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Une chercheuse face à la Covid : « Pendant le confinement, mettre l’emphase sur ce qui est important »

Par Marine Dessaux | Le | Personnels et statuts

La biologiste Claire Wyart a continué à diriger son équipe d’une dizaine de personnes et mener des recherches malgré les complications causées par le confinement. À la maison et entourée de sa famille, elle a vécu cette expérience particulière comme une occasion de prendre du recul… et de lancer de nouveaux projets.

À son actif notamment, la naissance du site « Adios Corona » pour informer le grand public, et la participation au développement d’un test de dépistage de la Covid-19 approuvé aux Etats-Unis !

Une chercheuse face à la Covid : « Pendant le confinement, mettre l’emphase sur ce qui est important »
Une chercheuse face à la Covid : « Pendant le confinement, mettre l’emphase sur ce qui est important »

« Cette période a permis de nous distancier de ce qu’on fait tous les jours », dit Claire Wyart. - © D.R.
« Cette période a permis de nous distancier de ce qu’on fait tous les jours », dit Claire Wyart. - © D.R.

Claire Wyart est directrice de recherche Inserm à l’Institut du Cerveau (ICM) et, depuis 2010, lauréate du programme ATIP-Avenir soutenu par la fondation Bettencourt-Schueller. Elle y dirige l’équipe « Signalisation sensorielle spinale » et pendant le confinement son volume de travail n’a pas diminué.

D’autant plus qu’elle a trouvé le temps de lancer, avec son amie Virginie Courtier-Orgozozo directrice de recherche au CNRS, Adios Corona !, un site qui compile les données scientifiques disponibles sur le coronavirus pour le grand public. Et, avec Marie-Claude Potier, directrice de recherche au CNRS, de travailler sur une nouvelle façon de dépister par les crachats, plus simple et accessible pour tous.

Travailler et maintenir le lien avec les équipes

Contrairement à une majorité de laboratoires de recherche qui ont dû fermer, celui de Claire Wyart est resté ouvert pendant toute la durée du confinement.

« Nous avons eu de la chance : les animaux avec lesquels nous travaillons exigent que l’on se rende sur place tous les jours. Nous avons donc pu rester ouverts même s’il fallait travailler dans des conditions différentes », dit-elle.

Chacun soudainement travaillait pour soi

Malgré l’arrêt forcé des interactions avec ses collègues, la biologiste explique que le confinement a été propice aux publications : « Cela a été une période de grande productivité : les gens étaient obligés de s’arrêter, il n’y avait plus de conférences. Chacun soudainement travaillait pour soi et était amené à creuser d’autres questions, analyser différemment ses données. Quatre publications ont vu le jour en un temps record. »

Cet effet positif du confinement a été variable selon les chercheurs, souligne la scientifique. « Les plus jeunes ont été les plus grandes victimes, en manque d’interactions régulières pour leur formation et n’ayant pas encore fait les expériences clé qui leur auraient permis de sortir des articles ».

Solidarité collective

Claire Wyart et son équipe spécialisée dans la neurosciences moléculaires et cellulaire - © ICM
Claire Wyart et son équipe spécialisée dans la neurosciences moléculaires et cellulaire - © ICM

Dans cette période marquante où l’activité de recherche était bouleversée, « on a ressenti le besoin d’agir en tant que scientifique afin de consolider une solidarité collective », se souvient Claire Wyart.

Un sens du collectif qui s’est matérialisé par des échanges en visioconférence entre la dizaine de membres de l’équipe, mis en oeuvre grâce à un logiciel mis à disposition par l’ICM.

« Au début, on a fait une discussion journalière. Nous avions tous un besoin de communiquer et de nous connecter. Puis les réunions se sont espacées : une réunion hebdomadaire par plus petits groupes. Cela demandait tout de même un gros suivi. Dès qu’on a pu, on a initié des réunions en présentiel, organisées en extérieur ».

Son expérience des soutenances de thèses à distance

Grâce à l’allégement des mesures de sécurité, « on a trouvé une formule super : l’étudiant est sur l’estrade comme d’habitude, et le jury dans un amphithéâtre de 200 places », raconte la directrice de recherche. 

Les rapporteurs à l’étranger et l’audience sont, eux, en visioconférence. Pour les questions, plutôt que sous forme de conversation, elles sont organisées par thèmes et un seul rapporteur en pose une série à la fois.

« Ce n’est pas aussi bien qu’en tout présentiel : certains experts à l’étranger n’entendent pas bien, mais cela n’empêche pas la défense de thèse d’être de très bon niveau et de durer facilement 4 heures ! »

Le confinement et son impact 

Le confinement, en stoppant l’activité de manière inhabituelle, a suscité une remise en question profonde. 

« Cette période a permis de nous distancier de ce qu’on fait tous les jours. On pense qu’il faut absolument répondre aux dates butoirs et tout faire à fond.

Le confinement a eu un rôle important en nous forçant à nous arrêter, à nous demander : « À quoi ça rime ce que je fais ? » », observe Claire Wyart.

Pour la chercheuse de l’ICM, le confinement, mais aussi la maladie, ont été l’occasion de voir les choses différemment : « En travaillant à l’hôpital, je suis tombée malade juste avant le confinement. Nous avons donc dû nous assurer que toute la famille soit bien portante et faire l’école pour nos trois enfants. Je l’avais déjà vécu avec d’autres défis de l’existence : avoir des enfants, par exemple, nous force à travailler différemment et à mettre l’emphase sur ce qui est important. »

Assez ironiquement, si les symptômes qui l’immobilisent deux semaines correspondent à la Covid, Claire Wyart ne sait pas s’il s’agit bien du virus : alors qu’elle s’investit pour implémenter des tests à grande échelle via le crachat salivaire, elle n’a pas profité de son statut pour bénéficier d’un test diagnostic au début du confinement.

La mobilisation des scientifiques pour répondre à la pandémie pendant cette période a inspiré Claire Wyart : 

La crise a permis de voir avec clarté ce qu’on peut arrêter sans complexe

« La crise a permis de voir avec clarté ce qui fait vraiment sens et ce qu’on peut arrêter sans complexe. Ça a été une secousse, effrayante et triste, dans toute la société, mais il y a quelque chose de très profond, lié à la société dans laquelle on vit, qui en est ressorti. Voir de jeunes chercheurs qui, devant la crainte, étaient portés par cette flamme de la passion de la recherche, les gens qui ont besoin de ça pour vivre, c’était une aventure très riche ».

Concilier vie professionnelle et vie personnelle

Comment concilier une vie de famille avec un travail à temps plein en étant assigné à résidence ? C’est la question à laquelle ont dû répondre de nombreux actifs en télétravail, notamment les enseignants-chercheurs, très concernés par le “blurring“ :

« Le vrai secret de la vie professionnelle pour une femme, comme pour un homme, c’est le soutien qu’il y a derrière. Nous avions une nounou qui n’est plus venue lorsque nous étions malades.

On a dû s’adapter, mon mari et moi : il faut qu’il y ait une distribution juste des tâches, c’est donnant-donnant. Il y a un moment où je me suis vraiment fatiguée avec Adios Corona sur lequel je travaillais le soir, jusqu’à 1h, 2h du matin.

À ce moment-là on faisait vraiment 50-50, je lui ai demandé d’avoir une petite réduction sur les tâches ! Il m’a aidé à porter l’effort. »

Deux projets ancrés dans l’actualité

Adios Corona !

Adios Corona répond à de nombreuses questions sur la Covid de façon simple - © AdiosCorona
Adios Corona répond à de nombreuses questions sur la Covid de façon simple - © AdiosCorona

L’un des projets de Claire Wyart, pendant le confinement, est le site Adios Corona sur lequel on trouve des informations sourcées, présentées de manière pratique et sous forme de scénarios qui s’adressent au grand public.

Les questions/réponses portent notamment sur : comment faire une grande réunion de famille pendant les vacances ? Que faire si on a été en contact d’un cas Covid ? Comment interagir au travail ? Protéger ses proches vulnérables ?

Le site est disponible en dix langues.

Adios Corona est né de la frustration de ne pas pouvoir agir

« Adios Corona est né de la frustration de ne pas pouvoir agir, d’un sentiment d’inutilité devant la crise sanitaire alors qu’en tant que biologistes, nous pouvons aider à faire le lien entre experts et le grand public. En tant que scientifique, on a besoin de comprendre, naturellement on se met à intégrer l’information, à lire tous les articles qui sortent, on se lance dans une course où on veut tout comprendre. A partir des connaissances qu’on accumule, on peut se faire une bonne idée de ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas et partager une information claire qui n’est pas facile à trouver pour le grand public. »

Comme les scientifiques des disciplines concernées, virologistes, épidémiologistes, immunologistes étaient trop occupés pour vulgariser eux-mêmes, Claire Wyart se lance, avec Virginie Courtier-Orgozozo, chercheuse en génétique et évolution. Son frère, Olivier Wyart, conçoit les illustrations et son fils de 15 ans, Uzay, le site web !

« Nous avions déjà monté des sites web pour mon équipe, c’était naturel de travailler entre amis et famille, et simple à faire. On a discuté autour de nous pour comprendre ce que recherchaient les gens et on s’est mis à faire un travail énorme : répondre à 50 questions clés, pendant le mois d’avril. »

Le site est en ligne le 8 mai, juste avant le déconfinement… Et c’est un succès ! Il est consulté 200 000 fois en un mois. Aujourd’hui, l’équipe autour du projet est passée de 3 à 20 personnes pour les contributions écrites. Ils sont pas moins de 50 à participer aux traductions ! 

Le discours scientifique dans les médias : « Tout ce qu’on entend manque de nuance »

Claire Wyart apporte son regard de vulgarisatrice scientifique sur les interventions parfois en apparences contradictoires des experts interrogés par les médias.

« Du point de vue du grand public, il a pu y avoir une impression que les scientifiques donnent des informations qui se contredisent. Les chiffres doivent être souvent mis dans leur contexte. On a senti les limites de notre spécialisation extrême : beaucoup d’experts scientifiques utilisent un jargon difficile à saisir dans sa globalité et n’ont pas été compris ou entendus par les journalistes ou les dirigeants.

A propos des propos du professeur Raoult et de ses détracteurs, « l’histoire nous dira qui a raison. Mon discours est le suivant : il ne faut pas dire blanc ou noir quand on ne sait pas. Trop souvent, le discours journalistique demande d’aller vite, et c’est stérile. Il est utile de faire preuve de nuance, dans un sens comme dans l’autre. Le mot d’ordre : parler juste, parler avec prudence ».

Dépistage par les crachats salivaires

À l’ICM, Claire Wyart participe avec sa collègue Marie-Claude Potier, au développement d’un test de dépistage de la Covid-19 par l’analyse de crachats et salive. Cette forme d’échantillonnage permet une détection à grande échelle du coronavirus SARS-CoV-2 et a été approuvée par la FDA (Food and drugs administration) aux États-Unis.

« Dans le cas d’une récidive cet automne, nous pourrons interagir en sécurité si nous mettons en place aujourd’hui des tests de dépistage à grande échelle. Le devenir des personnes vulnérables, de l’économie de notre pays, reposent sur le test de dépistage à grande échelle pour les enfants dans les écoles, les voyageurs aux frontières, les aide-soignants des Ephad et des hôpitaux.

Généraliser ces tests est capital pour l’avenir de notre nation

Les prélèvements nasaux ne sont pas faciles à effectuer sur certaines personnes (enfants jeunes, personnes âgées, handicapés), souvent rebutants et difficiles à répéter au cours du temps. Afin de savoir si les personnes sont contaminées, plusieurs études scientifiques montrent qu’il suffit de faire cracher la personne dans un tube pour savoir si elle porte une charge virale. Généraliser les tests diagnostics à partir des prélèvements buccaux est capital pour l’avenir de notre nation ».