Chercheurs, et si vous faisiez de l’art sans vous en rendre compte ?
Par Marine Dessaux | Le | Relations extérieures
AiR pour Art in Research : c’est le nom de la start-up co-fondée par deux chercheurs à l’origine d’une exposition qui capture la beauté dans la science. Et cette dernière rencontre son public : au sein d’une abbaye cistercienne, à l’Hôtel de Ville de Paris mais aussi à Bruxelles, Kyoto et Shanghai ! Pour Campus Matin, Alexandre Darmon revient sur l’origine de ce projet et le pouvoir de l’image dans la vulgarisation scientifique.
C’est en réalisant des photos au microscope dans le cadre de son doctorat à l’ESPCI, qu’Alexandre Darmon, par ailleurs passionné de photographie, est saisi par leur beauté. « Pendant ma thèse, j’ai pris beaucoup de clichés de cristaux liquides. Et je me suis rendu compte que ces photos issues de la recherche avaient un grand pouvoir de fascination sur le public. La recherche a, pour beaucoup, un côté un peu obscur et ces images ont un grand pouvoir vulgarisant. »
Le doctorant constate que certains de ses collègues ont la même démarche de mettre en avant l’esthétisme de la recherche. « Il existe des concours ici et là, mais il n’y avait pas d’initiative globale pour mettre en avant la photographie scientifique. Avec mon associé et collègue, nous avons décidé de créer une galerie qui y est exclusivement dédiée. »
Des photographies « un peu à part »
C’est alors que nait la start-up et galerie en ligne Art in Research. Elle rassemble des photographies issues de la science dans des domaines de recherches divers. « Nous choisissons les photographies et les chercheurs avec qui nous travaillons. L’objectif est de créer une collection de photos qui nous ressemble », dit Alexandre Darmon. Et d’ajouter : « La photo scientifique, ça veut un peu tout et rien dire. Nous avons décidé de nous consacrer aux images qui sont abstraites, un peu à part ».
L’exposition AiR est accessible en ligne et itinérante. Elle s’est déplacée dans une douzaine de lieux déjà, pour certains inattendus, comme une abbaye ou encore dans la rue à Paris, en collaboration avec l’Unesco. Mais jamais encore dans une université. « Nous préférons les lieux qui n’ont pas à voir avec la science, car la science à sa place partout. Mais nous sommes très ouverts à l’idée d’exposer sur un campus », précise le co-fondateur d’AiR.
Une activité d’agence photo et vidéo
En parallèle de leur galerie d’art, les fondateurs d’Art in Research ont créé une agence de photo et vidéo spécialisée dans l’image scientifique. « Nous travaillons pour des industriels, des fondations du supérieur, des institutions de recherche publique. L’objectif est de valoriser la recherche au sein des labos en créant des expositions sur-mesure », témoigne Alexandre Darmon.
Une construction avec les chercheurs
L’exposition, composée aujourd’hui de 80 photographies, a dans un premier temps pu s’étendre grâce au bouche-à-oreille. Et, en grossissant, elle a inspiré d’autres scientifiques. « Des chercheurs me contactent presque chaque semaine. Quand les propositions me plaisent, je me déplace dans le labo. Parfois, même si les photos envoyées ne sont pas abouties, on sent le potentiel pour en réaliser de très belles. Alors, nous en refaisons ensemble », décrit Alexandre Darmon.
La photographie est accompagnée d’un court texte d’explication scientifique dans la galerie. « Une belle image peut toucher tout le monde. Alors, nous partons de ça pour parler de science. Mais nous restons sur un format de texte bref. Nous donnons la place au côté artistique. Et puis, l’image pose des questions : ‘qu’est-ce que c’est ? où ça se trouve ?’. C’est ce qu’on aime bien : quand les gens se questionnent. »
Et si l’art se nourrit de la recherche, cet art permet - dans une plus petite mesure - de nourrir la recherche. En effet, une partie des bénéfices des photos, vendues de 50 € jusqu’à près de 1 400 €, est reversée au projet de recherche.
La photographie au microscope
« Il y a pas mal d’engouement et de projets autour de la collaboration entre artistes et scientifiques. De notre côté, nous avons fait le choix que, l’espace d’un instant, les scientifiques soient des artistes », explique Alexandre Darmon.
En effet, AiR compte beaucoup de photos microscopiques qui sont prises par les chercheurs eux-mêmes. « On trouve un peu de photographies macroscopiques classiques dans l’exposition, prises avec un appareil reflex, précise le président d’AiR, mais il y a surtout beaucoup de photographies au microscope. Les chercheurs sont de très bons techniciens - qui savent manier leurs outils - et donc de bons photographes. »
Et si vous vous demandez comment certaines images peuvent être si vives : « Cela s’explique par les filtres polarisants utilisés lors des observations au microscope qui permettent de faire ressortir les couleurs qui ne se voient pas à l’œil nu », éclaircit Alexandre Darmon.
Garder du temps pour la recherche
Très impliqué dans AiR, Alexandre Darmon travaille au quotidien avec des chercheurs mais trouve plus difficilement du temps pour la recherche. Il bloque néanmoins une partie de son emploi du temps pour continuer à publier. « En lien avec mon activité, je me questionne sur la question de la beauté intrinsèque d’une image : est-ce qu’on peut la quantifier ? », expose-t-il.