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Le serment d’intégrité scientifique des nouveaux docteurs fait débat

Par Marine Dessaux | Le | Doctorat

Depuis janvier 2023, une étape supplémentaire clôture la soutenance de thèse : la prestation d’un serment relatif à l’intégrité scientifique. Cette nouveauté, introduite dans la loi à l’initiative de sénateurs, suscite des réticences parmi les universitaires. Le 3 février, la 22e section du Conseil national des universités adoptait une motion pour la suppression du serment. Ce qui n’a pas manqué de faire réagir et pose de nouvelles questions.

« Je m’engage à maintenir une conduite intègre dans mon rapport au savoir », dit notamment le serment. - © Freepik/ Pikisuperstar
« Je m’engage à maintenir une conduite intègre dans mon rapport au savoir », dit notamment le serment. - © Freepik/ Pikisuperstar

Instauré par arrêté fin août 2022 et officiellement inscrit dans le procès-verbal de soutenance depuis le 1er janvier 2023, le serment doctoral d’intégrité scientifique fait désormais juridiquement partie de l’expérience de thèse.

Pierre Ouzoulias est un des instigateurs du serment doctoral. - © PCF
Pierre Ouzoulias est un des instigateurs du serment doctoral. - © PCF

Et pourtant, à peine mis en œuvre, il s’attire les foudres de certains détracteurs. Le 3 février dernier, la 22e section (« Histoire et civilisations ») du Conseil national des universités (CNU) adoptait à l’unanimité une « motion contre le serment du doctorat ». L’instance nationale, qui se prononce sur les carrières des enseignants-chercheurs, exige « la suppression pure et simple de ce serment ».

La motion est « une réaction de personnes protégées par leur statut et incapables de comprendre le destin des précaires », a réagit l’un des « pères » du nouveau sermet, Pierre Ouzoulias, sénateur communiste des Hauts-de-Seine, dans un entretien à News Tank Éducation & Recherche (libre accès), le 21 février.

Il n’en fallait pas plus pour que le débat sur ce nouveau dispositif s’enflamme sur les réseaux sociaux. 

Une origine politique qui passe mal

Pour la 22e section, ce sont l’existence et la formulation du serment doctoral qui sont à l’origine de « menaces graves » sur les libertés académiques et sur le diplôme du doctorat. Elles introduiraient « le principe d’un contrôle moral de l’enseignement et de la recherche »

D’où viennent de telles réticences ? De l’origine politique de ce dispositif, d’abord. Ce sont les élus communistes Pierre Ouzoulias, Jérémy Bacchi et Céline Brulin qui ont présenté, devant le Sénat, un amendement à la Loi de programmation de la recherche, le 29 octobre 2022.

« D’autres acteurs viennent nous dire, à nous, monde académique, ce qu’il faut faire avec une dimension d’injonction morale. » Ce reproche, Stéphanie Ruphy, directrice de l’Office français de l’intégrité scientifique (Ofis), qui a participé à rédiger le texte du serment, l’a entendu des universitaires.

Et pourtant, c’est des besoins exprimés par la chercheurs qu’est issu le serment : « Quand nous avons entamé notre travail avec Pierre Henriet [député Renaissance de Vendée], nous avons interrogé la communauté universitaire sur leurs besoins en termes d’intégrité scientifique. C’est elle qui nous a exprimé le besoin d’outils législatifs », raconte Pierre Ouzoulias.

D’outil de valorisation du doctorat à garant de l’éthique

Autre point sensible : l’évolution de la valeur du serment depuis son apparition, remarque Françoise Waquet, directrice de recherche émérite au CNRS, elle-même historienne et autrice de Parler comme livre. L’oralité et le savoir (Albin Michel, 2003).

Françoise Waquet est historienne spécialiste des formes de l’oralité dans l’histoire. - © D.R.
Françoise Waquet est historienne spécialiste des formes de l’oralité dans l’histoire. - © D.R.

En effet, l’amendement, voté à l’unanimité par le Sénat, mentionnait la dimension « un peu symbolique » de ce serment, qui vise « à redonner de la valeur au doctorat et à la thèse, ainsi qu’à la soutenance », relève Françoise Waquet.

Un angle différent de celui présenté après sa mise en place : le serment est alors affiché comme un « moyen de contenir, limiter, éviter les mauvaises pratiques scientifiques, et de rappeler un devoir d’intégrité scientifique », relève la chercheuse.

Un flou entretenu autour du caractère obligatoire

Le serment doctoral, obligatoire ou non ? La réponse à cette question simple ne l’est pas. Un flou qui ne contribue pas à rendre lisible cette innovation. Car s’il est inscrit dans la loi, ce dispositif n’est pas juridiquement contraignant et refuser de s’y soumettre ne conditionne pas l’obtention du diplôme de doctorat.

Stéphanie Ruphy est directrice de l’Ofis. - © Seb Lascoux
Stéphanie Ruphy est directrice de l’Ofis. - © Seb Lascoux

Même entre promoteurs du serment, les discours divergent. « Le message à faire passer n’est pas de dire qu’il n’est pas obligatoire. On ne peut pas être plus obligatoire que par la loi », disait Stéphanie Ruphy, lors de l’événement « Premiers témoignages de prestation du serment d’intégrité scientifique » organisé par l’Académie des sciences, l’Ofis et le Réseau national des collèges doctoraux (RNCD), le 13 décembre 2022.

Au contraire, Pierre Ouzoulias évoque un dispositif complètement libre : « Le serment n’est pas obligatoire. Les étudiants font leur choix en conscience. » Dès lors, les interrogations se multiplient dans la communauté universitaire. 

Sylvie Pommier est directrice du collège doctoral de l’Université Paris-Saclay. - © D.R.
Sylvie Pommier est directrice du collège doctoral de l’Université Paris-Saclay. - © D.R.

La 22e section du CNU appelle les doctorants à refuser systématiquement de prononcer le serment. Quelles pourraient-être les conséquences pour le docteur réfractaire ? Sylvie Pommier, présidente du Réseau national des collèges doctoraux (RNCD) se veut prudente : 

« Les procès-verbaux de soutenance sont présentés dans un certain nombre de contextes - prix de thèse, qualification aux fonctions de maître de conférences, candidatures sur des postes de chercheurs ou d’enseignants chercheurs - et même en dehors de ces aspects formels, la soutenance est publique et un refus de prononcer le serment d’intégrité scientifique le serait aussi. Aujourd’hui, personne ne peut dire quels usages pourront se développer autour du serment, si le fait de ne pas le prononcer aura des conséquences ou non et lesquelles. »

Derrière le serment, une volonté de protéger

L’un des intérêts du serment est de pouvoir être invoqué en cas d’injonctions contraires à l’éthique. « Les doctorants ou les jeunes docteurs subissent une double injonction, entre des situations de manquements à l’intégrité scientifique et leur éthique : le serment, c’est ce qui permet de refuser », fait valoir Pierre Ouzoulias.

L’intégrité de la pratique scientifique est cependant déjà encadrée et protégée par « la loi et des instances collégiales représentatives comme le CNU », estime la 22e section du CNU. 

Des réfractaires isolés ?

Si le Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS-FSU) a développé un argumentaire contre le serment du doctorat, la 22e section du CNU semble assez isolée au sein de l’instance nationale, selon Françoise Waquet.

Elle ne reflète pas non plus l’opinion des doctorants ou des encadrants, comme le révèle une enquête menée par le Réseau national des collèges doctoraux du 16 janvier au 17 février 2023 (9367 doctorants répondants).

En effet, un peu plus de 70 % des doctorants et 67 % des encadrants estiment que l’introduction du serment doctoral d’intégrité scientifique est une bonne ou une très bonne mesure. Et cela malgré le fait qu’un tiers des répondants a découvert l’existence du serment doctoral en répondant à l’enquête !

Les premiers témoignages des docteurs ayant prononcé le serment, entendus lors d’une soirée à l’Académie des sciences en décembre dernier, mettent par ailleurs en exergue l’importance de ce moment solennel, au terme d’au moins trois années de travail intensif. 

« La thèse, c’est un rite. Cela peut être vu comme un rite de passage, mais aussi un rite d’institution, puisque les membres du jury déclarent la personne docteure. Le moment de la prononciation cristallise les difficultés rencontrées, les peurs liées au fait de ne pas y arriver etc », souligne Françoise Waquet.

Une division entre disciplines à prévoir ?

Les voix contre le serment doctoral seront-elles plus nombreuses à s’élever en sciences humaines et sociales que dans les autres disciplines ?

Pas chez les doctorants, révèle l’enquête menée par le RNCD. « Il ne serait pas pertinent d’opposer les sciences humaines et sociales (SHS) aux autres domaines. Parmi les disciplines de ce domaine, la part de doctorants favorables ou très favorables atteint un maximum de 86 % en “finance management” et un minimum de 61 % en “science politique” », analyse Sylvie Pommier, présidente du RNCD et directrice du collège doctoral de l’Université Paris-Saclay.

De l’importance d’ouvrir le débat

Thierry Coulhon est président du Hcéres. - © Hcéres
Thierry Coulhon est président du Hcéres. - © Hcéres

C’est peut-être cela, l’effet indirect de la motion de la 22e section du CNU : faire parler du serment et lui donner la visibilité qui lui manquait.

« Le serment doctoral est un changement de pratique, un changement culturel. Au-delà du fait qu’il y ait une obligation dans la loi, la question est : les communautés vont-elles s’en servir ou non ? Car si elles ne s’en emparent pas du tout, ce sera un échec », résume Thierry Coulhon, président du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), interrogé le 7 février 2023, lors d’une conférence de presse de l’institution.

Première piste pour expliquer et démontrer l’intérêt de cette mesure : « Intégrer la présentation du serment dans les cours d’éthique de la recherche, aux niveaux master et doctorat », propose Françoise Waquet.

Quelles suites ?

Dans sa motion, la 22e section du CNU demande à la commission permanente de l’instance (CP-CNU) de se saisir de la question et appels à engager des recours juridiques « par toutes les voies possibles ». Une idée qui n’a pour l’heure pas obtenu de réponse. De son côté, Pierre Ouzoulias se dit ouvert à recueillir les réflexions du CNU sur l’intégrité scientifique.