« L’éthique devrait imprégner les trois ans de doctorat en continu »
Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Doctorat
Meriem Koual est gynécologue obstétricienne dans le service de chirurgie cancérologique gynécologique et du sein à l’hôpital européen Georges Pompidou (Paris). En 2018, alors thésarde en biologie fondamentale, elle a mené une étude sur la formation à l’éthique et à l’intégrité scientifique au sein des écoles doctorales françaises. Rencontre.
« Dresser un état des lieux le plus exhaustif possible »
Pouvez-vous nous présenter le contexte global de votre travail ?
La formation à l’éthique de la recherche et à l’intégrité scientifique des doctorants au cours de leur formation, toutes spécialités confondues, est obligatoire depuis mai 2016. Elle est confiée aux écoles doctorales (ED), qui sont libres d’organiser cet enseignement comme elles le souhaitent.
J’ai réalisé une étude auprès de l’ensemble des ED de France afin de connaître les modalités de cette formation en 2018. Objectif : dresser un état des lieux le plus exhaustif possible.
Pourquoi le sujet vous a-t-il interpellée ?
J’ai répondu à un appel d’offres passé par les ED auprès des étudiants pour présenter une étude sur la question de l’éthique alors que j’étais à Boston un an dans le cadre de ma thèse. J’ai réalisé que je n’avais bénéficié d’aucune formation à l’éthique dans le cursus médical, alors qu’il s’agit d’une question transversale très importante pour des médecins, et pas seulement pour faire de la recherche.
J’ai réalisé que je n’avais bénéficié d’aucune formation à l’éthique dans le cursus médical
Ce n’est que dans le cadre de mon doctorat en sciences que j’ai été sensibilisée aux questions d’intégrité scientifique lors d’une journée d’initiation, sur la base d’un séminaire avec des professionnels, organisée dans le cadre de la nouvelle loi.
Aux États-Unis, cela bougeait aussi sur le sujet. Je me suis dit qu’il serait intéressant de voir ce qu’il se passait réellement du côté des formations des jeunes chercheurs en France.
Une question qui interpelle
Comment avez-vous procédé pour mener votre enquête ?
J’ai adressé à chacune des 273 écoles doctorales accréditées répertoriées sur le site data.gouv.fr un formulaire Google comportant six questions. J’ai obtenu, au final, 153 réponses, soit 56 % ce qui est un bon taux pour un questionnaire en ligne : cela veut dire que la question intéresse. 33 % de ces ED proposent une formation en sciences humaines et sociales (dont droit, économie et gestion) ; 31 % en sciences technologiques ; 25 % en biologie, médecine et santé ; et 11 % sont multidisciplinaires.
Quels sont les grands résultats de cette étude sur le plan quantitatif ?
Sur les modalités de mise en place, le panorama semble plus fragile
Le point fort de l’étude, c’est que 93 % des ED ont suivi le cadre légal et mis en place une formation spécifique. Et celles qui n’en proposent pas renvoient vers une offre extérieure. Ce qui témoigne d’une prise de conscience générale de l’importance de ces sujets pour la recherche de demain.
Par contre, lorsqu’on se penche sur les modalités de mise en place, le panorama semble plus fragile.
Cet enseignement est obligatoire dans 75 % des cas, optionnel dans 25 %. On compte 37 % de cours en présentiel, 35 % de conférences ou séminaires et 23 % de cours en ligne. Le volume horaire d’enseignement est très faible : le plus souvent (dans 62 % des cas), il est compris entre 2 et 10 heures. Il dure entre 10 et 20 heures dans 21 % des cas. S’il monte à plus de 20 heures pour 4 % des ED, 13 % d’entre elles y consacrent moins de 2 heures.
Quant à l’évaluation des connaissances, elle est quasiment inexistante.
Et sur le plan qualitatif, quelle est la teneur de ces formations ?
La France a démontré son savoir-faire
Sur le fond, tous les grands contenus (données sensibles, sensibilisation au plagiat, enjeux de l’intégrité scientifique, prévention des inconduites…) sont bien détaillés. Par contre, l’éthique de la recherche (déontologie, intégration des questions éthiques dans la science) est très peu évoquée.
Sur la forme, très souvent, ces formations sont organisées par un collège doctoral de toutes disciplines, sans prise en compte des spécificités. Ce qui pose un vrai problème, car on dispense la même formation à un doctorant en cancérologie, en biologie, en sciences politiques ou en sport !
Comment s’explique cette situation, selon vous ?
Beaucoup de répondants ont souligné la difficulté de mettre en place des cours en présentiel, par manque de formateurs qualifiés sur la question. Ce qui rappelle que la sensibilisation des chercheurs à ces domaines est récente et doit encore être développée.
Des Moocs et des ateliers pour parler d’éthique
Quelles pistes de progression pour ces formations doctorales à l’éthique ?
Projets en cours d’élaboration ou d’évolution
Un chiffre encourageant : pour 52 % des ED qui ont répondu, la formation qu’elles prodiguaient faisait l’objet de projets en cours d’élaboration ou d’évolution, avec des perspectives de renforcement. Et elles ont précisé leur volonté de mieux faire passer les messages et d’impliquer davantage les doctorants, via le développement de Mooc ou la mise en place d’ateliers et d’activités interactives, tels que des quizz et des jeux de rôle.
La nécessité de proposer une offre de formation en anglais pour les étudiants non francophones a également été soulignée. Un travail dans ce sens était déjà en cours dans plusieurs ED ou collèges d’ED. Des initiatives locales qui se développent peu à peu, comme à Bordeaux, où le collège des ED a mis en place un Mooc, en français et en anglais.
Quelles seraient vos préconisations personnelles en la matière ?
Étendre ce type de formation dès le master
L’éthique devrait imprégner les trois ans de doctorat en continu, et ce dans toutes les spécialités. Je pense aussi qu’il faudrait étendre ce type de formation dès le master si possible.
A ce niveau, les étudiants sont encore vierges de toute connaissance du sujet, mais assez réceptifs. J’en ai eu la confirmation début septembre, lorsque j’ai été conviée à animer la journée d’accueil des M1 en médecine à l’Université de Paris, sur ce thème de l’éthique justement. Après des apports théoriques le matin, l’après-midi a été organisé sous la forme d’ateliers, tous sous-tendus par une question d’actualité.
Dans celui que j’animais, par exemple, la thématique était la suivante : « Je viens de trouver de super résultats scientifiques, il est urgent de faire un tweet pour que le maximum de gens puisse voir mon travail ».
L’objectif étant de les faire réfléchir sur les contraintes de la publication (nécessité de vérification, données sensibles, vol des idées…). Et le lendemain, tous les éléments évoqués ont servi de support à la rédaction d’une charte pour les étudiants de masters.