Un roman policier dans l’univers impitoyable de la prépa
Par Marine Dessaux | Le | Expérience étudiante
Une psychologue qui enquête sur le suicide d’une élève de prépa : c’est l’histoire que raconte Françoise Guérin dans son roman « La souris qui voulait sauver l’ogre », publié aux éditions Eyrolles le 4 janvier 2024. Inspirée par sa pratique de psychologue, le vécu de ses patients et sa propre expérience en prépa, elle explique comment elle s’est plongée dans cet univers.
« La souris qui voulait sauver l’ogre » : le titre de la dernière fiction de Françoise Guérin peut être interprété de plusieurs façons. « La souris, c’est Pauline qui essaie de faire changer une institution scolaire qui ne l’écoute pas », explique l’autrice de romans policiers. L’ogre, c’est cette machine bien huilée qu’est le lycée La Rédemption, inspiré des établissements « privés, très élitistes et très courus par les parents, comme il en existe plusieurs à Lyon ».
Si celle qui est également psychologue en entend dire « du bien comme du mal » dans son cabinet, la prépa qu’elle dépeint dans son livre accumule les écueils : élèves harceleurs, enseignants extrémistes, direction taiseuse. Trois étudiants de prépa s’y sont donné la mort, écrasés par les multiples pressions, et la priorité reste de préserver l’image de l’établissement en dépit du bien-être des élèves.
On peut aussi voir dans le titre une allusion à un thème récurrent du livre : l’écologie et l’angoisse de plusieurs personnages, dont Pauline, face à la crise climatique. « C’est un sujet dont j’entends de plus en plus parler. Et pas uniquement par des adolescents, mais aussi des adultes qui se demandent quel monde ils vont laisser à leurs enfants. Pauline, elle, veut sauver le monde. »
Une plongée dans l’univers de la prépa
Françoise Guérin s’éloigne de sa spécialité en périnatalité pour parler des étudiants. Le sujet, pour autant, ne s’éloigne pas totalement de sa pratique professionnelle.
« Je reçois les bébés et les jeunes parents, mais aussi les adolescents et des jeunes en âge de faire des études supérieures. C’est en les entendant parler de leurs études que je me suis intéressée particulièrement au poids de la pression de réussite scolaire. Il m’arrive de voir des élèves qui ne vont pas bien, mais ne peuvent pas renoncer à réussir à tout prix leur année », rapporte l’autrice qui est également chargée de cours à l’Institut de psychologie de l’Université Lumière Lyon 2.
Pour raconter l’histoire de Pauline, elle s’est inspirée « d’élèves en classe prépa, mais pas seulement : d’étudiants en droit ou en première année de médecine pris dans un rythme infernal ». Particulièrement lorsqu’il s’agit de cursus d’élite, elle observe une « distension du regard sur les études ».
Elle précise : « Pour certains, c’est toute leur vie qui est là, pour d’autres, il y a une très grande peur de décevoir les parents ou les enseignants. Finalement, ils ne sont plus que des élèves pour certains : toute leur vie de jeune se résume à cela. »
Imaginer une cellule d’investigation psychologique
Dans cet environnement anxiogène, le suivi psychologique n’est pas toujours adapté. Comme le déplore l’enquêtrice du roman, qui n’est ni détective privée ni policière, mais psychologue. Un profil qui participe à l’originalité de cette investigation de la « Cellule Cornélia », une structure de postvention* imaginaire faisant entrer des psychologues spécialisés dans les établissements afin de repérer les dysfonctionnements et éviter que les drames ne se répètent.
Dans la fiction, Pauline, élève brillante, a vu un professionnel de la santé mentale qui n’a pas sur détecter son mal-être. Dans la réalité, Françoise Guérin rencontre une jeune patiente dans le même type d’établissement :
« Personne dans son collège ne semblait s’être aperçu de son mal-être. Elle continuait à avoir de bons résultats et personne ne s’alarmait. Elle a uniquement passé des tests, je lui ai donné la parole. C’était la première fois qu’elle voyait une psychologue toute seule, sans ses parents. Cela a permis qu’elle change d’établissement. »
L’autrice précise néanmoins : « Mes patients ne sont jamais dans mes livres », mais ils nourrissent son réalisme.
Des relectrices de l’univers de la prépa
Françoise Guérin a notamment fait appel, pour la relecture, à une ancienne enseignante de classe préparatoire. « Je me suis adressée très tôt à elle pour lui raconter mon projet, même si toutes les histoires sont différentes, elle avait vu beaucoup d’élèves en souffrance qui venait se confier à elle. »
Elle s’est également entretenue avec une infirmière scolaire sur la pression de la réussite. « De nombreux lycéens sont en grande panique. Et depuis le bac en contrôle continu, l’angoisse est montée d’un cran. »
Une pression de la réussite qui finit par être internalisée
Finalement, bien que victime d’une très grande pression scolaire, c’est la pression que Pauline se met à elle-même qui finir par la pousser à bout. Un phénomène qui n’est pas rare dans ce genre de situation.
La pression externe est en effet internalisée : « À force de mettre la pression à ces jeunes, ils ont fini par penser que c’était comme ça dans la vie, qu’il fallait toujours faire mieux. Au début, c’est les parents ou les enseignants et à la fin ce sont eux : à la moindre mauvaise note qu’ils reçoivent, ils ne se supportent plus », indique Françoise Guérin.
Ainsi, une partie du travail psychologique consiste à repérer ce qui vient de la personne. « Les étudiants ne vont pas par hasard dans une prépa, ils ont envie de cette réussite ou convoitent quelque chose de précis. »
Et seul, il est très difficile de sortir de cet état d’esprit. « J’ai reçu en consultation une étudiante en médecine dans un état d’épuisement complet. Pour elle la situation était sans issue. Elle devait continuer, quitte à y laisser sa santé mentale, voire sa vie. »
Pauline, elle non plus, n’envisage pas de renoncer. Ayant grandi dans un quartier populaire, elle ne veut pas laisser tomber les personnes qui croient en elles.
Le début d’une série ?
Bientôt une série d’enquêtes de la Cellule Cornélia ? « Les suicides à répétition n’ont pas lieu que dans le milieu scolaire, mais aussi en entreprise ou dans les hôpitaux. Cela m’intéresserait de déployer ce concept qui se rapproche un peu de l’autopsie psychologique qui existe au Canada, mais pas dans la même forme », projette François Guérin.
Le parcours de l’autrice
Avant d’être diplômée de l’Université Lumière Lyon 2 comme psychologue clinicienne, Françoise Guérin est infirmière en psychiatrie puis en soin périnatal, une thématique sur laquelle elle se spécialise en passant un diplôme universitaire de psychopathologie du bébé en 2002-2003.
Elle intervient ensuite comme chargée de cours en psychopathologie et psychologie dans différentes formations en soins infirmiers (Vienne, Lyon, Bourg-en-Bresse, Mâcon…) de 1997 à 2017. Depuis 2013, elle intervient également dans son alma mater.
Son premier roman « À la vue, à la mort » est publié en 2007 aux éditions du Masque et reçoit le prix du Festival littéraire de Cognac et le prix Jean Zay des lycéens. C’est le début d’une trilogie qui sera adaptée par France 2 en une série de trois téléfilms portant le nom du détective : « Lanester ».
Avec « Maternité » en 2018, Françoise Guérin change d’univers et écrit sur le post-partum. Elle revient au polar, tout en gardant des références à la psycho-périnatalité, avec « On noie bien les petits chats » (2022), aux éditions Eyrolles.
* Contrairement à la prévention, qui intervient quand il n’y a pas de problème, la postvention a lieu quand il y a déjà eu des gestes suicidaires et qu’il faut, par exemple, prévenir les proches ou les personnels d’un établissement.