Guerre en Ukraine : malgré le manque de moyens, l’accueil des étudiants s’organise
Par Clémence Kerdaffrec | Le | Expérience étudiante
Dès le déclenchement de la guerre en Ukraine, les écoles et les universités françaises se sont mobilisées pour soutenir les étudiants affectés par le conflit. Encouragées par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR), elles ont agi dans l’urgence et puisé dans leurs fonds propres sans attendre des aides dont la promesse semblait assurée. Elles les espèrent toujours.
Le 22 mars 2022, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR) adressait aux chefs d’établissements de l’enseignement supérieur, à la présidente du centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous) et aux directeurs des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), une circulaire précisant les modalités d’accueil des étudiants déplacés d’Ukraine bénéficiant de la protection temporaire. Il incitait les acteurs de l’ESR à lui faire part des moyens financiers dont ils auraient besoin pour organiser l’accueil.
Depuis, le dialogue entre les universités et le ministère se poursuit, sans avancées notables. En décembre 2022, huit mois après la réception de cette circulaire à laquelle les établissements n’ont pas manqué de répondre, le MESR n’a consacré aucun moyen aux étudiants déplacés d’Ukraine.
« C’est un scandale », s’indigne un agent administratif de l’Université PSL qui a souhaité rester anonyme. S’exprimant en marge de la cérémonie d’accueil des étudiants réfugiés de l’Université Paris-Dauphine du 6 octobre 2022, le fonctionnaire fait part de son agacement : « Le MESR envoie des messages contradictoires : il encourage les établissements à accueillir des étudiants, il les remercie, il promet d’aider, mais il ne fait rien pour. Les universités sont laissées pour compte. »
Un demi-million à trouver
Cette absence de financements, Mathieu Schneider, vice-président culture, sciences en société et actions solidaires de l’Université de Strasbourg et président du réseau Migrants dans l’enseignement supérieur (Mens), la regrette. Il déplore des différences de traitement constatées entre les chercheurs et les étudiants.
Pour les premiers, il existe le Programme d’aide à l’accueil des scientifiques en urgence (Pause), doté à cette occasion de 4 millions d’euros supplémentaires. Pour les seconds, les établissements ouvrent des diplômes d’université « Passerelle » créés pour faciliter l’insertion académique des personnes en exil. Mais ils doivent se débrouiller seuls et les limites humaines et financières sont vite atteintes. « À Strasbourg, nous avons mis 120 000 euros dans notre diplôme universitaire passerelle mais nous ne pouvons aller au-delà. »
Cette carence est d’autant plus regrettable, selon le réseau Mens, qu’il suffirait d’un demi-million d’euros au niveau national pour trouver une place à tous les étudiants ukrainiens :
« D’après nos estimations, il y aurait environ 2 000 étudiants en France, mais il n’y en a que 700 qui ont une place. Si le gouvernement nous avait aidés, nous aurions pu tous les accueillir », déclare le vice-président de l’Université de Strasbourg (Unistra).
Contacté à ce sujet, le MESR n’a pour l’heure pas répondu à nos sollicitations.
Une première aide : pour les formations en FLE, l’appel d’offres de Campus France
Si le MESR n’a pour l’instant pris aucune mesure pour aider les établissements à mettre en place l’accueil, une forme de soutien étatique se fait jour. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères est à l’origine d’un appel d’offres lancé le 27 octobre 2022 par Campus France pour couvrir les frais de formation en Français langue étrangère (FLE) de certains étudiants.
Le quai d’Orsay met en place un programme d’urgence offrant à 275 étudiants la prise en charge intégrale des frais liés à une formation intensive de huit mois au FLE et au passage d’un diplôme d’études en langue française (DELF) dans un centre de langue participant au programme.
« Ce programme a été conçu pour permettre à ces étudiants ukrainiens d’acquérir un niveau linguistique suffisant afin de candidater au sein d’un établissement français d’enseignement supérieur pour la rentrée académique 2023-2024 », indique Campus France le 8 novembre, le lendemain de la fin des candidatures à l’appel d’offres.
Des modalités de candidatures trop limitatives
Au sein du réseau Mens, une dizaine d’universités ont postulé. Toutes n’en ont cependant pas eu la possibilité, l’appel étant limité aux centres qualifiés « label FLE » ou membres de l’association des centres universitaires d’enseignement du français pour étrangers. Cela ne concerne que 22 des 36 universités qui disposent d’un diplôme d’université (DU) passerelle.
Selon Mathieu Schneider, certains établissements ont également pu être freinés dans leur démarche par les délais serrés (en période de vacances universitaires) et le nombre assez réduit de bourses en jeu.
Il précise que si la formule de l’appel d’offres est plus légère que celle d’un appel à projet en termes de pièces à fournir, elle est moins familière des responsables des DU Passerelles, car il s’agit de procédures de marché. Dans les temps impartis pour répondre à l’appel, les responsables ont dû se rapprocher de la direction générale ou du département des marchés.
“À cela s’ajoute aussi la condition d’avoir saisi les étudiants dans la plateforme Campus France, ce que beaucoup d’universités n’avaient pas fait, car elles ont souvent paré au plus pressé et inscrit les étudiants ukrainiens directement chez eux, sans nécessairement les renseigner sur la plateforme nationale”, ajoute Mathieu Schneider.
Avec ou sans moyens, les établissements s’organisent
« Nous nous débrouillons seuls, mais ne voulons pas laisser les étudiants sur le carreau », déclare Mathieu Schneider. Au sein du réseau Mens, 33 établissements accueillent des réfugiés ukrainiens. Pour ce faire, beaucoup ont dû créer des places et effectuer des aménagements dans leurs formations existantes.
« La moitié des personnes déplacées ont été inscrites dans des DU ou les filières classiques de FLE, lesquelles ont souvent adapté leurs cursus à ce public imprévu. L’autre moitié a intégré tout type de formations disciplinaires, en licence ou en master, allant des sciences dures aux sciences humaines, sur l’ensemble du territoire français », informe France Universités le 15 novembre.
À l'Université Paris Dauphine PSL : « Le DU Passerelle tel qu’il existait jusqu’à 2022 était inadapté aux réfugiés ukrainiens qui sont souvent très peu familiers avec la langue française. Il sélectionnait des étudiants ayant déjà un niveau de français suffisant pour atteindre le niveau B1 ou B2 en un an. Nous avons dû créer un DU Passerelle français débutant. Il accueille 22 étudiants ukrainiens », explique Arnaud Mias, le vice-président responsabilité sociale de l’établissement.
À l’Unistra, des groupes supplémentaires ont été créés en mars 2022 au sein du DU Passerelle pour accueillir les Ukrainiens. « Il nous a fallu faire de la place. Le DU était déjà plein. Cela a ses limites. On ne peut pas pousser les murs », précise Mathieu Schneider.
Un processus de sélection qui répond à plusieurs critères
Faute de place et de moyens financiers, une sélection parfois difficile s’impose aux établissements. « L’intégration des étudiants réfugiés dans les universités répondait à plusieurs critères, tels que les langues pratiquées, la motivation, mais surtout un projet d’études suffisamment cohérent pour ne pas les engager dans une voie sans issue », indique France Universités.
Pour son DU Passerelle, l’Unistra a reçu pour la rentrée 230 demandes d’étudiants ukrainiens et entre 100 et 130 demandes de réfugiés d’autres pays. Elle a pu accepter 120 étudiants, dont 66 Ukrainiens.
L’Université Paris-Dauphine a retenu 43 demandes d’étudiants déplacés d’Ukraine sur 150 reçues. L’école de commerce ESCP a elle ouvert 50 places dans ses cours de langues. Il lui en aurait fallu le double pour répondre favorablement à toutes les candidatures. L’école accueille 78 étudiants réfugiés, dont 68 sur le campus de Paris.
Les étudiants refusés ont été orientés notamment vers France Universités qui centralise toutes les demandes ou vers des associations dispensant des cours de langues. Ont-ils pour autant trouvé une place ailleurs ? Aucun suivi ne permet de le savoir.
L’accueil ? Une évidence
Quelles que soient les difficultés rencontrées, tous les établissements interrogés tiennent le même discours : l’accueil des étudiants réfugiés, qu’ils viennent d’Ukraine ou d’ailleurs, relève d’une forme d’évidence.
« PSL a décidé de mobiliser 500 000 euros sur nos fonds mutualisés pour soutenir l’accueil des étudiants réfugiés. La part de Dauphine s’élève à 200 000 euros. Cela va peser assez lourdement sur les finances des universités, mais il n’y a pas eu débat. Il y a un vrai consensus sur le sujet. Toutes les initiatives, y compris la création d’un deuxième DU Passerelle ont été votées à l’unanimité par le conseil d’administration », confie Arnaud Mias.
Faire appel aux dons
En l’absence de financements ministériels, l’une des solutions retenues pour trouver les moyens nécessaires à l’accueil sans trop puiser dans les fonds des établissements consiste à faire appel aux dons.
À l’Unistra, par exemple, la fondation de l’université a mis en place, depuis 2015, une ligne pour les situations d’urgence qui a servi tour à tour à aider les étudiants syriens, les étudiants affectés par la crise sanitaire et les étudiants afghans. Elle a lancé en mars 2022 un appel spécial destiné aux ukrainiens qui a permis de lever un peu plus de 10 000 euros.
À l’ESCP, la fondation a permis de couvrir des frais de vie divers (logement, repas) à hauteur de 10 000 euros.
Au-delà de l’aspect financier, l’accueil des réfugiés demande un important investissement humain
Les étudiants déplacés se trouvent dans des situations toujours assez complexes. Plus encore que d’argent, ils ont besoin d’un accompagnement d’ordre culturel, social et humain pour s’intégrer dans leur nouvel environnement.
« Chaque demande correspondant à une situation singulière, les universités ont été très attentives à chaque cas particulier, ce qui requiert un investissement important en temps et en énergie », indique France Universités.
« À Dauphine, nous avons des conseillers d’orientation qui accompagnent ces jeunes étudiants réfugiés. De plus, chaque étudiant pris en charge en DU Passerelle se voit attribuer un enseignant référent qui a pour mission de l’aider à faire mûrir son projet de formation à l’issue du DU Passerelle », explique Arnaud Mias.
À côté de la dimension purement scolaire de l’aide apportée par les établissements, il s’agit également d’accompagner les étudiants dans leurs démarches pour se loger, obtenir des bourses, travailler…
Les étudiants s’engagent
La dimension humaine et sociale de l’accueil a été très largement investie par les étudiants français. Plusieurs initiatives peuvent être signalées :
• À l’ESCP, des étudiants bénévoles de l’association ERA (ESCP refugee assistance), formés par des professeurs en FLE, donnent depuis avril 2022 des cours de langues aux étudiants déplacés.
• À Paris-Dauphine, l’association Fleur de bitume relaie et recrute des pairs-étudiants qui accompagnent les nouveaux arrivants.