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Comment réussir une étude sur les violences sexuelles et sexistes et le harcèlement ?

Par Marine Dessaux | Le | Rse - développement durable

Fruit d’une collaboration entre des chercheuses de l’Ined et le Mesri, le guide 'Enquêter sur les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche' donne les bonnes pratiques pour mener un enquête interne fiable.

Campus Matin en tire 10 conseils, enrichis des précisions apportées par Amandine Lebugle, co-auteure du guide.

Comment réussir une étude sur les violences sexuelles et sexistes et le harcèlement ?
Comment réussir une étude sur les violences sexuelles et sexistes et le harcèlement ?

« On a mis en place le guide “Enquêter sur les violences sexistes et sexuelles (VSS) dans l’enseignement supérieur et la recherche' parce qu’on voyait qu’il y avait des réalisations d’enquêtes dans les universités avec des méthodologies qui ne nous paraissaient pas toujours appropriées. Ce type d’enquête a l’avantage de pouvoir être répliqué n’importe où », pose Amandine Lebugle, membre de l’équipe de recherche qui a mené l’enquête Virage, notamment dédié aux VSS, et co-auteure du guide.

Voici les recommandations « destinées à garantir la qualité des données collectées et la comparabilité de celles-ci avec d’autres enquêtes nationales et internationales » des trois chercheuses de l’équipe Virage : Elizabeth Brown, Sylvie Cromer et Amandine Lebugle.

Concevoir votre enquête

Plusieurs modes d’enquêtes et objectifs sont à envisager - © CC0 - Domaine public
Plusieurs modes d’enquêtes et objectifs sont à envisager - © CC0 - Domaine public

C’est autour d’un comité de pilotage que sera initiée et conçue l’enquête, conseille le guide. Ce dernier doit être composé de chercheurs « de différentes disciplines » et d’autres personnels notamment « des membres des services juridiques et des cellules d’écoute ».

1. Envisager des objectifs multiples

Il est pertinent de définir plusieurs objectifs qui peuvent être :

  • évaluer la proportion de personnes victimes ;
  • décrire les violences subies, comprendre ces violences, leurs contextes et leurs conséquences ;
  • établir une typologie des personnes victimes et des auteurs des faits ;
  • comparer les situations des femmes et des hommes ;
  • ou encore mesurer l’éventuel cumul des vulnérabilités (sexe, nationalité, handicap, origine sociale, origine ethnique…

2. Choisir parmi trois types d’enquêtes

Quantitative, qualitative ou mixte, elle peut être passée par « questionnaire en ligne, avec éventuellement une question ouverte pour recueillir des récits et/ou des témoignages ».

Le guide précise qu’il est important « de connaître le temps de réponse nécessaire » et « de faire en sorte qu’il ne soit pas trop conséquent » (de préférence inférieur à une heure).

3. Définir le périmètre et les modalités

Concernant le périmètre de l’enquête, il s’agit de définir si elle sera dédiée aux violences sexistes et sexuelles (VSS) ou intégrée à un module plus général.

Concernant les modalités, il s’agit de déterminer « les personnes interrogées et les espaces de déclaration des faits de violences sexistes et sexuelles » ainsi que « la période de déclaration des violences subies ». Sur ce deuxième point, il est conseillé de bien préciser les périodes de déclaration des violences dans chaque énoncé du questionnaire.

Il est également recommandé de « porter une attention particulière à la temporalité de l’enquête » pour des raisons de comparabilité avec d’autres enquêtes nationales et internationales.

L’enquête Virage pour base

Le guide s’inscrit dans la suite de l’enquête nationale Virage (Violences et Rapports de Genre) menée en 2015 par l’Institut national d’études démographiques (Ined) et, notamment, de l’enquête complémentaire dédiée à l’enseignement supérieur, « Virage-Université » (2015-2016), menée auprès de quatre universités françaises.

4. Penser l’enquête avec des partenaires

Ces derniers sont :

  • les membres du dispositif de signalement des VSS et des discriminations de l’établissement ;
  • la mission égalité ;
  • les associations locales et nationales spécialistes des violences ;
  • les personnels d’assistance sociale et de médecine.

En outre, il est « indispensable de s’interroger sur les conséquences de la passation de l’enquête et d’assurer aux victimes la possibilité de recevoir un accompagnement dédié ».

« Pour cela, informez les étudiants des différents dispositifs (associations, cellules d’écoute) au niveau local mis en place pour les accompagner, à la fin du questionnaire », conseille Amandine Lebugle.

5. Se poser la question de la diffusion

Il est préférable de faire connaître les moyens de diffusion des résultats de l’enquête aux participants en amont. Différents modes de transmission sont :

  • « la messagerie universitaire et/ou personnelle,
  • les canaux institutionnels,
  • le site internet de l’établissement,
  • l’affichage,
  • les réseaux sociaux, etc ».

Les « associations étudiantes, les syndicats et les responsables de formation » sont également des relais pour informer sur l’enquête. En outre, les résultats de l’enquête doivent être communiqués « à travers un rapport, une campagne d’information et de sensibilisation, ou encore un affichage dédié ».

« Il faut passer par la communication et la diffusion de l’information, et par la suite pourquoi pas inclure une séance de sensibilisation des violences dans les cursus », dit Amandine Lebugle, aujourd’hui chercheuse à l’Observatoire du Samu social de Paris.

6. Prévoir un financement

Le guide souligne aussi l’importance d’envisager le coût financier et RH d’une telle enquête.

Autour de 10 000€ pour une enquête en passant par une société dédiée

« Pour Virage, nous avons profité du fait que l’enquête, initialement réalisée en population générale par téléphone, était déjà au format internet pour le diffuser plus largement. Le budget pour l’enquête auprès des étudiants a donc fait partie du marché général passé avec la boîte de sondage. On estime autour de 10 000€ une enquête en passant par une société dédiée.

Si on la réalise en interne, il faut penser à financer la campagne de communication (imprimer des affiches, etc.) mais aussi à assigner une personne à l’analyse des données. Les universités n’avaient pas le personnel disponible pour le faire lors de notre enquête, or cela représente une part importante des ressources nécessaires.

Il faut compter une année pour nettoyer les données et les analyser, rédiger un rapport. On peut envisager d’embaucher un chargé d’étude pour cette durée », expose Amandine Lebugle qui a effectué ce travail en tant que chercheuse contractuelle à Virage.

7. Assurer la protection des données

L’anonymat et la confidentialité des réponses sont deux points cruciaux. « Selon la sensibilité des données, il faut faire une demande d’autorisation à la Cnil ou passer par le délégué à la protection des données de l’université », signale Amandine Lebugle.

Identifier les enjeux et biais

Il est important de minimiser les biais représentatifs - © D.R.
Il est important de minimiser les biais représentatifs - © D.R.

8. Choisir un intitulé neutre

Afin d’éviter un biais de représentativité, il est nécessaire de choisir un titre d’enquête qui ne risque pas de détourner l’attention des étudiants ne se sentant pas concernés. Le guide donne un exemple de titre approprié : 'Les modes de vie des étudiantes et étudiants”.

Malgré ces précautions des biais de représentativité peuvent apparaître, c’est pourquoi « l’interprétation des résultats de l’enquête doit être réalisée avec prudence ».

9. Maximiser le taux de réponse

Pour cela, il est nécessaire de :

  • Relancer les personnes sollicitées à plusieurs reprises (entre quatre et cinq relances) ; impliquer les différents acteurs et actrices de l’établissement ;
  • diffuser l’enquête dans une période adaptée (en-dehors des périodes de vacances scolaires ou d’examens, plutôt en fin de premier semestre ou début du deuxième semestre) ;
  • et prévoir une période de passation suffisamment large.

L’enquête Virage, qui a obtenu un taux de 5,2 % de réponses a diffusé son enquête entre le mois de mars et le mois de juin, ses auteures recommandent de faire de même.

10. Être vigilant dans la création du questionnaire

Afin d’établir un lien de confiance, il est préférable de débuter l’enquête par des questions préliminaires. Elles peuvent être :

  • sur des éléments sociodémographiques (cursus, stages, la carrière professionnelle) ;
  • sur des éléments biographiques ;
  • sur l’état de santé.

Attention à « bannir l’usage des mots ‘violences’ ou ‘agressions’ ou encore ‘viol’ » et à « définir les situations de violences de la manière la plus factuelle possible ».

Le questionnaire Virage est mis à disposition des établissements.

De nouvelles données bientôt accessibles

Des données « relatives aux violences sexistes et sexuelles subies par la communauté étudiante » ont été recueillies dans le cadre de la 9e enquête de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) sur les conditions de vie étudiante.

La question des VSS a été intégrée à l’enquête à la suite d’un partenariat entre le Mesri, l’OVE, l’Association nationale des études féministes (Anef) et de l’équipe Virage.

Les résultats seront accessibles « fin 2020-début 2021 sur le site internet de l’OVE » et pourront être exploités par les établissements du supérieur.

Check-list des erreurs à ne pas commettre