Innovation pédagogique : « Pour être créatif, il faut de la contrainte »
Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie
Spécialisé dans l’innovation pédagogique, Jean-Charles Cailliez fait part de ses observations et conseils au cœur d’une période où de nouvelles contraintes poussent les pédagogues à devenir plus créatifs.
Cet enseignant-chercheur, que Campus Matin a rencontré à Lille, revient également sur un moment surréaliste causé par la crise sanitaire : le jour où il a fait cours face à un seul étudiant dans un amphi et à six cents autres en visioconférence !
Jean-Charles Cailliez est un professeur, un chercheur, le vice-président innovation de l’Université Catholique de Lille, mais aussi, et surtout, un passionné de pédagogie qui ne cesse de questionner nos façons de transmettre des connaissances et d’acquérir des compétences.
Dans son livre La classe renversée (éditions Ellipses, 2017), il imagine comment échanger le rôle de l’étudiant et celui de l’enseignant. Alors que la crise sanitaire frappe et que les restrictions transforment la réalité de l’enseignement, Jean-Charles Cailliez partage son expérience avec Campus Matin.
Une réalité digne de la fiction
Face à 300 élèves dont one ne voit pas le visage, c’était glacial.
Souvenez-vous, c’était en septembre et octobre. En ce début de rentrée 2020/2021, les cours reprenaient presque normalement. Il fallait cependant se faire au port du masque généralisé. « Au départ, face à 300 élèves (soit la moitié de la promotion, les autres étant en distanciel) dont on ne voit pas le visage, c’était glacial », se rappelle Jean-Charles Cailliez qui estime devoir le porter également en tant qu’enseignant « par devoir d’exemplarité ».
« Heureusement, au bout de trois semaines, les étudiants ont appris à s’exprimer avec en cours, on a commencé à en faire abstraction », raconte-t-il.
Mais la situation sanitaire continue à évoluer et, courant octobre, on détecte au sein de la promotion de médecine une cinquantaine de cas positifs asymptomatiques. L’établissement prend la décision de confiner les étudiants concernés pendant une quinzaine de jours.
Une photo vue plus de 70 000 fois !
Le professeur de génétique se retrouve alors dans une position insolite : au lieu de faire cours depuis son bureau, il se retrouve face à un amphi… occupé par un seul élève !
« Cet étudiant étant malentendant, le meilleur moyen pour lui de suivre le cours était de rester dans cette salle qui avait été spécialement équipée pour lui, explique Jean-Charles Cailliez. C’est étrange de se retrouver alors face à un seul visage - et de lui parler avec un micro ! - tout en devant garder en tête qu’il y en a 600 autres, chez eux derrière leur écran ».
Cette photo qu’il partage sur les réseaux sociaux pour témoigner de cette expérience inédite est vue plus de 70 000 fois en un mois ! Peut-être parce que la situation rappelle de façon troublante une vidéo de science-fiction qui dépeint un futur où le distanciel serait la norme.
Innovation forcée… le début de la créativité ?
C’est le cœur des ateliers que Jean-Charles Cailliez réalise avec des étudiants, d’autres enseignants, mais aussi des managers et responsables d’entreprises : la créativité.
Comment la transformer en innovation ? Comment travailler ensemble de façon différente et plus efficace ? Si la transformation numérique s’est opérée de façon forcée dans tous les établissements éducatifs, du primaire au supérieur, le professeur estime que cela a surtout consisté à faire de la « transposition » d’urgence !
« Ce n’était pas de l’innovation, commente-t-il. Il fallait faire face aux mêmes problèmes qu’en présentiel, mais en constatant rapidement qu’ils allaient s’amplifier à distance. Le contexte inédit de cette continuité pédagogique a été propice aux idées nouvelles. Pour pousser la créativité, il faut des contraintes ».
C’est le cas chez les enseignants qui collaborent dans les ateliers pédagogiques. « Cela crée du relationnel entre eux qui se donnent des conseils, indépendamment de leurs matières », observe le directeur d’HEMiSF4iRE, la Design School de son université dédiée au design thinking et à l’innovation pédagogique.
Qu’est-ce que la classe renversée ?
Il s’agit d’une nouvelle forme de pédagogie collaborative qui vise à faire construire le cours et l’examen par les élèves eux-mêmes.
« Les élèves ont un comportement très souvent “consommateur”, souvent passif. Il s’agit ici développer leur « esprit de collaboration, décrit Jean-Charles Cailliez. Bien sûr, il ne s’agit pas de prétendre que tous les cours doivent se faire ainsi, bien au contraire, mais de “renverser” quelques pratiques lorsque cela s’y prête ».
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