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Doctorants : une formation à l’éthique « trop basique, limite simpliste »

Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Doctorat

La formation à l’éthique de la recherche et à l’intégrité scientifique des doctorants au cours de leur formation, toutes spécialités confondues, est obligatoire depuis mai 2016.

Elle est confiée aux écoles doctorales, qui sont libres d’organiser cet enseignement comme elles le souhaitent. Avec des modalités de mise en place souvent jugées trop légères par les jeunes chercheurs…

La question de l’éthique accompagne les doctorants tout au long de leur thèse. - © PxHere
La question de l’éthique accompagne les doctorants tout au long de leur thèse. - © PxHere

Si les formations à l’éthique s’imposent désormais à toutes les écoles doctorales (ED), celles-ci sont libres de les organiser à leur gré, et même de les imposer ou non. Beaucoup (et a fortiori en ces temps de Covid) se résument à quelques heures de session en ligne.

C’est sous cette forme que l’an passé, Lucie Laplace, doctorante en sciences politiques, a validé la formation proposée par l’Université Lumière Lyon 2. Soit six modules d’1h à 1h30, chacun composé principalement de vidéos, en français et en anglais, assorties d’une bibliographie avec, à la fin de chaque section, un quiz rapide.  

Formations essentiellement en ligne

Au programme : « Éthique et sciences aujourd’hui » ; « Sciences, technologies, innovation et démocratie » (controverse des technosciences, nouvelles figures de la science…) ; « La responsabilité des chercheurs et des institutions de la recherche » (enjeu des statistiques, responsabilité sociale des institutions…) ou encore « Conflits de valeurs » (recherche privée et conflits d’intérêts…).

 « Pour valider le module, il faut un taux de bonnes réponses de 65 % aux QCM », souligne Lucie Laplace.  

Paul Zanoni, doctorant en chimie à l’Université de Strasbourg, a lui aussi, passé avec succès en 2019, pendant sa deuxième année de thèse, deux volets de formation obligatoires : un à distance - un Mooc « Intégrité scientifique » de 10 h, également validé par un quiz - et, en présentiel cette fois, la validation d’une Charte déontologique des métiers de la recherche, sous forme d’un séminaire de trois heures.

« L’amphi était plein, car il n’y a que deux sessions par an, précise-t-il. D’autant plus que ces formations sont communes à tous les doctorants de l’université, quelle que soit leur spécialité. »

Des thèmes concrets, mais trop dilués

« Il faudrait que l’ED donne à tous les jeunes chercheurs des outils et un cadre de réflexion approfondi sur leur responsabilité », suggère Paul Zanoni. - © D.R.
« Il faudrait que l’ED donne à tous les jeunes chercheurs des outils et un cadre de réflexion approfondi sur leur responsabilité », suggère Paul Zanoni. - © D.R.

Les deux jeunes chercheurs expriment un ressenti mitigé sur les formations suivies. Ils relèvent plusieurs aspects positifs. « Les cas d’études abordés étaient assez concrets, recouvrant de grands enjeux de société (OGM, nucléaire, nouvelles formes d’éthique participative…) », apprécie Lucie Laplace.

Paul Zanoni, lui aussi, salue la richesse des problématiques liées à l’actualité traités dans son Mooc. « Par exemple, une chercheuse qui a modifié un cliché expérimental pour valider ses hypothèses », illustre-t-il.

Un mode d’évaluation « infantilisant »

En-dehors de ces bons points, les critiques dominent. Sur la forme, d’abord.  Ces formations, couronnées par quelques ECTS, s’ajoutent simplement au catalogue abondant de sessions courtes proposées aux jeunes chercheurs (donner des cours, noter les étudiants, rédiger sa thèse, etc.).

« Cette validation obligatoire de quiz est un peu infantilisante. La rédaction d’un texte de réflexion sur nos propres travaux aurait été plus pertinente », estime Paul Zanoni. 

Le manque d’interactions pointé du doigt

Lucie Laplace renchérit : « Ces crédits me semblent un peu factices : à partir du moment où l’on travaille un peu sérieusement une thèse, on réfléchit à ces questions, sans avoir besoin de la reconnaissance du ministère ! Par ailleurs, la manière dont les modules sont conçus n’amène pas à de vrais débats, à des interactions. Nous sommes seuls face à l’écran, sans formateur référent. »

Des besoins quotidiens en éthique

« Qu’on nous demande de produire une dizaine de pages sur les enjeux méthodologiques touchant à l’éthique », propose Lucie Laplace. - © D.R.
« Qu’on nous demande de produire une dizaine de pages sur les enjeux méthodologiques touchant à l’éthique », propose Lucie Laplace. - © D.R.

Mais c’est surtout sur le fond que le bât blesse. « Le tout reste très général et basique, limite simpliste », regrette Lucie Laplace.

Tous deux considèrent que cette formation gagnerait à être nettement plus ciblée. Chacun dans leur domaine de recherche, les deux doctorants sont en effet confrontés au quotidien à des questions d’éthique et d’intégrité scientifique.

« Je travaille sur les politiques d’aide aux réfugiés en Amérique latine. Dans ce cadre, je suis allée en Équateur, où j’ai conduit des entretiens dans le milieu des réfugiés. Ce qui m’amène à recueillir des informations très sensibles sur ce qu’ont vécu ceux-ci dans le cadre du conflit colombien », témoigne Julie Laplace.

A la clé, des enjeux très forts touchant à l’anonymisation des témoignages, en vue de protéger ses interlocuteurs. « Qu’est-ce que je peux dévoiler au sein de l’ONG qui m’encadre ? Quelles informations laisser filtrer entre réfugiés, et auprès des ONG dont ils sont bénéficiaires, puisque cela pourrait avoir des conséquences importantes sur leur sécurité et les aides qu’ils touchent ? Quelle part de secret préserver dans la restitution des données ? Quel impact - positif ou négatif - mes actes peuvent-ils avoir sur des personnes en situation de survie ? », interroge-t-elle.

Responsabilité sociale, économique et environnementale de la recherche

De même, Paul Zanoni déplore que les questions de responsabilité sociale, économique et environnementale de la recherche restent peu abordées dans les formations transversales des doctorants.

« Je prépare une thèse sur la production de biogaz à partir de déchets organiques, expose-t-il. J’aurais eu beaucoup de mal à me situer, tant sur le plan éthique que sur le plan de ma responsabilité de jeune chercheur, si j’avais dû choisir d’utiliser des productions agricoles destinées à l’alimentation humaine (betterave sucrière) ou destinées à l’alimentation animale (luzerne, maïs) ».

J’aurais des difficultés à réagir si un industriel me proposait une somme d’argent importante pour orienter mes recherches

Une situation encore complexifiée par le fait que ses travaux soient co-financés par une agence gouvernementale et une entreprise. « J’aurais des difficultés à réagir si un industriel me proposait une somme d’argent importante pour orienter mes recherches dans une direction que je ne jugerais pas pertinente  », redoute-t-il.

Le financement des thèses, principale préoccupation des doctorants

Du fait de ces insuffisances, déjà relevées lors d’une étude globale menée en 2018 sur le panorama des formations doctorales à l’éthique, nombre de doctorants ont la même approche de ces sessions. « On essaie de les boucler vite, car on a autre chose à faire et cela n’aide pas tant que ça. D’autant plus que notre préoccupation numéro un, surtout en sciences humaines et sociales, est le manque de financement de notre thèse  », déclare Lucie Laplace.

Quelles pistes envisager ?

Paul Zanoni suggère : « Il faudrait que l’ED donne à tous les jeunes chercheurs des outils et un cadre de réflexion approfondi sur leur responsabilité, tant sur le plan éthique, philosophique, environnemental, économique et politique. Il en va de la place de la science et des chercheurs dans notre société. La crise sanitaire actuelle en montre bien toute la complexité. »  

Lucie Laplace avance d’autres idées : « Qu’on nous demande, dans les trois premières années de thèse, de produire, par exemple, une dizaine de pages sur les enjeux méthodologiques touchant à l’éthique, comme c’est le cas, je crois, aux Etats-UnisOu qu’on nous propose un vrai cours d’épistémologie, entre disciplines proches : sciences politiques, sociologie, anthropologie, et sur lesquelles il y ait un réel échange au long cours, avec notre directeur de thèse, des collègues titulaires aux thématiques de recherche proches ou/et des condisciples.  »