En 2022, on vote pour Le Drenche sur les campus !
Par Théo Haberbusch | Le | Expérience étudiante
Le Drenche est un journal de débats, papier et web, lancé en 2017 et désormais diffusé sur 300 sites universitaires. Un nouveau média imaginé par deux jeunes ingénieurs qui ont su réinventer une offre éditoriale qui convienne aux étudiants. Récit d’un pari réussi.
Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. « Ils », ce sont Antoine Dujardin et Florent Guignard, deux jeunes ingénieurs qui ont plaqué leur CDI en 2017 pour lancer, juste avant la présidentielle d’alors, un… journal. Un magazine de débats. Pour les jeunes. Au format papier. Sans moyens.
Voilà pour l’impossible. Mais c’est justement l’histoire de leur réussite que Campus Matin va vous raconter. Car, ils l’ont fait. Le Drenche - on reviendra sur ce nom - tire aujourd’hui à 140 000 exemplaires, pour sa version print, et affiche plus de 100 000 visiteurs uniques tous les mois.
En 2020, le chiffre d’affaires de la jeune entreprise atteignait 250 000 euros, permettant de faire tourner une équipe d’une dizaine de personnes, dont trois salariés et deux apprentis. La pertinence du projet a déjà convaincu le géant de la presse régionale Ouest France, avec qui Le Drenche a noué un partenariat lui permettant de disposer de 1200 points de diffusion au total.
Épatant, certes, mais pourquoi s’intéresser à cet objet journalistique non identifié ? Parce qu’Antoine Dujardin et Florent Guignard ont pensé le Drenche pour les jeunes en général, et les étudiants en particulier. Et parce que le journal papier est aujourd’hui diffusé gratuitement sur quelque 300 sites universitaires, principalement à Paris et Lille, mais aussi à l’Université de Perpignan via Domitia !
Le déclencheur : la présidentielle de 2017
Pour le Drenche, tout démarre en 2017. Florent et Antoine sont deux jeunes ingénieurs passés par des écoles différentes, à Lille et Lyon. Ils font connaissance au sein de leur première entreprise, EDF, mais ne s’y sentent pas à leur place. 2017, c’est aussi l’année de la présidentielle à laquelle ils doivent voter pour la première fois… tout en estimant ne pas avoir les clefs pour faire leur choix.
Présenter le pour et le contre via des tribunes
Leur envie d’entreprendre et ce besoin de ressources intellectuelles et politiques adaptées va donner naissance à leur projet éditorial. Sans réseau, sans compétences dans la presse, sans financements, ils lancent Le Drenche sur le web, et inventent leur modèle au fil de l’eau.
« En France on adore avoir une opinion sur tous les sujets, y compris des sujets qu’on ne maitrisait pas il y a 30 secondes », taclait Florent dans une intervention sur la fabrique de l’opinion, qui date du lancement du Drenche. Car l’ambition des deux jeunes ingénieurs est de « remettre le débat au cœur de la société » et de favoriser la discussion entre personnes qui n’ont pas les mêmes opinions.
Le nouveau média propose à ses lecteurs de se forger une opinion sur des sujets de société en présentant le pour et le contre au travers de deux tribunes d’experts défendant chacun sa vision des choses. « On cherche des gens légitimes dans leur domaine et on ne fait qu’une mise en contexte pour expliquer l’intérêt du sujet », décrit Florent Guignard.
Le Drenche, vient ainsi de la contraction de DRoite-cENtre-gauCHE. « Un journal transpartisan, qui donne la parole à tout le monde. On le met moins en avant aujourd’hui, car cela donnait l’impression que nous ne parlions que de politique, or ce n’est pas le cas. Mais cela illustre quand même bien notre démarche », précise Antoine Dujardin.
De moins en moins de journaux sur les campus
À la demande des deux entrepreneurs, un groupe d’étudiants en master entrepreneuriat de Paris-Dauphine-PSL mène une étude de marché. Ils réalisent alors que de moins en moins de journaux sont distribués sur les campus et que les étudiants sont pourtant prêts à consacrer un temps d’attention supplémentaire à des publications papier.
« Les jeunes prennent un peu Le Drenche quand on leur distribue par défaut; ils ne le découvrent pas par conviction, mais en viennent à lire des sujets auxquels ils ne se seraient pas intéressés », constate aujourd’hui Florent Guignard.
Si les étudiants adoptent Le Drenche, c’est parce que sa formule éditoriale casse les codes habituels. La Grande sécu, la violence écologique, la situation politique au Sri Lanka, les farines animales… Les sujets traités se démarquent des traditionnels thèmes étiquetés « jeunes » et portent sur des enjeux environnementaux, économiques et politiques.
Un contrepied vis-à-vis de la presse traditionnelle que Florent juge « simplificatrice et axée loisirs, télé, sport, sexualité ». Or, les étudiants et les jeunes ont envie de sujets de fond, traités différemment, il en est convaincu.
« Un média qui ne fasse que des pour/contre cela n’existait pas. Les jeunes qui ont une méfiance envers les médias traditionnels ont beaucoup aimé cela et nous avons tout de suite eu de très bons retours de leur part », se souvient l’entrepreneur.
Réinventer le fonctionnement d’un média
De leur inexpérience dans les médias, ils ont fait un atout. « Nous nous sommes posé beaucoup de questions, on a parfois certainement perdu du temps, mais on a aussi cherché à réinventer des choses », ajoute-t-il. La dimension participative est ainsi très forte : les sujets sont co-construits avec les lecteurs, notamment grâce à des conférences de rédaction hebdomadaires sur Twitch.
La formation d’ingénieur et la culture scientifique qui l’accompagne permettent au Drenche de se démarquer. Pas question de verser dans l’à peu près. « Dès qu’un contributeur cite un chiffre, on lui demande ses sources. Tous sont des spécialistes et beaucoup nous disent que leur domaine n’est pas bien représenté dans les médias généralistes. Ainsi, nous respectons leurs mots, leur raisonnement, nous ne faisons pas de vulgarisation qui pourrait générer des simplifications », souligne Florent.
Tous les thèmes se prêtent-ils au jeu du pour ou contre ? Non, répond clairement le co-fondateur. « On s’interdit les sujets qui font l’objet d’un consensus scientifique, comme le réchauffement climatique. Nous n’abordons pas non plus les questions judiciaires ou personnelles. Ce qui nous intéresse ce sont les idées de fond. »
Quel modèle économique ?
Le Drenche vit aux deux tiers de la publicité, mais propose aussi des formules d’abonnement, pour recevoir le soutenir le journal et le recevoir à domicile, à prix libre. Avec Ouest France, l’accord trouvé repose sur un partage des pages de publicité à commercialiser, chacun assurant sa propre régie.
Les contenus sont publiés en creative commons et les contributeurs ne sont pas rémunérés.
L’entreprise a procédé à deux levées de fonds en « crowd equity » : 360 petits actionnaires individuels soutiennent ainsi Le Drenche.
Distribué à Sciences Po, Paris 8, Dauphine…
Nerf de la guerre pour une parution papier gratuite, la diffusion a démarré en mode artisanal puisque ce sont les deux fondateurs qui s’en sont chargés, d’abord en région parisienne. Le Drenche peut notamment compter sur des établissements comme Sciences Po, les universités Paris 8 et Paris Dauphine.
« Lorsque nous avons commencé à le distribuer dans une faculté de pharmacie parisienne, on nous a dit que cela faisait 12 ans qu’aucun journal papier n’était plus mis à disposition ! », sourit Florent Guignard.
L’extension s’est ensuite faite à Lille en se greffant sur les tournées existantes d’un distributeur qui alimentait déjà les campus. Les interlocuteurs de la jeune entreprise sont variés, tantôt associations étudiantes, tantôt institutionnels. Et parfois la distribution dépend…de la bonne volonté des agents de sécurité.
Puis, c’est l’Ouest qui s’est ouvert au Drenche, Ouest France ayant proposé d’en assurer la diffusion dans des lycées et lieux étudiants de Bretagne et Pays de la Loire - avec + 40 000 exemplaires à la clef et un hébergement du média sur le site du mastodonte régional !
D’autres modèles de diffusion existent, comme avec l’Université de Perpignan, qui prend en charge une partie des coûts (la livraison), tandis que l’entreprise finance l’impression.
La présidentielle 2022 en ligne de mire
La crise sanitaire a ralenti l’extension géographique de la diffusion, mais le Drenche compte bien désormais élargir sa présence, par exemple en Bourgogne ou en région Auvergne-Rhône-Alpes. Et profiter de sa deuxième élection présidentielle pour faire vivre le débat et asseoir encore un peu plus son lectorat, en invitant les candidats à la présidentielle sur Twitch.
Florent et Antoine le savent-ils ? En 1982 paraissait sur le campus de l’Essec un nouveau magazine, gratuit, créé par d’anciens étudiants. Il voulait « donner envie d’entreprendre » aux jeunes diplômés et s’appelait alors… « Challenge ».
En 1983, il publiait un entretien avec François Mitterrand et en 1987, pour ses cinq ans, le magazine était racheté par Le Nouvel Observateur. Il fêtera l’année prochaine ses 40 ans… De quoi inspirer les fondateurs du Drenche !
Nos pour ou contre préférés
Petite sélection de débats repérés sur le site du Drenche (et on vous dit pourquoi Campus Matin a aimé) :
• Pour ou contre le foie gras ? (Parce que c’est dans l’actu hivernale.)
• Le Petit Robert doit-il fêter No-iel ? (Une jolie façon décalée de traiter un sujet inflammable.)
• Les primaires peuvent-elles renforcer la démocratie ? (Présidentielle oblige.)
• Pour ou contre les assemblées en non-mixité ? (Pour le potentiel polémique.)
• Pour ou contre la sélection à l’université ? (Là c’est un peu évident, non ?)
• Les énarques sont-ils toujours au service de la France ? (Parce que l’Éna disparait en 2022.)
• L’enseignement à distance doit-il devenir la norme à l’école ? (Parce que coronavirus.)