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Quand une présidente devenue ministre raconte son parcours de femme dirigeante

Par Enora Abry | Le | Management

Fraîchement nommée ministre, Sylvie Retailleau s’est exprimée sur son parcours devant l’Association des femmes dirigeantes de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation. Un trajet vers les instances de direction encore trop rare dans les carrières féminines. L’ancienne présidente d’université a aussi donné des pistes pour atteindre la parité.

Sylvie Retailleau est intervenue, en tant que ministre, aux premières rencontres d’été de l’Afdesri  - © Micheline Misrahi-Abadou
Sylvie Retailleau est intervenue, en tant que ministre, aux premières rencontres d’été de l’Afdesri - © Micheline Misrahi-Abadou

« Quand on vous voit, des femmes occupant des postes à hautes responsabilités, on pourrait se dire que tout va bien, mais ce n’est pas vrai », lance Sylvie Retailleau face à l’Association des femmes dirigeantes de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (Afdesri), à l’occasion des premières rencontres d’été de l’organisation, le 24 juin dernier à Paris.

La nouvelle ministre de l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) n’était pas prévue au programme, mais elle a tenu à s’exprimer sur un sujet qui lui tient à cœur : le manque de parité dans les instances dirigeantes.  

C’est une problématique que Sylvie Retailleau a régulièrement soulevée, notamment lors de précédentes rencontres de l’association dont elle est une « fidèle » depuis plusieurs années. Entourée de femmes de l’écosystème de l’ESR avec lesquelles elle évolue donc depuis longtemps, la nouvelle ministre se livre sur les difficultés rencontrées au long de sa carrière d’enseignante-chercheuse, de présidente de l’Université Paris-Saclay et désormais de ministre. Un parcours qui est encore loin d’être envisageable pour toutes les jeunes femmes qui entament leur vie professionnelle et auxquelles elle donne quelques clefs. 

Savoir s’organiser

Un premier élément pouvant expliquer la réticence des femmes à se hisser aux postes à responsabilités est la charge de travail compliquant la gestion de la vie de famille. À ceci, Sylvie Retailleau répond en reprenant des mots qui l’ont aidée pendant ses années d’enseignante-chercheuse en physique.

Claire Dupas-Haeberlin est aujourd’hui professeure émérite à l’ENS Paris-Saclay  - © D.R.
Claire Dupas-Haeberlin est aujourd’hui professeure émérite à l’ENS Paris-Saclay - © D.R.

« Claire Dupas-Haeberlin qui était ma directrice de laboratoire m’a dit un jour : 'Par rapport aux enfants, arrête de te prendre la tête. Ce n’est pas la quantité d’heures que tu passes avec eux qui compte, mais la qualité des moments partagés ensemble.' C’est un conseil qui m’a marqué et que j’ai appliqué toute ma vie. J’ai alors revu mon organisation et mes priorités. J’étais pleinement au travail, puis j’étais pleinement avec mes enfants », raconte-t-elle.

La ministre l’assure : « Avec une certaine organisation, on peut réussir à faire les deux et avec le même engagement. »

Cependant, il ne suffit pas de pouvoir tout faire, il faut aussi accepter faire des choix, que ce soit au travail ou à la maison. Dans un discours également tenu lors d’un rendez-vous de l’Afdesri en janvier dernier (News Tank, abonnés), celle qui présidait la principale université française insistait :

« Il faut apprendre à ne pas faire, y compris les tâches que les autres ne veulent pas faire, que ce soit à la maison ou dans le monde professionnel où on a tendance à prendre les tâches administratives, laissant la recherche aux collègues masculins. »

Faire face au syndrome de l’imposteur

Pour la ministre cette difficulté à atteindre la parité s’explique principalement par le fait que les femmes peinent à se sentir légitime dans certains milieux et particulièrement dans les instances dirigeantes. Une situation qu’elle a également expérimentée.

Sylvie Retailleau a été présidente de l’Université Paris Saclay depuis sa création et auparavant de l’Université Paris Sud - © MESR
Sylvie Retailleau a été présidente de l’Université Paris Saclay depuis sa création et auparavant de l’Université Paris Sud - © MESR

« Quand on est élue présidente, même si c’est par ses pairs, on ressent qu’on n’a pas immédiatement de légitimité : il faut continuellement faire ses preuves, tout en combattant les conseils, même bien intentionnés, des collègues hommes - une sorte de sexisme inconscient, bien enraciné, et qu’on doit traiter presque quotidiennement », déclarait-elle en janvier.

Un « syndrome de l’imposteur », selon les mots de Sylvie Retailleau, qui pousse les femmes à en faire plus pour prouver leur valeur et à constamment douter de la légitimité de leur position.

Toutefois, ce sentiment peut devenir une force. « D’une certaine manière, ce syndrome-là est sain. Il nous fait nous poser des questions sur ce qu’on peut apporter. On devrait le partager avec nos collègues masculins », explique-t-elle.  

Adapter son discours

Lutter contre l’autocensure des jeunes femmes

« Depuis quelques années, nous observons même un retour en arrière au niveau de la parité dans certaines filières », s’inquiète la ministre. Cette alarme rappelle celle de diverses associations, comme la Conférence des grandes écoles, sur la fin des mathématiques obligatoires au lycée, qui serait une des causes de la baisse d’inscriptions des jeunes femmes dans les filières scientifiques.

La ministre insiste : un des rôles de l’éducation est d’ouvrir les filles aux matières où elles sont le moins représentées afin d’éviter toute forme d’autocensure. Un travail qui doit commencer très tôt. Suivant cette idée, Sylvie Retailleau a d’ailleurs ouvert une maison d’initiation et de sensibilisation aux sciences à l’Université Paris-Saclay. Celle-ci est animée par des doctorants et est dédiée aux écoliers et collégiens afin que les jeunes filles puissent se tourner vers les sciences dès le plus jeune âge.

Un discours pour toutes ET tous

Cependant, il ne s’agit pas seulement d’adapter son discours face aux jeunes filles. « Si nous ne parlons qu’aux filles, l’échec sera assuré », se projette-t-elle.  

Si nous ne parlons qu’aux filles, l’échec sera assuré 

Pour atteindre la parité, il faut aussi repenser les messages aux garçons. « On travaille sur notre manière de nous adresser aux filles et aux garçons, pour éviter d’assigner aux filles le côté sérieux et aux garçons le côté performance. »

Pour finir, s’il y a bien un écueil que la ministre souhaite éviter, c’est celui d’apprendre aux jeunes filles « à faire comme les garçons  » pour atteindre leurs objectifs.

« L’idée n’est pas de copier. Les femmes ont des différences qu’il faut revendiquer. En acceptant ces nouvelles manières de faire, nous ferons aussi évoluer les gouvernances. »

Une annonce pour finir…

Sylvie Retailleau finit son discours sur une note positive avec une annonce : l’Association française de normalisation (Afnor) a décerné les labels « diversité » et « égalité professionnelle » au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, au ministère l’éducation nationale et de la jeunesse et au ministère des sports, tous trois liés par des services communs. 

« C’est aussi une distinction qui nous oblige et nous rend encore plus responsables. Cela doit nous obliger à poursuivre, voire à amplifier tous nos efforts. Mais il y a de l’espoir », déclare la ministre.