Sensibilisation, référents… Que prévoit la proposition de loi contre l’antisémitisme dans l’ESR ?
Un an après la mission d’information sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, lancée suite aux débordements dans le cadre des mobilisations pour la Palestine à Sciences Po Paris, la proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur a été adoptée en commission culture éducation du Sénat, le 12 février. Elle prévoit notamment d’inscrire la sensibilisation à ce sujet dans les missions des établissements d’enseignement et la généralisation d’un référent à la lutte contre l’antisémitisme et le racisme.

« Donner aux établissements les outils nécessaires pour répondre avec fermeté, dans le respect du principe de l’autonomie des universités ainsi que des valeurs républicaines qui sont au cœur de notre système éducatif. » Tel est l’objectif de la proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, adoptée en commission culture éducation du Sénat, après modifications, le 12 février.
Elle est portée par Pierre-Antoine Levi (Union centriste, Tarn-et-Garonne) et Bernard Fialaire (Rassemblement démocratique et social européen, Rhône). Ces deux sénateurs étaient co-rapporteurs d’une mission d’information sur ce sujet, lancée fin mars 2024.
Cette proposition de loi fera l’objet d’une discussion en séance publique le 20 février.
Quelles sont les mesures principales ?
Cette proposition de loi prévoit d’inscrire la sensibilisation à la lutte contre l’antisémitisme et le racisme parmi les missions de formation des établissements assurant le service public d’enseignement (écoles, collèges, lycées jusqu’au supérieur, notamment dans les Inspé).
« Les contenus des enseignements dispensés sur cette base relèvent des maquettes pédagogiques définies par les ministères et les établissements », indiquent les rapporteurs.
Ils souhaitent toutefois insister sur :
- la nécessité de diffuser largement la définition opérationnelle de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, conformément à la résolution adoptée par le Sénat le 5 octobre 2021 ;
- l’adaptation des contenus de prévention aux nouvelles formes de l’expression antisémite, dans le contexte d’une mise en concurrence du thème du génocide ;
- l’utilité de faire intervenir des acteurs spécialisés sur ces sujets, notamment les acteurs du programme CoExist, animé par l’Union des étudiants juifs de France, SOS Racisme et la Fédération des associations générales étudiantes (Fage).
Généralisation des missions égalité et diversité et des dispositifs de signalement

Cette proposition de loi instaure aussi la généralisation des missions égalité et diversité dans les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), leur champ d’intervention s’étendant à « la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, la violence, la haine et la discrimination ». Elles devront compter, en leur sein, un référent dédié à la lutte contre l’antisémitisme et le racisme.
En outre, un dispositif de signalement des actes de violence, de racisme, d’antisémitisme, de discrimination et de haine devra être systématiquement déployé. Il doit assurer l’anonymat des victimes et témoins et permettre d’assurer un suivi statistique des éléments recueillis. Une obligation de signalement des actes antisémites auprès du référent est par ailleurs créée pour les personnels.
Procédure disciplinaire
La proposition de loi ajoute « les actes d’antisémitisme et de racisme, les discriminations, les violences et toutes les formes de haine » aux motifs permettant d’engager une procédure disciplinaire, afin de clarifier le code de l’éducation.
Elle rappelle l’importance de la prise en compte des victimes dans la procédure et renvoie « à un décret en Conseil d’État le soin de préciser les actions à mettre en œuvre ».
Un texte inspiré par les conclusions de la mission d’information sur l’antisémistisme dans l’ESR
Cette proposition de loi s’inscrit dans la lignée des conclusions de la mission d’information sur l’antisémitisme dans l’ESR, rendues publiques le 26 juin, et qui avaient relevé notamment la hausse des actes antisémites et la diffusion d’un « antisémitisme d’atmosphère créant un sentiment d’insécurité et d’exclusion inacceptable dans nos institutions », ainsi qu’un « manque de dispositifs de signalement et de prévention ».
Le rapport, qui formulait 11 recommandations, avait été adopté en juin 2024.
Les autres amendements adoptés à connaître
Au total, 11 amendements ont été adoptés en commission. Ils prévoient notamment :
- d’étendre aux établissements privés l’obligation de proposer une formation à ces sujets, « à leur demande », selon les rapporteurs ;
- de créer une formation des élus étudiants, des référents antisémitisme et racisme, des personnes assurant le recueil des signalements et les membres des sections disciplinaires à ces mêmes enjeux ;
- de replacer la lutte contre l’antisémitisme dans une formation plus large en modifiant la formulation de formation à la lutte « contre l’antisémitisme et le racisme », en y ajoutant « les discriminations, les violences et la haine ».
Ajout d’un pouvoir de proposition du conseil d’administration et du conseil académique
Un amendement prévoit, pour l’installation par le président d’université des missions égalité et diversité, un pouvoir de proposition conjointe du conseil d’administration et du conseil académique.
« Ce pouvoir de proposition est aujourd’hui prévu pour la mise en place des missions égalité entre les femmes et les hommes auxquelles se substituent les missions égalité et diversité. »
Précisions sur les modalités de signalement des actes
Un amendement modifie les dispositions originales de l’article 2 pour notamment préciser que les signalements recueillis dans le cadre du dispositif ad hoc doivent l’être par des personnes disposant d’une qualification, d’une formation ou d’une expertise adéquate.
Il prévoit par ailleurs que les signalements recueillis sont transmis au président d’établissement, qui a compétence pour saisir la section disciplinaire. « Il s’agit ainsi de lier le recueil des signalements et le déclenchement d’une éventuelle procédure de sanction », soulignent les rapporteurs.
Enfin, il propose que les signalements des membres du personnel « doivent être adressés au dispositif ad hoc et non au référent, dans la même logique de création d’un canal unique de remontée d’information ».
Suppression d’une disposition relative à un pouvoir étendu des présidents d’établissement sur l’accès aux données électroniques
Un amendement supprime une disposition initialement prévue par la PPL selon laquelle les présidents d’établissement devaient disposer d’un pouvoir d’accès aux données de communication électronique des étudiants faisant l’objet d’une procédure disciplinaire.
« Cette disposition visait principalement à donner des outils aux présidents pour identifier les auteurs de discours antisémites en ligne, notamment sur des groupes de conversation entre étudiants, en les autorisant à rapprocher les numéros de téléphone recueillis de ceux figurant sur leurs listes administratives ; les travaux menés par les rapporteurs tendent à établir que cette possibilité leur est déjà ouverte », indique l’exposé des motifs.
Une suppression qui intervient également alors qu’il n’apparaît pas de consensus parmi les responsables d’établissement sur leur souhait de disposer de compétences d’investigation approfondies. Le nouveau bureau de France Universités a en effet indiqué, lors d’une conférence de presse le 11 février, puis devant les députés, le 12, ne pas être favorable à disposer de ces pouvoirs de « police judiciaire ».