Télétravail : garder le lien, malgré la distance
Par Laura Makary | Le | Management
Face à une crise sanitaire tenace, l’ensemble des salariés français ont découvert les joies - et les peines - du travail à la maison. Alors que le télétravail promet de s’ancrer dans les habitudes, le plus dur sur le long terme est d’éviter l’isolement et l’éloignement dus à cette nouvelle façon de fonctionner…
Depuis mars 2020, peu de Français ont passé beaucoup de temps au bureau. Le retour désormais possible sur les lieux de travail ne change pas l’enjeu de fond dans un monde où le télétravail s’ancre dans les habitudes : comment éviter de distendre les relations dans les équipes, chacun restant le nez dans ses dossiers ?
Les salariés le disent volontiers : leurs collègues leur manquent ! Une étude Ifop publiée fin 2020 indiquait que la moitié des répondants viennent au bureau justement pour les voir. Les télétravailleurs réguliers sont, selon le sondage, ”deux à trois fois plus nombreux à se dire ‘souvent’ sujet à l’isolement”. Les secteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche ne sont pas épargnés. Et si l’on parle de la solitude des étudiants, parfois des difficultés des enseignants, le mal-être des personnels des écoles et universités, lui, est bien moins évoqué.
Multiplier les échanges
Cette secousse a été ressentie par tous, y compris les équipes rompues à l’exercice. Jean-Marc de Félice est directeur du système d’information (DSI) et des usages numériques de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Au total, une soixantaine de personnes travaillent sur ces thématiques au sein de l’établissement.
”Nous avions déjà l’habitude de télétravailler depuis longtemps, mais il est certain que le tout distanciel a demandé de revoir nos façons de fonctionner”, confie le manager. Pour garder le lien, il a fallu s’organiser.
”Nous nous sommes beaucoup reposés sur le management intermédiaire, puis avons calé régulièrement des petites réunions. À distance, il est plus difficile de détecter les problèmes qu’en présentiel, la communication doit donc être quasi permanente. Cela peut passer par des coups de fil, des points en visio, des messageries, des outils de chat, pour garder le lien, se tenir au courant et soutenir ceux qui en ont besoin”, détaille le DSI. Grâce à tous ces efforts, l’équipe a pu tenir bon et éviter les décrochages.
Davantage de réunions pour pallier l’absence d’informel
Autre service, autre établissement, même problématique. Hadrien Lavielle est responsable du contenu et des relations presse à l’école d’ingénieurs Efrei Paris, où les salariés se sont vite rendu compte des limites du « full-remote ».
”Pour que tout continue de bien fonctionner, nous avons instauré du cérémonial : des réunions globales le lundi, qui se déclinent en plus petites équipes et selon les projets au fil de la semaine. Ainsi, nous conservons l’habitude de travailler ensemble. Nous avons augmenté le nombre de réunions fixes, justement pour pallier la perte de l’informel autour de la machine à café. Je ne suis pas du tout partisan de la réunionnite, mais ces points me semblent importants pour ne pas travailler seul dans son coin”, estime ce professionnel de la communication, arrivé à son poste lors du premier confinement.
Un point de vigilance pour lui : le repli sur soi peut venir d’une souffrance liée à des conditions de télétravail peu optimales, par exemple si l’on est confiné seul, dans un tout petit espace, mal installé…
Retrouver l’informel
Lutter contre l’isolement n’a pas lieu que service par service. Pour les ressources humaines, il a fallu proposer des solutions et dispositifs, afin de conserver les liens en dépit de la distance, de façon transversale. Très vite, Blandine Dolle, directrice des relations humaines de Rennes School of Business, a proposé des moments d’échanges, afin de repérer les personnels en difficulté.
”Il faut être à l’écoute des signaux faibles, puisque l’on ne se voit pas physiquement. Nous avons donc lancé des ateliers de récupération, d’oxygénation. Une coach sophrologue a accompagné des groupes de volontaires pour savoir comment écouter et réagir face à un collègue dans le rouge. Nous avons aussi encouragé tous les collaborateurs à mettre leur caméra lors des visios, peu importe si l’on n’est pas coiffé ou maquillé, cela permet de voir le visage, les émotions de chacun. Les managers sont enfin appelés à la vigilance : est-ce que les personnes semblent différentes, ont décalé leurs horaires de travail, ne viennent plus aux réunions, sont en retard dans leur travail ?”, questionne-t-elle. Autant de points qui peuvent cacher un mal-être.
Outre les cafés virtuels et pauses informelles, dont les équipes se saisissent à leur rythme, un autre dispositif a permis de créer du lien entre services. ”Lors du premier confinement, nous avons listé les services en surcharge et ceux en baisse d’activité, en offrant à ceux qui le souhaitaient de rejoindre temporairement une autre équipe pour lui donner un coup de main. Cela s’est fait naturellement et a beaucoup aidé le moral et la communication interservice”, se réjouit la DRH. Une idée de crise, qui s’est finalement pérennisée.
Organiser des webinaires et des ateliers
De son côté, après avoir organisé des webinaires en interne tournés vers le télétravail, les bonnes pratiques et l’équilibre pro/perso, Alice Evain, secrétaire générale du pôle Léonard de Vinci, a eu l’idée d’aller encore un peu plus loin :
”Nous avons réfléchi à des contenus plus légers, par exemple comment faire sa lunchbox, la bonne posture de travail à la maison, ou encore la digital detox… Cela permettait de donner des conseils, mais aussi de créer des échanges et que chacun se sente accompagné et écouté. Ces ateliers offrent l’opportunité de parler avec ceux que l’on ne croise plus physiquement dans les couloirs, de redonner un peu d’humain à ce contexte digital.” Recréant par la même occasion un sens du collectif.
Porte ouverte
Face au risque de distance entre les collaborateurs et leurs N+1, certains managers de l’Essec ont mis en place des moments de disponibilité dans leurs plannings, réservés à leurs équipes.
”L’idée était de recréer le moment où l’on voit la porte ouverte de son N+1, où l’on passe une tête pour poser une question ou parler d’un sujet de préoccupation. Nous avons aussi proposé des formations destinées aux managers, pour les accompagner dans la gestion d’équipe à distance, via des ateliers qui ont été l’occasion de partager leurs bonnes pratiques, mais aussi les difficultés rencontrées”, explique Nathalie Coëffet, directrice du capital humain de la business school.
Pour elle, plus personnellement, une respiration salutaire lui est venue d’échanges avec d’autres DRH du secteur. ”C’était très inspirant de pouvoir confronter nos visions, car nous étions tous dans la même situation, soucieux du bien-être de nos salariés, bien qu’avec des fonctionnements et rythmes différents.” De quoi trouver de nouvelles idées…
Elle conclut : ”La période n’était pas facile, mais après tout, c’est aussi de la difficulté que naissent l’innovation et la créativité… de belles initiatives ont vu le jour au cours de cette période inédite”