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Le pari gagnant de l’Université de Liège pour mettre en valeur le doctorat sur les réseaux sociaux

Par Antoine Bovio | Le | Doctorat

Faire sourire en demandant à des parents le sujet de thèse de leur enfant : c’était l’idée de l’Université de Liège, en marge de la cérémonie de remise de diplômes de ses 250 docteurs, le 23 mars dernier. Le résultat sur les réseaux sociaux ? Une vidéo virale qui cumule plus de 2,9 millions de vues sur Instagram et 1,5 million de vues sur TikTok. Décryptage de ce succès.

L’Université de Liège cumule plus de 689 000 mentions j’aime sur son compte Tik Tok. - © Université de Liège
L’Université de Liège cumule plus de 689 000 mentions j’aime sur son compte Tik Tok. - © Université de Liège

En pleine accélération depuis la pandémie, les vidéos à format court présentes sur Tik Tok ou sous forme de « réels » sur Instagram engrangent des millions de vues chaque jour. Un phénomène que certaines universités ont su exploiter, comme l’Université de Liège qui multiplie les contenus viraux sans avoir un budget conséquent. Ce qui lui permet de fédérer sa communauté étudiante en interne et de rayonner au-delà des frontières de la Belgique. 

Un concept travaillé 

Alice Lacroix, chargée de communication des réseaux sociaux étudiants de l’Université de Liège depuis 2022, a deux missions : développer la communauté étudiante liégeoise sur les réseaux sociaux et assurer la visibilité de la rectrice de l’université via une communication digitale quotidienne.

Pour cela, elle effectue sa veille sur la version américaine du réseau social Tik Tok. Une habitude qui lui permet de prendre de l’avance sur les tendances outre-Atlantique qui afflueront sur la version européenne, quelques semaines plus tard.

Alice Lacroix est chargée de communication des réseaux sociaux étudiants de l’Université de Liège. - © D.R.
Alice Lacroix est chargée de communication des réseaux sociaux étudiants de l’Université de Liège. - © D.R.

En octobre 2023, elle repère des contenus sur une cérémonie de remise des diplômes. « La réaction des parents qui se levaient et applaudissaient dans le fond était filmée. C’était émouvant et cela a très bien marché », explique celle qui est aussi l’ancienne présidente des étudiants de l’établissement.

L’idée est mise de côté, avec la volonté de s’en inspirer au moment le plus opportun : la cérémonie de remise du doctorat de l’établissement liégeois, le 23 mars 2024. Alice Lacroix, accompagnée d’une stagiaire, interroge parents et enfants avec cette question fatidique : « Quel est le titre de la thèse de votre enfant ? »

Publiée à l’issue de l’événement, la vidéo de moins de deux minutes cumule plus de quatre millions de vues sur Tik-Tok et sur Instagram en un mois. L’engouement est tel que l’établissement dépasse largement son précédent record de « j’aime » pour une vidéo sur Instagram : de 3 600 à plus de 150 000. 

Une viralité inattendue et expliquée

Le buzz est inattendu. Et quand Campus Matin demande une explication à ce phénomène au directeur de la communication de l’Université de Liège, Quanah Zimmerman, il avance : « Nous avons tous quelqu’un dans notre entourage qui a fait une thèse et à laquelle nous ne comprenons absolument pas le sujet. Il y a un effet comique fort, accentué par l’accent belge, qui a certainement séduit. »

Alice Lacroix et Elina Edilsoulatonova élaborent en duo les formats courts diffusés sur Instragram et Tik Tok.  - © Université de Liège
Alice Lacroix et Elina Edilsoulatonova élaborent en duo les formats courts diffusés sur Instragram et Tik Tok. - © Université de Liège

La majeure partie du temps en binôme avec Elina Edilsoultanova, en contrat étudiant au service communication, Alice Lacroix a voulu « miser sur le sentiment d’appartenance et l’euphorie associée au port d’une toge et de la cérémonie. Le tout lors d’un moment émotionnel, alors que les familles ont soutenu leur enfant ou conjoint pendant des années, en ne sachant pas exactement ce qu’ils font, mais qu’ils sont passionnés. »

Si la vidéo n’a pas pour objectif premier de valoriser le doctorat et la recherche, Alice Lacroix observe des conséquences positives pour l’image des futurs docteurs.

« Les doctorants manquent souvent de visibilité sur les réseaux sociaux étudiants. Nous avons trouvé que cela serait très positif de les voir enfin à l’image et de montrer qu’ils ne se résument pas à des gens enfermés dans leur laboratoire. »

Miser sur l’humour pour stimuler le sentiment d’appartenance

Cette vidéo n’est pas le seul contenu viral de l’Université de Liège. En mettant en avant sa réputation accueillante et festive, l’établissement sait séduire en externe, mais cible aussi sa communauté. 

Pour ce faire, l’université n’hésite pas à interpeller les siens dans ses vidéos, en tournant en dérision des situations du quotidien. Sur Tik Tok, c’est une vidéo de ce type qui a le plus fonctionné : celle de l’insolite escalier d’un amphithéâtre, dont la descente complexe parle à tout étudiant ayant fréquenté l’université, qui a récolté 1,6 million de vues.

@universitedeliege Elles sont toujours trop longues et en même temps trop courtes #uliege #murderonthedancefoor #awkward #examen ♬ Murder On The DanceFloor - speduqaudio

Ce type de contenu peut aussi être réalisé pour sensibiliser sur les bons réflexes à avoir dans le campus. « Il y a une vidéo où nous nous moquons gentiment de nos étudiants qui n’enlèvent pas leur frein à main quand ils se garent sur le parking pentu du campus. Et une voiture qui bouge, cela peut faire des dégâts et bloquer toute la circulation », souligne Alice Lacroix.

Si séduire hors les murs a du bon, la finalité est de toucher le plus d’étudiants liégeois. C’est d’ailleurs l’un des objectifs affichés par la communication en investissant ces réseaux sociaux : informer une communauté étudiante pour qui les mails et les adresses postales ne suffisent plus. 

« Il faut leur diffuser de l’information d’intérêt général : voilà toutes les bourses, les aides sociales, psy, à la réussite… Il faut accumuler de l’audience et pour cela, les faire rire, je ne vois rien de mieux ! », ajoute Alice Lacroix.

Trouver le juste milieu dans sa communication sur les réseaux sociaux

Avec un humour caractérisé dans ces vidéos, tournant en dérision ses 25 000 étudiants et même elle-même, la direction de la communication de l’Université de Liège a conscience de la ligne à ne pas franchir. 

« Notre établissement a plus de 200 ans d’histoire qu’il faut honorer. Mais nous pensons que la vraie connexion, c’est de reconnaître les dysfonctionnements, propres à toute institution, de façon légère », souligne Quanah Zimmerman. Le juste équilibre est ainsi à trouver entre entretenir une proximité, une relation de confiance avec ses étudiants et ne pas décrédibiliser l’université. 

« Nous aimerions développer encore plus cette fibre de complicité où nous parvenons à être taquins avec eux afin qu’ils ressentent un sentiment d’appartenance à l’université, sans la distance qu’il peut y avoir avec un professeur », indique Alice Lacroix. 

Les limites d’une exposition institutionnelle 

Le ton humoristique de la vidéo sur le doctorat peut-il renforcer l’image d’une recherche obscure et inaccessible pour le grand public ? « Des commentaires disent que certaines thèses ne servent à rien ou sont trop de niche et ne concernent que les initiés. Pour certains, il y a cette image de tour d’ivoire avec des chercheurs qui parlent à d’autres chercheurs », reconnaît Alice Lacroix.

Quanah Zimmerman est le directeur de la communication de l’Université de Liège. - © D.R.
Quanah Zimmerman est le directeur de la communication de l’Université de Liège. - © D.R.

Quanah Zimmerman temporise en soulignant que « d’autres canaux de communication existent pour montrer l’implication de la recherche et son service à la société ». Une nécessité se fait cependant jour : modérer les nombreux commentaires et répondre aux messages hostiles, en ouvrant à l’échange.

Le directeur de la communication de l’Université de Liège y est confronté par sa fonction, notamment en période électorale, avec les élections européennes du 6 au 9 juin 2024, où il faut peser chaque mot quand on porte la parole d’une institution.

« Nous avons récemment distingué un docteur honoris causa. J’ai fait un post LinkedIn sur ma page personnelle pour l’évoquer et j’ai dû en découdre avec des gens opposés à cette distinction. Il faut accepter que certains débats qui touchent à la politique puissent susciter des avis divergents. » Impossible d’y couper : qui dit viralité dit exposition.