Congé pour projet pédagogique : des débuts très timides
Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Personnels et statuts
Institué en 2019, le congé pour projet pédagogique est un nouveau dispositif de formation destiné aux enseignants-chercheurs et assimilés. Les établissements du supérieur traitent actuellement les candidatures pour la seconde campagne, l’occasion de dresser un premier bilan de l’utilisation de ce congé.
En quoi consiste le congé pour projet pédagogique ?
Quel historique ?
Le Congé pour projet pédagogique (CPP) a été calqué sur le Congé pour Recherche ou Conversions Thématiques (CRCT), créé par l’article 10 du décret 84-431 du 6 juin 1984 et qui permet à un enseignant-chercheur de se consacrer à la recherche pour une période de six ou douze mois.
« La proposition en avait été faite dans un rapport de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, sur les carrières des enseignants-chercheurs de décembre 2015 auquel j’avais participé, précise François Paquis, directeur général des services à l’Université Clermont-Auvergne. Objectif, entériné par le ministère : rééquilibrer cette évolution de carrière, encore très nettement forgée par l’aspect « recherche », au détriment de la pédagogie. »
À qui est-il destiné ?
Les professeurs titulaires des premier et second degrés affectés dans un établissement d’enseignement supérieur (PRAG ou PRCE), ainsi que les enseignants-chercheurs et personnels assimilés sont les destinataires de ce dispositif.
Quelle durée ?
Le congé pour projet pédagogique dure six mois par période de trois ans en position d’activité ou de détachement, ou douze mois par période de six ans. Et douze mois d’office pour les personnels nommés depuis au moins trois ans dans un établissement.
Quelle procédure ?
Contrairement aux CRCT, dont l’attribution est le fait du Conseil national des universités (CNU) après avis du président de l’établissement, les CPP sont accordés sur proposition du conseil académique ou de l’organe en tenant lieu de l’établissement. Un abandon de la « case CNU » regretté par certains.
« La logique locale gagne à être équilibrée avec une logique nationale, car chacune valorise des aspects différents, estime Jérôme Giordano, secrétaire national du syndicat SNPTES. Par exemple, si un enseignant-chercheur a écrit un ouvrage, il peut en avoir un meilleur retour de la part du CNU, un établissement ayant plutôt tendance à valoriser un investissement pédagogique innovant. »
Les candidatures sont déposées auprès de l’établissement d’affectation selon un calendrier annuel fixé par le ministère. Pour 2021, le dépôt des candidatures a été a priori clos en mars, l’examen des dossiers étant prévu sur mai et l’attribution des semestres de CPP calée au 13 juillet au plus tard.
Quels critères d’attribution ?
Chaque établissement est libre d’adapter ses critères au cadre général donné par la circulaire du 16 novembre 2019.
« On demande au candidat d’exposer son expérience pédagogique passée, de décrire son projet, ce qu’il en attend comme retombées (pour les étudiants, pour l’établissement, pour lui-même), ainsi que ses modalités de mise en place », témoigne Hélène Chanal, qui a participé à la rédaction des critères d’attribution des CPP à l’école d’ingénieurs Sigma Clermont (Clermont Auvergne INP).
« On regarde l’état d’avancement du dossier, calendrier délivrable à l’appui, sa dimension internationale… Autant d’éléments facilement recoupables en interne », ajoute-t-elle. Pour finir, l’avis du directeur des études est requis.
« Il faut que l’initiative puisse avoir vocation à être dupliquée, ou qu’elle s’inscrive dans un projet de composante, ajoute François Paquis. Il peut s’agir, par exemple, du déploiement de l’approche par compétences dans une formation ou d’un parcours hybride, avec soutiens internationaux. »
Des débuts très timides
À ce jour, les dossiers de CPP se comptent sur les doigts d’une main dans de nombreux établissements. « À l’Université Clermont-Auvergne en 2020, nous avons reçu cinq demandes et accordé quatre congés de six mois (dont trois reportés pour cause de Covid). Pour cette année, nous n’avons enregistré que deux demandes », informe François Paquis.
À l’Université de Picardie-Jules Verne, après quatre bénéficiaires en 2020, le nombre de candidatures pour 2021 est même… inexistant. Ce qui a poussé l’université à prolonger la campagne de deux mois.
Pourquoi ce manque de candidats ?
Plusieurs explications peuvent être avancées. D’abord, un manque de visibilité de ce nouveau congé dans les rangs des personnels d’enseignement. « Les enseignants-chercheurs trouvent étrange de prendre du temps de pédagogie en vue d’améliorer celle-ci », rapporte Céline Joiron, VP à la transformation pédagogique à l’université amiénoise. À incriminer également : le contexte sanitaire.
« La crise a passablement épuisé les enseignants, qui n’ont pas forcément la tête à monter un dossier. Elle entraîne aussi des incertitudes sur le déroulé de l’année universitaire prochaine. Enfin, certains ont été un peu refroidis par l’aspect « enseignement hybride », vécu comme une obligation plus que comme un vrai choix depuis plus d’un an », expose Céline Joiron.
En dépit des bonnes intentions, la progression de carrière d’un enseignant-chercheur demeure à ce jour davantage valorisée par le volet scientifique que par le volet pédagogique.
Autre écueil : le facteur temps. Souvent, les personnels très investis en pédagogie et qui auraient le profil idéal pour postuler au CPP font pas mal d’heures complémentaires et ont aussi des responsabilités administratives. Pour eux, prendre un congé de 6 ou 12 mois, c’est faire reposer la charge de toutes ces heures sur leurs collègues, tout en laissant également de côté leur engagement en coordination. Ce qui peut être compliqué dans les filières où l’on manque déjà d’enseignants.
Quelles perspectives ?
Pour favoriser le dépôt de projets, l’Université de Picardie-Jules Verne a corrélé la campagne à un appel interne, visant à obtenir des moyens matériels (embauche de stagiaires, achat de petit matériel, etc.) en complémentarité de la décharge d’enseignement.
L’université mène notamment des actions de communication renforcées sur le dispositif, dans le cadre des formations des enseignants-chercheurs à la pédagogie et va favoriser la mise en œuvre de retours d’expérience des bénéficiaires, en vue de créer une émulation.
« Nous avons bon espoir que cela prenne à terme, notamment auprès de deux types de profils, conclut Céline Joiron. D’une part, des personnes plutôt jeunes, sans encore trop de charges de coordination. D’autre part, des enseignants-chercheurs en fin de carrière, qui n’ont plus rien à prouver côté recherche et qui souhaiteraient prendre du temps pour se consacrer à un projet pédagogique qui les passionne, en vue de transmettre à leurs collègues. »
Même optimisme chez les représentants syndicaux, qui y apportent toutefois un bémol : le contingent de CPP devrait être similaire à celui du CRCT. À savoir, contingenté à 910 semestres/an (soit au maximum autant de bénéficiaires), pour plus de 90 000 enseignants en fonction dans le supérieur public. Un rapport offre/demande qui peut vite tourner à la pénurie…
« Une occasion de renouveler et enrichir son enseignement »
Caroline Besse, PRAG en espagnol à Sigma Clermont a bénéficié d’un CPP sur le premier semestre 2021. Elle témoigne :
« J’ai postulé au CPP dès que j’en ai eu connaissance, car j’attendais depuis longtemps cette opportunité. Après plus de 20 ans à mon poste, j’aspire à renouveler en profondeur mon enseignement. Je cherche aussi un moyen de contrer le désintérêt croissant de mes élèves ingénieurs envers la deuxième langue, et envers le monde hispanique en général. Face au vide criant d’outils en la matière, j’ai aussi pour projet de créer un corpus de documents professionnels pour l’ingénieur en espagnol. De manière plus globale, j’ai besoin de me former sur d’autres outils, notamment numériques, ainsi qu’à des approches pédagogiques innovantes, comme la ludification des contenus.
La procédure de candidature a été très chronophage. Il faut dresser un CV complet, retracer ses réalisations en matière pédagogique, détailler son projet… J’ai déposé mon dossier en décembre 2019. Du fait du contexte sanitaire, les instances se sont réunies avec trois mois de retard, en juin 2020. J’ai dû remodeler un peu mon projet et finalement j’ai eu ma réponse en juillet, pour un démarrage en janvier 2021. Ce qui prend du temps aussi, c’est la mise en place du congé : il faut trouver des collègues pour nous remplacer, ce qui implique pas mal de démarches annexes. De ce fait, je n’ai pu débuter mon CPP qu’en février.
Je suis ravie de mon choix : pour les PRAG-PRCE comme moi, qui n’avons pas de volet « recherche » à notre service, le CPP constitue une occasion en or de se poser pour donner une dimension supplémentaire à son enseignement. Tout ce que j’engrange, je suis prête à le partager avec d’autres collègues. D’ailleurs, je reste en contact régulier avec mon école par visioconférence. »