé par la directrice adjointe de la communication de l’Université de Caen Normandie, Claire Danvy :
« Nous discutons avec les agglomérations sur l’aménagement des horaires et des lignes de bus. Les collectivités sont conscientes de l’importance d’être attractif auprès des jeunes et se saisissent de ces questions. Elles sont preneuses des remontées du terrain », illustre-t-elle.
L’Université de Lille travaille par exemple avec la Métropole européenne de Lille (MEL) sur sa démarche cyclable qui sera présentée fin mars. « Nous avons organisé des ateliers avec la MEL pour identifier les points de connexion cyclables entre les différents campus et voir quels aménagements peuvent être réalisés pour enlever les zones accidentogènes », précise Antoine Delanoé.
« Mais la mobilité ne se réduit pas à l’aménagement. C’est aussi travailler sur les représentations et les croyances, notamment sur les temps de trajet à vélo entre les différents campus », ajoute-t-il.
Un jalon des schémas directeurs et des bilans carbone
Outre la construction d’un plan de mobilité, ces enquêtes aident les établissements à calculer leur bilan carbone. Elles nourrissent aussi la préparation des schémas directeurs DD&RSE. Un document que devront présenter toutes les écoles et universités publiques au ministère d’ici la fin de l’année 2024.
À l’Université de Lille, la mobilité figure ainsi parmi les cinq thématiques de son plan de transition écologique 2023-2033 avec l’immobilier, la formation, la recherche et le numérique responsable. En Lorraine, le vice-président transition écologique de l’université compte notamment mettre en avant les actions en matière de mobilité pour candidater au label DD&RSE en 2026.
« Ce label vient valider une politique déjà existante. Notre schéma directeur va être basé sur les axes du label DD&RSE qui nous semble être un bon outil pour structurer notre feuille de route », explique Guillain Mauviel.
Des enquêtes à renouveler et des plans à adapter
L’Université de Lorraine souhaite relancer une enquête en 2025 et construire son plan mobilité. « Nous n’avions pas la ressource humaine jusqu’à présent, c’est un travail colossal. En lien avec le volet transitions des contrats d’objectifs, de moyens et de performance (Comp), nous espérons obtenir des financements pour embaucher un chargé de mission mobilité dédié à temps plein à ce sujet », explique le vice-président de l’établissement.
Après deux enquêtes mobilités en 2014 et 2023, l’Université de Caen Normandie a elle présenté son plan de mobilité 2024 — 2029 en comité social d’administration en février 2024.
« En fonction de l’évolution des comportements, le plan pourra changer. Des actions pourront se rajouter, d’autres être retirées. L’objectif est de coller aux besoins des communautés. Si le vélo électrique a le vent en poupe, nous pourrons accélérer sur cela. Nous essayerons de relancer deux enquêtes dans les cinq ans », avance Claire Danvy.
Des déplacements professionnels à prendre en compte
Si les plans de mobilité se concentrent spécifiquement sur les trajets domicile-travail, les universités interrogées travaillent également sur les déplacements intercampus. Le renouvellement et l’électrification de la flotte automobile des établissements font partie des pistes citées. L’Université de Caen Normandie réfléchit aussi au prêt de vélo électrique pour ses personnels qui viennent en voiture au travail, et ont un court déplacement à effectuer entre deux campus.
Sur les mobilités professionnelles, le sujet est plus épineux, notamment sur la limitation des déplacements des chercheurs. « Cela représente moins de 5 % de notre impact carbone, mais c’est important d’en discuter. Il y a des clivages forts des personnels sur ce point. La difficulté est de trouver une politique adaptée à toutes les spécificités et pratiques professionnelles », reconnaît Guillain Mauviel.
De son côté, l’Université de Lille a publié une train zone map pour présenter les destinations facilement accessibles en train et comparer les émissions carbone générées par différents modes de transport.