« Beaucoup d’incertitudes et d’inquiétudes » : les BU face aux difficultés de budget des universités
Par Marine Dessaux | Le | Stratégies
Diminution des abonnements numériques, baisse des achats de livres physiques, moins de contrats étudiants et réduction des plages d’ouverture dans certains établissements… Alors que les crédits stagnent ou baissent et que les coûts augmentent, les services documentaires des universités peinent à assurer la continuité de services. Sandrine Gropp, présidente de l’Association des directeurs et des personnels de direction des bibliothèques universitaires (ADBU), alerte sur la rupture d’égalité entre les étudiants, mais aussi entre les chercheurs.
Sandrine Gropp, présidente de l’ADBU et directrice du service commun de documentation de l’Université de Montpellier, revient sur une enquête interne menée auprès des membres de l’association qui révèle des inquiétudes alors que plusieurs universités annoncent un budget dans le rouge et des situations très diverses selon les établissements.
Quel sentiment prédomine dans les services documentaires dans ce contexte budgétaire tendu ?
Sandrine Gropp : Une enquête flash de l’ADBU auprès d’une cinquantaine de collègues directeurs et directrices des services documentaires, menée début janvier 2025, révèle beaucoup d’incertitudes en ce moment. Les choses ne sont pas figées, mais ce qui se dessine est extrêmement inquiétant pour les services documentaires.
Aujourd’hui, la moitié des collègues n’ont pas de visibilité sur le budget de leur service : soit il est notifié de façon provisoire, soit il y a une ouverture partielle des crédits, voire, parfois, aucune information n’est communiquée. Cette absence de visibilité sur l’année complique fortement la gestion.
Beaucoup ont fait remonter la question de la continuité de service, une consigne donnée par le ministère. Or, pour un service documentaire, 90 % des missions relèvent de la continuité de service. Certains collègues n’ont eu que 25 % de crédits ouverts.
Cette inquiétude ne porte pas uniquement le budget des établissements, mais aussi celui des collectivités locales qui ne reconduisent pas toujours leurs subventions.
Quelles sont les différentes réalités des BU selon les établissements ?
Les retours varient selon les établissements : certains collègues signalent des baisses de budget de 5 %, d’autres jusqu’à 25 %. Un quart des collègues ont alerté sur des baisses continues depuis plusieurs années. Pour ceux dont le budget est inchangé — dans une université, il est le même depuis 2013 par exemple — cela représente déjà une perte de moyens, car tout coûte plus cher aujourd’hui (papier, mobilier, etc.).
Il y a néanmoins quelques situations positives, où la totalité du budget de fonctionnement a été mobilisée par l’établissement, avant même le vote du projet de loi finance.
Cela interroge néanmoins sur les inégalités au niveau national. Certains établissements offrent davantage de ressources et de services, donnant ainsi plus de chances de réussite à leurs étudiants et de meilleurs outils de travail à leurs chercheurs.
Quelles sont les conséquences de ces baisses de budget sur l’activité des BU ?
Il est impossible à ce stade de garantir le maintien des services habituels, trop d’éléments sont incertains.
Les extensions des horaires d’ouverture pourraient également être remises en question.
Sans visibilité sur le budget du service documentaire, il est compliqué de garantir la continuité des ressources électroniques, qui nécessitent des engagements financiers en début d’année. Les extensions des horaires d’ouverture pourraient également être remises en question.
Les conséquences des baisses budgétaires incluent également des désabonnements, une diminution des acquisitions papier, moins de contrats étudiants dans les BU. Des inquiétudes commencent à se faire entendre sur la masse salariale (renouvellements de CDD ou départs à la retraite). Le risque est que cela conduise à une systématisation du recours aux contractuels, voire des postes non remplacés.
Quelles sont les attentes des personnels des services documentaires ?
Les collègues souhaitent que le ministère clarifie la notion de continuité de service et attendent de connaître précisément les moyens dont ils pourront disposer. Certains ont cependant déjà décidé de communiquer sur les réductions de services et d’achats de ressources, à l’instar de l’Université d’Angers qui s’exprime sur les réseaux sociaux à ce sujet.
L’ADBU a prévu d’alerter le ministère et de consolider les données de l’enquête afin de sensibiliser également les universités. Bien que le contexte économique soit difficile et que nous concevions que chacun doit prendre sa part de l’effort budgétaire annoncé au niveau national, il est important de garder à l’esprit que les bibliothèques universitaires sont fondamentales dans la vie du campus.
Elles restent le lieu le plus utilisé des étudiants (ils sont 71 % à les fréquenter selon la dernière enquête de l’Observatoire de la vie étudiante) et permettent de réduire les inégalités en termes de réussite étudiante. En temps de crise, les BU sont des valeurs sûres.
Les chantiers du nouveau bureau de l’ADBU pour 2025
Les membres du nouveau bureau de l’ADBU, qui ont pris leurs fonctions au 1er janvier 2025, ont présenté leurs projets dans une profession de foi. Des initiatives qui s’inscrivent en continuité avec celles du précédent mandat, notamment dans la réalisation du plan BU 2030. Son objectif ? Atteindre un niveau de service comparable aux standards européens.
Parmi les priorités :
• Porter la voix des bibliothèques universitaires et des bibliothécaires sur les grands enjeux de société (renforcer la reconnaissance du rôle des personnels des bibliothèques en soutien à la formation et à la recherche).
• Défendre la dimension documentaire comme une composante structurante de la politique des établissements et des politiques publiques.
• Mieux valoriser la place des bibliothèques dans les grandes réformes en cours, comme l’universitarisation des paramédicaux ou le développement des alliances européennes.
• Faire reconnaître que les investissements dans les bibliothèques ne se limitent pas à une seule action ou un seul levier, mais ont des effets multiples (par exemple, le prêt de PC favorise la réussite étudiante et permet de lutter contre la précarité numérique).
• Formaliser, sur le plan administratif, la réforme statutaire du corps des conservateurs et conservateurs généraux des bibliothèques pour aller au bout des changements nécessaires à l’accompagnement de l’évolution et de la valorisation des carrières des cadres.