Vie des campus

Établissement du supérieur : comment bien s’assurer ?

Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Stratégies

Universités et grandes écoles sont soumises à de nombreux risques touchant aux personnes et aux biens. Si la plupart des couvertures ne sont pas obligatoires, une bonne stratégie d’assurance répond à toute une palette d’actions et de choix, notamment pour couvrir une prise en charge financière de plus en plus incertaine. En effet, sur les dossiers sensibles, comme les évènements climatiques ou le risque cyber, l’heure est au désengagement des assureurs.

L’Université de Lorraine passe par des appels d’offres et par des marchés négociés selon les cas. - © RL / Anthony Picore
L’Université de Lorraine passe par des appels d’offres et par des marchés négociés selon les cas. - © RL / Anthony Picore

Les risques auxquels font face les établissements

Comme tous les établissements recevant du public (ERP), les établissements d’enseignement supérieur sont exposés à une large variété de risques.

Les dommages aux biens

Au premier chef, on compte ceux liés aux bâtiments (risques d’effraction, de vols, de dégâts des eaux, d’explosion, d’incendie, de dommages divers du fait des aléas climatiques).

« Se garantir contre de tels dommages n’est pas obligatoire, les établissements étant généralement propriétaires de leurs murs : seul le risque locatif fait l’objet d’une obligation d’assurance », commente Stéphane Migaud, conseiller technique marketing offre et service à la Maif.

L’autonomie des établissements les conduit à s’assurer eux-mêmes sans compter sur l’État, explique le directeur de l’Amue, Simon Larger. - © Amue
L’autonomie des établissements les conduit à s’assurer eux-mêmes sans compter sur l’État, explique le directeur de l’Amue, Simon Larger. - © Amue

Les pratiques évoluent. Ainsi, en matière immobilière, « les établissements publics ont longtemps considéré que, comme les biens immobiliers — sauf cas de dévolution — sont propriété de l’État et que l’État est son propre assureur, point n’était besoin de s’assurer. Cette approche est aujourd’hui rejetée par la doctrine, du fait de l’autonomie des établissements », précise Simon Larger, directeur de l’Agence de mutualisation des universités (Amue).

« Au vu des enjeux et des montants importants que peuvent présenter ces dommages, tous les établissements s’assurent aujourd’hui sur ce point », relève Stéphane Migaud.

Possiblement assurables également : les dommages aux biens meubles (équipements, véhicules notamment). La question de l’assurance porte aussi des enjeux financiers. « Les matériels scientifiques acquis dans le cadre de travaux de recherche peuvent représenter des montants particulièrement importants, en sus d’un enjeu scientifique primordial, pointe Simon Larger. Prendre une assurance peut s’avérer pertinent, d’autant que les primes d’assurance font partie des coûts éligibles auprès des financeurs comme l’Agence nationale de la recherche ou l’Union européenne. »

Les dommages aux personnes

Les établissements accueillent un grand nombre de tiers (étudiants, enseignants, personnels, invités…), exposés à des blessures ou agressions. D’abord, dans le cadre de leurs activités d’enseignement et de recherche. Mais aussi dans celui d’évènements comme les journées ou semaines d’intégration. Des aléas potentiellement couverts par l’assurance en responsabilité civile des associations étudiantes organisatrices, mais là encore, sans caractère obligatoire. Face à quoi certains ont pris le taureau par les cornes.

« Nous exigeons des associations qu’elles soient assurées en contrepartie de la mise à disposition d’un local », témoigne Sarah Weber, directrice des affaires juridiques de l’Université de Lorraine et membre de Jurisup, l’association des juristes de l’enseignement supérieur. 

La couverture de ce type d’aléa, ainsi que de ceux occasionnés par les manifestations et émeutes, passe par l’assurance en responsabilité civile de l’établissement, mais aussi par la souscription de garanties spécifiques, en matière de responsabilité personnelle des dirigeants et de protection juridique (visant à couvrir le risque en matière d’image, de gestion de crise ou de poursuites pénales).

Il est également fortement conseillé aux établissements de se couvrir pour les déplacements (voyages pédagogiques ou d’études, missions professionnelles).

Les risques financiers (pertes d’exploitation, faillites…)

Un poste peu mobilisé par les établissements, notamment publics. « L’Université de Lorraine ne s’assure jamais, car au sein de notre établissement le risque est relativement faible : nous ne sommes pas producteurs, et par ailleurs nos pertes d’exploitation sont facilement couvertes par nos ressources », explique Sarah Weber.

Miriam Zouari est directrice pédagogique de l’École nationale d’assurances. - © D.R.
Miriam Zouari est directrice pédagogique de l’École nationale d’assurances. - © D.R.

Trois risques qui montent

Les risques naturels (inondations, séismes, tempêtes, incendies…). ne font pas le plein. « Avant de se lancer, il convient de se livrer à un calcul avantages-risques, recommande Miriam Zouari, directrice pédagogique de l’École nationale d’Assurances (Enass). Le risque s’apprécie en fonction de l’exposition et le prix de l’assurance y est corrélé. »

Concernant les risques technologiques (cyberattaques, pannes électriques, accidents industriels…), là encore, peu d’établissements sautent le pas, en particulier contre le risque cyber, en dépit de la multiplication des attaques.

« L’assurabilité est controversée en fonction des équipements fournis aux étudiants et de l’absence de contrôle strict du niveau de sécurité sur chaque ordinateur. Certaines compagnies peuvent être réticentes », note Miriam Zouari.

Quid pour les mises en cause d’enseignants ou de responsables d’établissements dans le cadre de violences sexistes et sexuelles (VSS) ?  « Nous proposons un accompagnement à la gestion de crise, avec appel à des communicants spécialisés sur le sujet, ainsi qu’une couverture des frais de justice et des dommages et intérêts éventuels, sauf en cas de responsabilité directe », déclare Stéphane Migaud, de la Maif.

Là encore, à chacun d’estimer son ratio bénéfices-risques. « Beaucoup d’établissements ne s’assurent pas au-delà de ce qui est obligatoire. Peu d’assurances dédiées sont disponibles pour ce type d’évènements », observe Miriam Zouari.

Une configuration diversifiée d’acteurs et de démarches

Un panel d’assureurs varié

La Maif est l’assureur historique et toujours majoritaire du secteur, notamment dans le public. « Sur une centaine d’universités, nous en comptons une trentaine dans notre portefeuille, ainsi qu’une quinzaine de grandes écoles », détaille Stéphane Migaud.

Parmi les autres postulants aux appels d’offres, se trouvent les grosses compagnies, comme Axa, GMF ou encore SMALC (l’assureur des territoires), mais aussi des courtiers, comme Gras Savoye.

Différentes modalités de contractualisation

Procédure obligatoire pour les établissements publics : le passage par un appel d’offres, généralement renouvelé tous les quatre ou cinq ans. Une procédure lourde, de plusieurs mois. Ce qui n’empêche pas les structures de procéder parfois aux contrats négociés.

« Certaines de nos activités d’expérimentation, notamment en bioéthique humaine, sont difficiles à assurer. On publie un appel d’offres au premier chef, et en cas d’échec, on passe au marché négocié en faisant appel à des sociétés dont on sait qu’elles couvrent ce risque », expose Sarah Weber.

Les établissements privés peuvent contracter du gré à gré. « Mais un nombre croissant privilégient une procédure d’appel d’offres ou une mise en concurrence, du fait de la complexité des contrats au regard de l’importance du patrimoine et/ou de la spécificité des enseignements dispensés », précise Stéphane Migaud.

Une procédure longue et complexe

« En matière d’assurance, le premier réflexe doit être l’étude de sinistralité, afin de se doter d’une photographie des risques encourus par l’établissement. Quelles sont les natures de risques ? Quelles sont leurs fréquences de survenance ? Quelle est la valeur des biens concernés ?, etc. », présente Simon Larger, le directeur de l’Amue.

Serge Bourgine est directeur du département compétences à l’Amue. - © D.R.
Serge Bourgine est directeur du département compétences à l’Amue. - © D.R.

Pour ce faire, les établissements ont souvent recours à des assistances à maîtrise d’ouvrage (AMO). « Il est nécessaire de s’entourer de compétences pointues qui n’existent pas forcément au sein des directions juridiques, achats ou patrimoniales, acteurs habituels en interne sur ces dossiers », explique Serge Bourgine, directeur du département compétences à l’Amue.

L’AMO établit des questionnaires visant à évaluer les risques à la loupe auprès de chaque service. Il effectue aussi des visites sur site.

Sarah Weber témoigne pour l’Université de Lorraine :

« Tout est passé au crible : le bâti, le mobilier, les équipements, nos activités (sources ionisantes notamment, porteuses de risques biologiques…), nos effectifs, le nombre de jours de voyage à l’étranger par an, sans oublier les risques spécifiques comme l’utilisation de drones ou la pose de panneaux solaires… ».

Une première phase d’enquête qui peut aller jusqu’à un an. « L’AMO établit le projet de marché en relation avec les directions concernées de l’université, afin d’établir les différents lots et les documents du marché, ajoute-t-elle. Une fois le marché passé, l’université rencontre les assureurs pour établir fiches d’information sur les garanties et fiches de procédure pour les déclarations de sinistre. »

Des choix stratégiques à faire

Groupements : mutualiser ou pas ?

Deux stratégies cohabitent au sein des groupes d’écoles privées ou des regroupements d’établissements publics. La première, qui a longtemps été la règle : mutualiser au maximum le volume assurable afin de s’assurer des prix compétitifs. « Une approche qui se tient, car au global les risques ne sont pas très différents entre établissements », commente Stéphane Migaud. 

Autre stratégie, plutôt le fait des groupes d’écoles de droit privé : laisser son autonomie de contractualisation à chacun. Une logique moins économique, mais de connaissance de son propre risque et de liberté assurantielle.

Rassembler ou multiplier les prestataires ?

L’Université de Lorraine a choisi de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. « Pour le dernier appel d’offres, nous avons une douzaine de lots à l’étude, témoigne Sarah Weber. Une dispersion qui relève d’un choix délibéré : ainsi, auparavant, nous avions regroupé dans un seul lot tous les risques en responsabilité civile, en misant sur des tarifs plus avantageux. Or, les assureurs ont exclu certaines garanties de leurs propositions, notamment celles liées aux risques biologiques ou à l’usage de produits ionisants, ce qui nous a obligés à repasser par un dossier négocié. »

Pour couvrir ce portefeuille, l’établissement s’est entouré d’une demi-douzaine de compagnies différentes.  « C’est intéressant de diversifier et de faire jouer la concurrence. L’augmentation du nombre de lots ouvre l’accès au marché à davantage de compagnies, mais peut avoir pour revers une augmentation des primes des lots à plus faible enjeu économique. »

Le niveau de franchise, variable d’ajustement des coûts

Stéphane Mignaud est conseiller technique marketing offre et service à la Maif. - © D.R.
Stéphane Mignaud est conseiller technique marketing offre et service à la Maif. - © D.R.

Jouer sur le niveau de franchise est le moyen de limiter ses coûts. « C’est un équilibre à trouver entre la capacité d’autofinancement de l’établissement — et donc l’acceptation du coût résiduel de chaque sinistre — et la rentabilité économique pour l’assureur sur le montant des cotisations, en fonction de l’occurrence et de la fréquence estimées des sinistres », explique Stéphane Migaud.

La franchise, comme le reste, peut se négocier. De fait, plus le montant accepté est important, moindre sera la cotisation. Mais il faut placer judicieusement le curseur : que la franchise soit à la fois à la portée de la trésorerie et dissuasive pour les parties prenantes.

« Attention aux effets pervers des niveaux de franchise particulièrement bas, qui peuvent inciter les utilisateurs d’équipements à surdéclarer les vols ou les pertes, par exemple d’ordinateurs portables », prévient Sarah Weber.

Réévaluer régulièrement risques et conditions

Simon Larger et Serge Bougine recommandent aux établissements d’avoir une gestion proactive de leurs souscriptions. À moyen terme, d’une part.

« Regarder sur les trois, voire les cinq dernières années qu’elles ont été les risques réels, détaille le premier : si la prime d’assurance annuelle est supérieure aux risques réels, c’est qu’on est surassuré. »

À court terme, d’autre part. « Il convient de revoir annuellement le recensement des risques, en se basant, par exemple, sur les taux de sinistralités, et en réévaluant le cas échéant les risques, à la hausse ou à la baisse », conseille Serge Bougine.

Face à une conjoncture défavorable, des orientations à réévaluer

Un volet « assurances » de plus en plus cher et incertain

Stéphane Migaud ne s’en cache pas : en matière de tarifs, les perspectives ne sont pas bonnes. « Sur 2024 et 2025, le secteur annonce des augmentations de l’ordre de 10 à 30 % », déclare-t-il. Ce qui devrait peser lourd sur des budgets de plusieurs centaines de milliers d’euros.

Qui plus est, sur les dossiers sensibles, comme les évènements climatiques ou le risque cyber, l’heure est au désengagement des assureurs.

  • « Sur le premier, quand une région déclare trois ou quatre évènements cévenols par an, est-ce que cela reste un aléa ? », interroge Stéphane Migaud. À la clé, une couverture de plus en plus souvent dépendante du classement à l’état de catastrophe naturelle.
  • Et sur le second : « Aux États-Unis, ce risque n’est quasiment plus assuré depuis plusieurs années déjà, et en Europe on y arrive, car la fréquence des piratages rend de plus en plus compliqué de trouver le bon équilibre entre l’étendue de la garantie, son coût et la nécessité pour l’assureur de conserver un niveau de rentabilité », prévient Stéphane Migaud.

Nécessité d’aller de plus en plus vers une logique de prévention

Au regard de la fréquence des évènements climatiques notamment, garantir son patrimoine doit conduire assureurs et propriétaires à s’engager dans une nouvelle stratégie et associer au principe d’assurabilité celui de prévention.

Un domaine que les établissements doivent encore développer, en établissant une cartographie de leurs risques, à l’instant T et évolutive. Il faut, par ailleurs, envisager des réponses non seulement d’ordre assurantiel, mais aussi organisationnel.

« Par exemple, en matière d’inondation, est-ce que je suis capable d’identifier par paliers les zones touchées, et de prévoir précisément la mise en place de batardeaux ? », développe Stéphane Migaud.

Les établissements doivent se situer avant tout dans des plans de continuité ou de reprise d’activité, impliquant formation des personnels aux risques et procédures de gestion de crise.