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Les défis de l’ESR américain… et ses pratiques qui pourraient inspirer la France

Par Isabelle Cormaty | Le | Management

C’est l’heure du bilan pour la délégation française, conduite par le Csiesr à la conférence annuelle Educause, dédiée au numérique et organisée en octobre dernier dans le Colorado. Les 12 Français présents à cet événement mondial dressent, en ce début d’année 2023, le panorama d’un enseignement supérieur américain profondément fracturé et confronté à de nombreux défis, humains, technologiques et financiers dans un contexte de post-pandémie.

La conférence annuelle Educause s’est déroulée du 25 au 28 octobre à Denver, dans le Colorado. - © Hans (Pixabay)
La conférence annuelle Educause s’est déroulée du 25 au 28 octobre à Denver, dans le Colorado. - © Hans (Pixabay)

Trois mois après leur retour du Colorado, les 12 membres de la délégation française à la conférence Educause dédiée au numérique ont organisé le 27 janvier une restitution de leur voyage. Conduite par le Comité des services informatiques de l’enseignement supérieur et de la recherche (Csiesr), la délégation a emmené du 25 au 28 octobre dernier une poignée de ses membres et de ses partenaires à Denver, pour cet événement mondial qui réunit tous les acteurs des technologies numériques du supérieur.

L’occasion de prendre le pouls des nombreux défis à relever dans les années à venir pour l’écosystème américain de l’enseignement supérieur et pour les Français de s’inspirer des dispositifs RH mis en place par ces établissements pour conserver leurs personnels ! 

Un marché de l’ESR américain en baisse

La délégation française a notamment visité l’Université du Colorado Boulder. - © Wally Gobetz (Flickr)
La délégation française a notamment visité l’Université du Colorado Boulder. - © Wally Gobetz (Flickr)

L’édition 2022 d’Educause marquait le retour des Français en présentiel, après deux années de crise sanitaire. L’événement s’est déroulé dans un contexte politique particulier, une semaine avant les élections de mi-mandat.

« L’administration Trump continue d’avoir des conséquences sur toute la société américaine. Celle-ci est profondément divisée et la campagne des midterms n’allait pas dans le sens de l’apaisement », contextualise Laurent Flory, chargé de projets internationaux et des usages dans les établissements à la cellule nationale logicielle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR). 

« Cela s’est traduit par des visions de plus en plus partisanes de ce que doivent être l’enseignement et la recherche aux États-Unis. Les Républicains ont tendance à remettre en cause les libertés académiques », illustre-t-il.

La dette étudiante, sujet d’inquiétude

Laurent Flory est  chargé de projets internationaux de la cellule nationale logicielle du ministère de l’ESR. - © D.R.
Laurent Flory est chargé de projets internationaux de la cellule nationale logicielle du ministère de l’ESR. - © D.R.

Thème récurrent à Educause, la problématique des prêts étudiants a été largement abordée. La dette étudiante s’établit à 1750 milliards de dollars en septembre 2022.

« Elle a été multipliée par quatre en 16 ans. Face à cette situation, on constate une diminution du nombre d’étudiants, alors qu’aux États-Unis, l’enseignement supérieur est un marché. Depuis la crise des subprimes, la natalité baisse et le nombre de personnes en âge de rentrer dans le supérieur diminue. La baisse du nombre d’étudiants touche de manière assez inégale tous les types d’établissements », ajoute Laurent Flory.

Des recettes en baisse, mais des frais qui augmentent

« Il y a moins de candidats qui souhaitent rejoindre l’ESR. On observe donc une diminution des inscriptions qui se traduit par une diminution des recettes, accélérée par la baisse du nombre d’étudiants étrangers. Dans le même temps, les coûts de fonctionnement augmentent, ce qui entraîne une hausse des frais d’inscription et des risques financiers pour les établissements », analyse Laurent Flory.

L’enseignement supérieur américain subit notamment les conséquences des lois Trump ayant pour objectif de faire baisser les effectifs d’étudiants étrangers. À cela s’ajoutent une crise démographique et l’augmentation de la dette étudiante qui questionne le retour sur investissement des études supérieures, dans un contexte de plein emploi aux États-Unis

Des problèmes de recrutement et d’attractivité aux USA

Outre ces difficultés démographiques et financières, les établissements outre-Atlantique sont confrontés comme en France à des difficultés de recrutement de personnels, aggravées par un marché du travail tendu.

« Les personnels savent qu’ils retrouvent un emploi très facilement quand ils quittent leur poste, surtout dans les métiers du numérique. Cela inquiète les universités qui se demandent si elles vont garder leurs équipes. Il y a eu un retournement de la situation en faveur des collaborateurs », constate Laurent Flory.

Former des personnes non qualifiées

« Le plein-emploi crée une pression sur le marché du travail. Face à cette situation, de plus en plus d’entreprises commencent à baisser leurs exigences en termes de diplômes. Elles achètent finalement des soft skills, des savoir-faire ou décident de former des personnes en interne », poursuit Laurent Flory.

Le recours à des candidats n’ayant pas un profil technique a particulièrement intéressé Emmanuelle Vivier, présidente du Csiesr. « Il est possible aux États-Unis de faire monter en compétences des personnes dont le profil n’est pas tout à fait en adéquation avec l’offre d’emploi », explique la DSI de l’Université Picardie Jules Verne.

Le bien-être au travail

Emmanuelle Vivier préside le Csiesr depuis juillet 2019 et dirige la DSI de l’Université Picardie Jules Verne. - © D.R.
Emmanuelle Vivier préside le Csiesr depuis juillet 2019 et dirige la DSI de l’Université Picardie Jules Verne. - © D.R.

Les établissements américains travaillent sur la notion de bien-être de leurs personnels : des programmes dédiés voient le jour dans les écoles et universités. 

« Les institutions se demandent comment conserver leurs talents avec la qualité de vie au travail, le sentiment de liberté dans l’organisation, le télétravail, l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée…, détaille Emmanuelle Vivier. Le salaire demeure un élément important, mais ce n’est pas le seul facteur pris en considération pour choisir un emploi. »

Le télétravail pour être concurrentiel 

Outre la participation à la conférence Educause, la délégation française a également visité les locaux d’un prestataire national public (Internet 2, l’équivalent américain de Renater) et de trois établissements : l’Université du Colorado Boulder, le Colorado community college system et le Community college of Denver.

Pascal Vuylsteker est responsable du pôle systèmes d’information de l’école d’ingénieurs ECE. - © D.R.
Pascal Vuylsteker est responsable du pôle systèmes d’information de l’école d’ingénieurs ECE. - © D.R.

Sur le campus du Colorado community college system, les Français ont pu constater que le télétravail était ancré dans les pratiques et considéré comme une offre supplémentaire pour les salariés, comme le raconte Pascal Vuylsteker, responsable du pôle systèmes d’information, cybersécurité et big data de l’école d’ingénieurs ECE : « Sur les 70 personnes du service numérique, seules deux ou trois étaient là, le jour de notre venue, en plus de ceux qui nous ont accueillis. Les personnels se trouvent plus efficaces chez eux qu’au bureau. Les membres de l’équipe peuvent donc travailler de n’importe quel endroit du Colorado s’ils le souhaitent. » Même à plus de deux heures de route du campus ! 

À l’Université du Colorado Boulder, la direction des ressources humaines propose par exemple aux managers un guide avec des recommandations pour gérer plus facilement le télétravail et évaluer les tâches possibles à distance.

La conférence 2023 organisée à Chicago

La conférence annuelle Educause aura lieu cette année du 9 au 12 octobre à Chicago dans l’Illinois et les 18 et 19 octobre prochains en ligne. La délégation française, qui se rendra à l’événement pour la dixième fois, prépare d’ores et déjà les visites de campus.

Les prochaines éditions sont également programmées : elles se dérouleront en octobre 2025 à Nashville et en 2026 à Denver.