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Trois stratégies d’établissements pour former leurs enseignants aux enjeux de transition

Par Isabelle Cormaty | Le | Rse - développement durable

D’ici 2025, tous les étudiants de premier cycle recevront une formation aux enjeux de transition durant leurs études qui fera l’objet d’une certification. Si certains établissements ont déjà pris un peu d’avance, cet objectif suppose au préalable de former les enseignants à ces enjeux. Trois établissements réunis à Montpellier le 7 décembre pour une journée sur les transitions dans l’ESR partagent leur expérience.

Le ministère et l’Université de Montpellier ont organisé une journée dédiée aux TEDS le 7 décembre. - © Université de Montpellier
Le ministère et l’Université de Montpellier ont organisé une journée dédiée aux TEDS le 7 décembre. - © Université de Montpellier

C’était l’un des objectifs fixés par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Sylvie Retailleau, lors de son discours fondateur sur les transitions à Bordeaux en octobre 2022 : la mise en place d’une formation certifiante à la transition écologique pour les nouveaux enseignants recrutés en 2023.

Encore balbutiante, cette formation prend différentes formes dans les écoles et universités qui proposent à leurs étudiants des cours dédiés aux transitions. Quels sont les leviers des établissements pour financer cette formation ? Faut-il compter uniquement sur les enseignants volontaires ? Comment mobiliser la communauté enseignante ?

Trois établissements étaient réunis pour une table ronde sur le sujet à Montpellier le 7 décembre dans le cadre de la journée nationale transition écologique pour un développement soutenable (TEDS) dans l’ESR organisée par le ministère et l’Université de Montpellier.

Les leviers des établissements pour former les enseignants

Pour Lionel Torres, le directeur de l’école d’ingénieurs Polytech Montpellier (Université de Montpellier), le problème ne se trouve pas dans un manque de motivation des enseignants, au contraire. « Les collègues veulent y aller, mais ne savent pas comment faire et ils ont peur de raconter de bêtises à leurs étudiants. Il va falloir définir quel type de formation ils ont besoin », constate-t-il.

Professeur de physique, Nicolas Freud est directeur en charge de la transformation socio-écologique de l’Insa Lyon depuis mars 2023. - © D.R.
Professeur de physique, Nicolas Freud est directeur en charge de la transformation socio-écologique de l’Insa Lyon depuis mars 2023. - © D.R.

L’Insa Lyon a mis en place en 2022 une approche programme avec un tronc commun obligatoire. En première et deuxième année, les étudiants ont 50 heures de cours dédiés aux transitions, en petit groupe de 25 étudiants.

« Nous avons fixé que cela pouvait aller jusqu’à 12 crédits pour les enjeux de transition et 12 sur ces enjeux dans les disciplines. Parler des enjeux du vivant en école d’ingénieurs est original, mais ce n’est pas facile surtout quand nous avons des enseignants dont ce n’est pas l’expertise », raconte Nicolas Freud, directeur en charge de la transformation socioécologique de l’Insa Lyon. 

L’école d’ingénieurs a donc réuni tous les enseignants volontaires pour concevoir les cours sur les transitions. Une démarche qui a permis aux professeurs d’échanger et de se former entre pairs tout en construisant la maquette pédagogique. 

Des décharges d’enseignement

« Nous sommes moins avancés sur le déploiement des enjeux sociaux économiques dans les disciplines. Nous visons une modification de 8 % des maquettes sur cinq ans. Nous avons consacré une enveloppe significative à des décharges pour les collègues qui s’impliquent sur ces sujets, des congés pour projet pédagogique (CPP). Ce sont des moyens importants, mais cela reste relativement faible, environ 1 % du service des enseignants en tout », évalue Nicolas Freud. 

Lionel Torres dirige Polytech Montpellier depuis décembre 2019. - © D.R.
Lionel Torres dirige Polytech Montpellier depuis décembre 2019. - © D.R.

Les décharges d’enseignement sont le moyen privilégié pour former leurs professeurs, malgré le coût du dispositif à la charge des écoles ou universités. Les établissements peuvent aussi s’appuyer sur des ingénieurs pédagogiques ou des partenariats externes.

« Nous avons été lauréat de financements provenant l’I-site Muse de l’Université de Montpellier, ce qui nous a permis d’avoir une enveloppe de 250 heures équivalent service de formation. La gouvernance a fait le choix d’embaucher un ingénieur pédagogique sur ces enjeux », illustre Lionel Torres.

L’Insa Lyon a lui aussi recruté une personne dédiée grâce à un appel à projets, l’AMI émergence. Elle a aussi compté sur son partenariat avec le Shift project pour impulser une dynamique.

La vice-présidente développement soutenable de l’Université Paris-Saclay pointe néanmoins un problème : 

« La difficulté, c’est quand les étudiants voient cela comme quelque chose en plus à faire le dimanche, si ce n’est pas assez accompagné par les enseignants en transdisciplinaire. Cela passe par la formation des enseignants, des enseignants-chercheurs et des personnels dans les services. À Saclay, nous nous sommes dits qu’on allait faire une journée de formation sur les rapports du Giec, car tous ces enjeux restent très diffus pour la plupart des personnes, même dans les équipes de direction. C’est important de dire : notre université est prête à ce que nos personnels passent à une journée entière à se former », souligne Sophie Szopa.

Le partage de connaissances entre établissements

Pour mutualiser les coûts, les bonnes pratiques et impulser une démarche commune, Polytech Montpellier et l’Insa Lyon travaillent avec le réseau d’écoles d’ingénieurs auquel elles appartiennent. « Avec le réseau Polytech, nous avons un référent par école et nous avançons sur une feuille de route commune. Nous travaillons ensemble sur les aspects de certification et de partage de ressource, de façon à ce que chaque école puisse avancer, avec ses spécificités », détaille Lionel Torres.

À l’Université Paris-Saclay aussi, le besoin de partage en interne entre les différentes composantes de l’établissement se fait ressentir. « Un enjeu est de partager davantage autour de ce que font les formations. Nous interrogeons toutes nos graduate school pour rendre visible tout ce qui se fait déjà », indique Sophie Spoza.

La formation des doctorants

Pour aller encore plus loin, le directeur de Polytech Montpellier invite à adapter la formation des doctorants. « Il nous manque des bras formés à ces enjeux. Nous embauchons des enseignants et des enseignants-chercheurs, mais il y a aussi un travail à faire sur le doctorat pour prendre en compte ces enjeux de transition dans la formation des futurs enseignants-chercheurs », avance Lionel Torres. 

Contenus disciplinaires vs ceux sur la transition écologique

Sophie Szopa est vice-présidente développement soutenable de l’Université Paris-Saclay. - © D.R.
Sophie Szopa est vice-présidente développement soutenable de l’Université Paris-Saclay. - © D.R.

Quid de l’intégration des enseignements sur les transitions dans les maquettes pédagogiques ? Faut-il des heures consacrées exclusivement aux TEDS ou intégrer ces enjeux dans l’ensemble des disciplines étudiées par les étudiants ?

La première option comporte un risque de dissonance cognitive pour les étudiants avance Sophie Spoza. L’Université Paris-Saclay propose depuis 2020 à ses étudiants de premier cycle un SPOC (Small private online course) pluridisciplinaire de 20 heures et équivalent à 2 ECTS.

« Nous ressentons le besoin de faire évoluer cette formation : les étudiants qui arrivent en licence sont mieux informés qu’il y a quatre ou cinq ans sur ces enjeux. Ils ont l’impression qu’on leur redit toujours la même chose. Nous travaillons plus sur le niveau master pour amener des éléments disciplinaires connectés aux enjeux de transition », explique la vice-présidente développement soutenable de l’université.

Un pôle national de ressources pédagogiques

Dans une note de cadrage datée de juillet sur la formation des étudiants de premier cycle à la transition écologique, le ministère a acté la création d’un pôle national de ressources pédagogiques porté par l’Université virtuelle environnement et développement durable (Uved).

Lancée début novembre, une section TEDS sur le portail de l’Uved répertorie des ressources pédagogiques pour répondre aux besoins des différents utilisateurs : étudiants, enseignants et équipes pédagogiques, personnels d’appui à la pédagogie et établissements du supérieur. À cela s’ajoute une cartographie actualisée des initiatives des établissements dans le domaine de la formation aux enjeux de transition écologique.

200 congés pour projet pédagogique dédiés aux transitions

200 CPP par an seront exclusivement dédiés aux transitions. - © Vectors Point
200 CPP par an seront exclusivement dédiés aux transitions. - © Vectors Point

L’Université Paris-Saclay finance de son côté l’enseignement des transitions sur ressources propres et lorgne sur un autre levier pour former ses professeurs. « Nous envisageons aussi des congés pour projet pédagogique pour les enseignants qui veulent développer ces enjeux dans leurs enseignements », explique la vice-présidente de l’établissement. 

Pour accélérer l’appropriation des enjeux de transition par la communauté enseignante, le ministère a justement annoncé le 7 décembre que 200 congés pour projet pédagogique par an seront réservés exclusivement aux projets liés aux transitions.

« Ces demandes ne pourront pas être refusées au motif de contrainte financière, dès lors que l’enveloppe ne sera pas consommée », indique la Direction générale des ressources humaines (DGRH) dans une circulaire  datée du 22 novembre. 

Institués en 2019, ces congés permettent aux enseignants du secondaire affectés dans le supérieur et aux enseignants-chercheurs d’obtenir une décharge de six à douze mois de leur charge d’enseignement pour réaliser un projet. Par exemple : revoir la pédagogie de leurs enseignements, acquérir de nouvelles compétences, renforcer la coopération internationale ou encore intégrer les enjeux de transition. 

Donner un nouvel élan à ce dispositif

« Au regard de l’importance et la complexité des enjeux liés à la transition écologique, plusieurs CPP au titre d’un même projet pédagogique pourront être accordés à plusieurs membres d’une équipe. Chacun des CPP ainsi accordés compte pour un congé et les semestres sont imputés sur le nombre de semestres accordés localement », précise la circulaire.

Le ministère souhaite ainsi renforcer un dispositif encore méconnu et peu utilisé. Sur les 900 CPP ouverts en moyenne, seuls 250 sont en effet utilisés par an.

« Force est de constater que le recours aux CPP est insuffisant alors même que les besoins se font grandissants. Ce constat mérite d’être partagé et il convient de donner un nouvel élan à ce dispositif, qui trouve pleinement son intérêt dans la situation de changement des pratiques d’enseignement que nous connaissons et des priorités ministérielles, notamment en faveur de la transition écologique pour un développement soutenable. »