Désormais, tous les chemins mènent à l’inspection générale
Par Marine Dessaux | Le | Concours/recrutement
L’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche accueille depuis septembre 2023, neuf nouveaux inspecteurs généraux. Ce service interministériel, qui exerce des missions de contrôle, d’audit et de conseil, résulte de la fusion de quatre inspections en 2019. Il s’ouvre désormais à une plus grande diversité de profils et offre la possibilité d’étendre son expertise à de nouveaux sujets.
Une contractuelle, un premier conseiller des tribunaux administratifs, une ingénieure de recherche, une directrice générale des services d’université, une ancienne directrice de cabinet adjointe de recteur d’académie… Les profils des neuf nouveaux inspecteurs et inspectrices généraux, dont les nominations ont été publiées au Journal officiel le 28 août, sont variés.
Une volonté affichée par Caroline Pascal, cheffe de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr), dans un contexte de fusion depuis 2019 des inspections de l’enseignement supérieur, de l’éducation nationale, des bibliothèques et du sport au sein de l’Igésr.
« Nous avons sélectionné des profils extrêmement solides en termes d’expertise et des parcours plus divers, avec des profils plus jeunes. L’enjeu pour l’avenir est de maintenir notre expertise traditionnelle, mais en s’ouvrant plus largement et en nous nourrissant de cette variété », souligne-t-elle dans une interview à News Tank Éducation & Recherche (abonnés).
Une étape à part dans un projet professionnel
Prendre du recul sur ses activités
« Faire un pas de côté. » C’est ainsi que Christine Darnault décrit sa nouvelle prise de fonctions. Une volonté qui l’a poussée, tout au long de sa carrière, à s’éloigner d’un métier qu’elle pensait pourtant rapidement retrouver. Agrégée de lettres classiques, elle a été enseignante de français, latin et grec « avec bonheur et passion » en collège puis en lycée en région parisienne.
Au bout d’une dizaine d’années, elle devient formatrice d’enseignants, notamment en langues anciennes. « Ce qui m’amène à me décaler un peu », observe-t-elle. Elle prend un poste vacant d’inspectrice d’académie - inspectrice pédagogique régionale (IA-IPR) de lettres en 2017 « en pensant réintégrer sa classe l’année suivante ».
« Dans une carrière d’enseignant, il y a assez peu d’opportunités de faire autre chose. Quand j’ai eu celle de travailler aux côtés des inspecteurs, j’ai voulu en profiter pour revenir devant les élèves avec un regard supplémentaire », explique Christine Darnault.
Le métier lui plait et elle passe le concours. « C’était en réalité plus qu’un pas de côté, je m’engageais dans un autre rapport à l’enseignement. » Après deux années comme inspectrice au sein de l’Académie de Créteil, elle accepte la proposition du recteur de le rejoindre comme chargée de mission Laïcité valeurs de la République (2019 à 2020). Elle est ensuite directrice de cabinet adjointe du recteur jusqu’en 2023. Des postes « plus politiques, mais qui ne touchent pas moins à la vie de l’élève ».
Si avoir été enseignante n’est pas un profil très original à l’inspection générale, son expérience politique est moins commune pour une littéraire. « Les inspecteurs de lettres ont souvent un rapport fort à leur discipline », remarque-t-elle.
L’Igésr est l’opportunité pour Christine Darnault de revenir à sa discipline. Elle ajoute : « Ce poste rencontrait mon projet professionnel en me permettant de continuer à travailler sur les politiques éducatives avec des collègues d’horizons variés. Pour moi qui ai fait toute ma carrière dans une seule académie, c’était l’occasion de me nourrir d’autres territoires. Finalement, mon parcours est une succession de pas de côté ! »
Une expérience complémentaire même pour des profils moins attendus
Un premier conseiller des tribunaux administratifs et des cours administratives, inspecteur général ? Un choix de carrière pas si curieux qu’il n’y paraît ! Pour Antoine Berrivin, cela correspond même à « une certaine complémentarité de parcours », dans la lignée de son intérêt pour les politiques publiques au service de la jeunesse.
Commissaire de la marine de 1997 à 2012, il a notamment occupé des fonctions à dominante juridique, ainsi que dans les ressources humaines. Devenu magistrat en 2012, il exerce au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, puis de Caen. Et en tant que réserviste au sein de l’inspection de la marine nationale depuis 2016, il a assuré des missions d’audit portant notamment sur la formation des marins.
Ce poste à l’Igésr, il y pensait depuis longtemps. « J’ai côtoyé des inspecteurs généraux lorsque j’ai été jury de concours de recrutement des IA-IPR, en tant que personnalité extérieure à l’éducation nationale de 2016 à 2020. »
Une expérience qui lui permet de connaître une autre facette de la résolution des conflits : « L’Igésr procède à des investigations, en particulier à l’audition des protagonistes de l’affaire, et propose des recommandations ou différents scénarios possibles de sortie de crise … Le jugement intervient bien plus tard et un tribunal tranche uniquement en se souciant de la légalité. »
Approfondir un sujet au niveau national
Pour Marc de Falco, être inspecteur général c’est pouvoir renforcer son impact sur son sujet de prédilection : l’enseignement de l’informatique en France.
Une problématique à laquelle il s’est attaqué après avoir été nommé en 2011 professeur de mathématiques et d’informatique de classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE) au lycée international de Valbonne dans les Alpes-Maritimes. Il participe à la mise en place d’une classe précurseure de la section mathématique, physique, ingénierie et informatique (MP2I). Par la suite, en tant que professeur d’informatique en MP2I, puis MPI dans ce même établissement, il se penche sur la généralisation des cours d’informatique en prépa.
« Développer l’enseignement de l’informatique en France est quelque chose qui m’intéresse et m’importe. Je suis d’une génération où il a fallu, plus ou moins, se former seul avant les études supérieures. Ce qui introduit beaucoup de biais sociaux et de genre », raconte-t-il.
Une phase de réflexion pour entamer de nouveaux projets
Marie-Dominique Savina en est sûre, elle ne redeviendra pas directrice générale des services (DGS). Son arrivée à l’inspection générale coïncide avec une nouvelle étape de son parcours, « une phase de réflexion », résume-t-elle.
Elle démarre sa carrière à l’Institut national de la recherche agronomique (aujourd’hui Inria) en 2001, comme déléguée adjointe aux affaires européennes avant de devenir directrice des services d’appui du centre Inra de Lille en 2005.
« J’ai souhaité partir en 2010, j’avais fait le tour de mes fonctions. Le pendant formation de l’Université Lille 1 m’intéressait. » Elle rejoint ainsi l’établissement en 2010 comme DGS adjointe.
Elle occupe cette fonction durant six ans avant de prendre le poste de DGS par intérim, en septembre 2016. Elle est nommée, en janvier 2018, DGS adjointe de l’Université de Lille puis directrice générale des services en juillet 2020. De mars 2022 à l’été 2023, elle redevient DGS adjointe.
Elle se retrouve « happée dans un tourbillon », avec l’enchainement de la fusion des trois établissements, la structuration de l’établissement public expérimental (EPE), la réorganisation interne forte en raison du Programme d’investissement d’avenir, la diminution du nombre de composantes de 37 à 11, le projet I-site…
« J’étais certaine d’une chose en postulant pour devenir inspectrice générale : je ne candidaterai pas sur un poste de DGS. Ce sont des fonctions difficiles, plus encore avec la crise sanitaire et les contextes budgétaire et social contraints. »
Sur ce qui l’a amené à cette fonction, elle ajoute : « Je me suis toujours dit que je reviendrai à l’évaluation des politiques publiques. J’avais aussi besoin de me nourrir après avoir été dans mode opérationnel aussi dense, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour réfléchir et prendre du recul sur les projets que j’ai eu à conduire. C’est une période d’entre-deux. »
Sur quoi vont-ils de travailler ?
En prenant leurs fonctions, les inspecteurs et inspectrices généraux ne savent pas précisément quels dossiers leurs seront attribués : ils se portent volontaires sur des missions désignées (voir encadré). Ils ont en revanche connaissance des expertises qu’ils seront amenés à mobiliser.
Étant magistrat, Antoine Berrivin mènera des enquêtes et produira des rapports. Tous n’ont pas vocation à être rendus publics. Certains peuvent être annoncés — comme l’a fait récemment le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, Gabriel Attal, après le suicide d’un lycéen à Poissy le 5 septembre.
En tant que DGS, Marie-Dominique Savina a connaissance des enjeux de gestion financière et RH. « Mon profil correspond à des missions d’accompagnement et de conseil, je pense notamment sur les audits de dévolution du patrimoine, en lien avec la structuration des composantes ou du système d’information. » Une expertise utile pour nourrir les réflexions de « la réalité du terrain ».
Christine Darnault sera positionnée sur le pilotage national des disciplines de lettres, une mission en résonnance avec son expérience d’IA-IPR. « Avec les autres membres de ce groupe disciplinaire nous nous partagerons le pilotage des examens (bac et brevet de français, recrutement des enseignants), mais aussi des programmes. » En plus de ces missions permanentes lui seront attribuées des missions ponctuelles.
À l’instar de sa collègue, Marc de Falco sera positionné sur des missions permanentes au sein d’un collège disciplinaire : celui de la gestion des enseignements. « Les besoins actuels du poste sont sur l’informatique, mais aussi en mathématiques », rapporte-t-il.
L’opportunité de diversifier son expertise
Quatre inspections fusionnées, c’est autant de chances de travailler de toucher à de nouveaux sujets. « Un scope qui inclut la jeunesse et le sport ouvre beaucoup nos perspectives de réflexion. Cela permet de découvrir des champs auxquels nous n’aurions pas pensé. J’aimerais travailler sur le second degré, sur ce qu’est la fonction d’un chef d’établissement notamment », explique Marie-Dominique Savina.
Christine Darnault partage ce constat de missions transverses potentiellement très diverses. Elle a déjà examiné le plan de travail de l’inspection générale : « Tout m’intéresse, j’ai candidaté sur beaucoup de sujets ! »
Antoine Berrivin est particulièrement intéressé par les missions touchant à l’évaluation des politiques publiques et au fonctionnement des administrations. Le ministère de l’éducation nationale dispose d’une administration centrale, mais aussi d’administrations déconcentrées, les rectorats et les directions départementales.
« Cela m’intéresserait d’aller sur le terrain voir comment ces structures travaillent et comment elles pourraient être plus efficaces. La subsidiarité, la simplification des procédures, mais aussi de la qualité de vie au travail des personnels de ces services sont de vrais défis ! »
15 missions thématiques sur le plan de travail de l’Igésr en 2023-2024
Le programme de travail pour l’année scolaire et universitaire 2023-2024 de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche a été publié aux Bulletins officiels des ministères de l’ESR et de l’éducation nationale, le 7 septembre. Il est prévu 15 « missions thématiques d’évaluation et de conseil, à visée prospective, de nature à nourrir la réflexion, proposer des transformations et éclairer la décision ».
Sur le volet enseignement supérieur, figurent notamment : le BTS à l’heure des bachelors publics et privés ; le pilotage et la régulation de l’accès à l’enseignement supérieur entre les formations, les académies et le MESR à travers Parcoursup ; la place des composantes et les niveaux intermédiaires dans les universités ; gouvernance des systèmes d’information.
Formation : qu’en attendent-ils ?
Les 4 et 5 septembre se déroulait le séminaire de rentrée de l’Igésr, qui a été l’occasion pour les neuf nouveaux inspectrices et inspecteurs généraux de rencontrer leurs collègues. Ils se retrouveront bientôt entre eux à l’occasion d’une formation.
Qu’en attendent-ils ? « J’arrive avec une expertise disciplinaire, mais la mission d’inspecteur général dépasse ce cadre, note Marc de Falco. C’est à mon tour de profiter de l’expertise — administrative, juridique, sur l’organisation de l’administration centrale — de l’inspection générale. Afin de réussir à l’articuler, j’ai notamment besoin d’apprendre à mener à bien une enquête administrative susceptible de suites disciplinaires. »
La déontologie sera également au cœur de cette formation. « Nous devons respecter une charte avec des règles propres à tous les inspecteurs généraux », rappelle Antoine Berrivin. Il ajoute avoir encore à apprendre à manier les outils techniques de l’inspection générale. Côté connaissance du terrain, il connait déjà le monde universitaire ayant donné des cours dans différentes universités tout au long de sa carrière.
Pour Marie-Dominique Savina, ce sont notamment les champs des recherches bibliographiques, l’utilisation de la base de données variées et le cadre réglementaire qui seront à approfondir. Christine Darnault estime elle avoir besoin d’accompagnement sur des aspects très concrets.
« Se familiariser à un nouvel environnement, aux codes et aux outils, connaître les gestes métiers… J’ai encore beaucoup à apprendre ! »
Quel horizon dans cinq ans ?
Depuis la réforme de la haute fonction publique et la « fonctionnalisation » des inspections, voulue par le président de la République Emmanuel Macron et entrée en vigueur en juin 2021 via une ordonnance, l’inspection générale devient un passage. Les inspecteurs généraux ne sont nommés que sur une durée déterminée de cinq ans, renouvelable une fois.
« Nous devons penser la suite en termes de mobilité pour proposer une sortie sur un nouvel emploi au bout de cinq ans ; c’est un enjeu d’ailleurs aussi pour notre plan de formation. Celui-ci a été remodelé pour couvrir les deux aspects : préparer très vite à exercer les missions d’inspecteur général et ouvrir sur d’autres compétences utiles par la suite », affirme Caroline Pascal.
Comment nos interlocuteurs imaginent-ils l’avenir ? C’est un peu tôt pour le dire, s’accordent-ils à répondre. Mais ils mentionnent quelques pistes. « Je n’ai pas encore de projet de carrière fixe, mais suis intéressée par tout ce qui concerne l’insertion professionnelle et les publics en difficulté », dit Marie-Dominique Savina.
Antoine Berrivin, lui, laisse la porte ouverte à deux possibilités : repartir dans les juridictions administratives ou poursuivre dans un autre poste au sein d’un des ministères relevant du périmètre de l’Igésr.
Marc de Falco sait également qu’il pourra réintégrer un poste de professeur de chaire supérieure. S’il ne sait pas encore lesquelles, il aimerait participer à des missions qui vont au-delà de son domaine de compétences. « Je voudrais découvrir où je peux apporter quelque chose, j’ai cinq années pour ce cheminement », apprécie-t-il.
Pour Christine Darnault, il est encore prématuré pour se projeter, mais elle n’est pas inquiète. « Les pistes sont assez nombreuses, la direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco) par exemple. Ma vie professionnelle a été pleine de surprises, il y a plus d’opportunités que d’angoisse ! »
Deux campagnes de recrutement à venir
Les prochaines campagnes de recrutement des Igésr auront lieu en automne pour une nomination au 1er janvier 2024 et au printemps, pour une nomination au 1er septembre 2024.
« Nous recrutons via deux auditions, l’une qui vérifie les compétences métier, l’autre qui évalue la motivation. Nous aurons une dizaine de profils ouverts à chaque campagne, ce qui reste compatible avec les agendas des membres du comité de sélection », détaille Caroline Pascal.