La filière edtech affiche son poids… et c’est du lourd !
Par Marine Dessaux | Le | Edtechs
650 millions d’euros de chiffre d’affaires, 7 000 emplois, des entreprises récentes (mais pas que), qui s’avèrent pour bonne partie avoir les reins solides : voilà ce que révèlent les premiers chiffres dévoilés par une enquête de l’association Edtech France et EY Parthenon. Elle confirme la place, de plus en plus importante, que prend la filière edtech sur le marché français.
Il était temps ! La filière « edtech » (les technologies pour l’éducation), dont le rôle peut-être majeur pour l’enseignement supérieur en plein boom de l’hybridation pédagogique, a compté ses forces et affiche résolument son poids. 250 sociétés sur un total d’environ 430 pouvant se réclamer de cette filière ont répondu à une enquête EY-Parthenon menée avec EdTech France , dont les premiers résultats ont été dévoilés le 17 juillet 2020.
Allons à l’essentiel : la filière edtech française c’est aujourd’hui 650 millions d’euros de chiffre d’affaires et 7000 emplois directs. Des chiffres qui marquent un « vrai palier de croissance et de maturité », estime Jérôme Fabry, partner France chez EY-Parthenon.
« Ce sont des chiffres très conséquents, qui positionnent la edtech dans la French Tech. En effet, la fintech et la HRtech lèvent plus d’argent, mais n’ont pas généré beaucoup plus d’emplois ou des chiffres d’affaires plus élevés ».
Mais quelle réalité derrière ces chiffres ? Campus Matin a assisté pour vous au webinaire de présentation des premiers résultats de l’étude et vous en livre la synthèse.
Une filière poreuse et fragmentée
Le marché
L’enseignement supérieur n’est pas le seul marché des edtechs (46 % sont en partie sur ce segment et seulement 8 % s’y dédient exclusivement) : la formation professionnelle vient en premier (63 % sont en partie sur ce segment) quand le K12 (enseignement scolaire), bien que minoritaire, concerne également une part non-négligeable des sociétés (39 %). Il ressort également qu’une majorité d’entreprises se positionnent sur au moins deux segments.
« Il y a une grande porosité, avec énormément de edtechs qui sont à la fois sur la formation initiale et professionnelle, il y a aussi des rapprochements entre le scolaire et l’enseignement supérieur », selon Jérôme Fabry.
Les edtechs ont un marché majoritairement B2B. Les universités n’arrivent qu’en cinquième position parmi les cibles : leurs clients premiers sont les entreprises, organismes de formation et écoles. Un modèle d’affaires qui repose très majoritairement sur l’abonnement, la concession de licence ou la vente de prestations. La monétisation des données personnelles, elle, ne représente que 2 % des répondants.
« Il y a beaucoup de fantasmes sur la protection des données. Mais le modèle économique des edtechs françaises, c’est l’abonnement et la vente de prestations », commente Rémy Challe, directeur de EdTech France.
Les entreprises de la filière et leur taille
Pour les auteurs de l’étude, la filière est « fragmentée », puisqu’elle se compose majoritairement de petites structures avec moins de dix employés (à 65 %) et un chiffre d’affaires inférieur à 500 000 euros, mais comporte aussi à l’opposé des sociétés affichant un CA jusqu’à 50 millions d’euros. On note aussi 20 % des edtechs encore « en démarrage » (avec un CA de 20 000€).
Autre élément de cette fragmentation : une accélération des créations d’entreprises (60 % l’ont été il y a moins de cinq ans), qui n’empêche pas structures plus anciennes de prospérer (14 % créées avant l’an 2000).
« L’écosystème en construction est très jeune et les entreprises très nombreuses, mais on observe une base solide. On est assez loin de la caricature de la start-up nation », fait remarquer Rémy Challe.
La filière est dominée par 20 « poids lourds », qui gagnent plus de 5 millions de CA (notamment 360 Learning, Index-Education, Klaxoon et Open classroom). Les « champions », qui forment le top 5, cumulent à eux seuls 35 % du CA total.
Les technologies mobilisées
Les edtechs proposent en moyenne trois produits ou services numériques :
- 50 % sont spécialisées dans la mise à disposition de ressources, supports et contenus pédagogiques en ligne ;
- 36 % vendent des dispositifs dédiés à la formation professionnelle et technique ;
- 22 % font du conseil en ingénierie pédagogique.
Les LMS (learning management system) et CMS (Content management system) sont les deux technologies principalement proposées, suivies par les outils d’apprentissage à distance. « Nous avons été surpris de voir que la blockchain et l’IoT (internet des objets) apparaissaient de manière marginale », réagit Jérôme Fabry.
Caroline Maitrot, CEO de la plateforme d’apprentissage Nomad Education, était invitée à témoigner de son expérience. Elle explique que l’aspect technologique n’est pas, à l’origine, la priorité de sa société, même si elle met désormais l’accent sur l’intelligence artificielle :
« Trop peu d’edtechs donnent la priorité aux apprentissages et mettent en avant la technologique. La technologie doit être au service de l’usage ».
Une information plus détaillée pour septembre
Ces premiers chiffres, dévoilés à l’occasion d’un webinaire le 17 juillet, seront complétés par une présentation exhaustive des résultats, en septembre. A cette occasion, la compréhension des chiffres sera affinée et seront distingués achats publics et privés.
« Une grande partie des sources de revenus des edtechs proviennent du privé, que ce soient des établissement ou des particuliers, le public investit bien peu », dit Rémy Challe, directeur général d’Edtech France.
L’international dans le viseur
48 % des edtechs ont une activité à l’international et 28 % prévoient d’en avoir une.
Pour une majorité d’edtechs, se positionner sur le marché international intervient davantage lorsqu’une opportunité est identifiée, voire lorsque c’est leur seule chance de survie, plutôt que dans le cadre d’une stratégie globale d’internationalisation.
L’Afrique, particulièrement francophone, est dans le viseur des edtechs. Nomad Education a pour deuxième marché l’Italie et l’Espagne. Caroline Maitrot prône donc une internationalisation raisonnée en prenant pour exemple sa volonté de s’affirmer en Afrique :
« Notre démarche en Afrique correspond à une opportunité : les étudiants y utilisent beaucoup leur smartphone hors connexion. Il faut se positionner en fonction des opportunités ressenties. On voit trop souvent des démarches d’internationalisation qui vont à l’échec, il ne faut pas y aller pour y aller ».
L’impact variable de la crise sanitaire
Les edtechs ont du faire face à l’urgence sanitaire et le bouleversement causé par le confinement, comme l’expliquait récemment Rémy Challe à Campus Matin.
Les sociétés ayant pour marché l’enseignement supérieur mesurent aujourd’hui l’impact de la crise à 48 % avec optimisme (elles le jugent positif ou très positif), mais sont tout de même presque aussi nombreuses à avoir mal vécu cette période (45 % font part d’un impact négatif, léger ou fort). Seules 7 % indiquent que la crise ne les a pas impactées.
« Celles qui ont souffert sont les plus petites entreprises et les plus récentes, créées après 2016 », résume Jérôme Fabry.
Une activité multipliée
Alors que la continuité pédagogique a été imposée aux établissements scolaires et universitaires, les edtechs ont voulu être en première ligne pour apporter leurs solutions. Cela s’est notamment traduit par le lancement d’une plateforme solidaire recensant toutes les offres gratuites de ressources, outils, applications et plateformes numériques proposées par les entreprises edtech.
L’activité semble avoir suivi, puisqu’une entreprise sur trois a vu son CA doubler à l’issu du confinement (plus de 100 % de croissance) et 21 % déclarent qu’il a augmenté de 50 %.
« Beaucoup d’entreprises ont été sur le pont [pendant le confinement]. Il y a vraiment eu une démarche solidaire. Bien sûr, on espère que, demain, les gens qui ont découvert les outils continuent à s’en servir, mais ne négligeons pas l’effort qui a été très important pendant cette période », insiste Rémy Challe.
Des indicateurs à surveiller
Une edtech sur deux indique ne pas avoir eu de problème de trésorerie et seulement 24 % ont eu recours à l’activité partielle.
Mais elles sont aussi 24 % à avoir demandé à bénéficier du report de charges et 30 % ont obtenu un prêt garanti. Et 18 % des répondants redoutent un impact négatif du confinement sur leur trésorerie dans six mois.
« Personne ne se frotte les mains, l’impact est assez contrasté, même s’il y a eu un focus sur le numérique au service de l’éducation ce n’est pas aussi simple du côté des entreprises », précise Rémy Challe.
« Dans un premier temps, le réflexe a été d’aller chercher les outils de visioconférence, qui ne sont pas développées par des entreprises françaises. Ce n’est pas parce qu’il y a un focus sur le numérique que pour les edtechs c’est l’eldorado ».
Rémy Challe souligne le besoin d’un soutien public pour un réel passage à l’échelle. En effet, la filière edtech française est en ébullition, se structure et réalise d’importantes levées de fonds… mais doit encore grandir.
L’étude EY-Parthenon en quelques graphiques
>> Et pour revoir le webinaire, c’est ici.