Un million d’idées : quand la jeunesse mondiale exprime sa vision du monde et de l’éducation
Par Marine Dessaux | Le | Rse - développement durable
Si on leur demande leurs souhaits pour la planète, les 15-29 du monde aspirent d’abord à la paix, bien avant de penser à l’environnement… Un écart bien moins marqué en Occident que dans le reste du monde. Voici l’un des résultats de la consultation internationale Youth Talks, portée par la fondation Higher education for good, qui a analysé près d’un million d’idées !
Pus de 45000 jeunes de 15 à 29 ans venant de 212 pays et territoires : la plateforme Youth Talks a interrogé, d’octobre 2022 à mai 2023, la jeunesse mondiale sur ses aspirations et ses inquiétudes pour l’avenir, notamment de la planète. Une démarche complémentaire à l’enquête d’Ashoka pour la France et d’Animafac pour l’Europe.
L’initiative Youth Talks est portée par la fondation suisse Higher Education for Good, créée par l’école de management française, Skema, mais aujourd’hui indépendante. Elle rassemble de nombreux partenaires du supérieur français : la Conférence des grandes écoles, l’Université Côte d’Azur ou encore le Learning Planet Institute (LPI).
Ce dernier acteur propose, dans le cadre du Festival de l’apprendre dont Campus Matin est partenaire, une présentation des résultats de la consultation de Youth Talks : à la presse le 23 janvier et au grand public, le 25.
Car cette initiative participe à répondre à un des enjeux de transition écologique souligné par François Taddéi, président du LPI et chercheur en sciences de l’apprentissage, celui d’écouter les demandes de la jeunesse pour construire le monde demain.
Près d’un million d’idées à synthétiser
La particularité de la consultation Youth Talk est de poser uniquement des questions ouvertes à un grand nombre de participants. L’analyse de près d’un million d’idées a été rendue possible par l’usage de l’intelligence artificielle et le natural language processing.
La plateforme a été construite par un comité scientifique (voir encadré) et Bluenove, une entreprise spécialisée dans les consultations citoyennes via l’utilisation de technologies puissantes d’analyses sémantiques.
« La richesse des réponses, avec plus de 100 thèmes abordés, montre l’importance de ne pas limiter les jeunes à des rubriques préétablies comme le proposent les QCM. Ces réponses d’une diversité incroyable ont été regroupées en metaclusters pour faire émerger des tendances », explique Marine Hadengue, directrice executive de Youth Talks.
Par ailleurs, les modalités de participation sont multiples (écriture, enregistrement de la voix ou envoi d’images) favorisant la diversité et l’inclusion. L’enquête est disponible en six langues.
Qui sont les répondants français ?
Sur les 45000 répondants, figurent 9,8 % de Français, soit environ 4400 jeunes. Ils sont à 65 % étudiants, 13,4 % étudiants et salariés, 16 % salariés. Parmi les étudiants, 46 % sont en master et 29 % en licence. Par ailleurs, 52 % des Français interrogés sont des femmes.
Les grands résultats
Une quête de paix pour soi et la planète dans le futur
Dans le monde, les jeunes aspirent à la paix (32 %), avant la protection de l’environnement (21 %). En Europe et Asie centrale, l’écart est moins important entre ces deux priorités (34 % vs 33 %) et l’ordre est même inversé en France où l’environnement est en tête d’un pour cent (37 % vs 36 %).
Cette considération pour la planète disparaît cependant lorsque la jeunesse est interrogée sur ce qu’elle souhaite pour elle-même. « Le lien entre leur avenir et celui de la planète n’est pas encore très clair », note François Taddéi.
En effet, l’atteinte du bonheur personnel est la priorité la plus citée en Occident (36 % pour l’Europe et l’Asie centrale) par les jeunes lorsqu’ils se projettent dans le futur. Un objectif similaire pour les Français (30 %). Viennent ensuite, en Europe, la vie interpersonnelle et sociale (15 %) et le succès individuel (15 %).
Dans le reste du monde, c’est le succès individuel qui est classé premier.
La situation économique source d’inquiétudes pour l’avenir
En Europe et en Occident en général, la situation financière constitue une préoccupation majeure pour les jeunes sur un plan personnel devant l’échec (25 % vs 16 %) alors que dans le reste du monde, c’est l’inverse (23 % vs 17 %). En revanche, en France, seulement 13 % des répondants ont évoqué leur situation financière : ils se soucient plus de leur avenir professionnel.
Concernant les autres et la planète, dans le monde, en Europe et en France, les jeunes appréhendent d’abord les problèmes environnementaux, la guerre arrive en seconde position, suivie par les problèmes économiques.
La question environnementale à traiter en priorité pour construire le futur souhaité !
La question des problèmes collectifs à traiter pour construire le futur souhaité a suscité l’évocation de plus de 190 thématiques différentes !
L’impératif environnemental s’est imposé comme le leitmotiv dominant (35 %). La question a aussi dévoilé une profonde préoccupation face à l’individualisme et au manque de coopération (17 %). Les enjeux économiques ont été relevés par 13 % des participants. Vient ensuite l’éducation pour 10 % des répondants.
En France, le rapport à l’environnement et à autrui influence également majoritairement les problématiques collectives citées.
Des sacrifices matériels consentis par les uns, impossibles pour les autres
En France, 40 % des répondants de disent prêts à sacrifier leur confort matériel pour construire le monde de demain… et 27 % à ne pas vouloir y renoncer. Un sujet de confort mentionné dans les pays occidentaux, mais peu ailleurs, où sont cités les valeurs et les proches.
« Ces réponses contradictoires soulignent la complexité des choix à faire pour cette jeune génération et mettent en lumière le défi que représente la conciliation de ces différences vers la quête d’un consensus. Cela invite à une réflexion collective plus approfondie sur la manière dont nous pouvons favoriser un dialogue constructif et une action collective efficace vers un but commun, respectueux des aspirations variées », selon l’étude.
Un besoin d’apprentissage des valeurs et compétences pratiques
L’enquête a également interrogé les jeunes sur les compétences qui devraient être enseignées à l’école. Au sommet des thématiques suggérées des participants, quelle que soit leur région : les notions de valeurs personnelles et de vertus. Ils appellent à une éducation renforcée autour des problématiques environnementales en Europe, Asie centrale (27 %) et Amérique du Nord (17 %).
À noter que les participants d’Asie du Sud, de l’Est et du Pacifique ont accordé une importance particulière aux compétences pratiques de la vie.
En France, pour près d’un participant sur deux, nous devrions tous apprendre : des valeurs personnelles telles que le respect (16 % des participants), suivi de la solidarité et de l’ouverture d’esprit. De nombreuses autres valeurs sont citées : tolérance, empathie, partage, altruisme, acceptation, amour, gentillesse, compréhension ou encore humilité.
Une prédominance des valeurs et vertus
Thème omniprésent tout au long de la consultation, l’importe des valeurs traditionnelles et vertus se manifestant de manière encore plus marquée lorsque les jeunes ont été questionnés sur leurs besoins d’apprentissage.
« Cette découverte, absente des sondages classiques existants, met en lumière un sentiment de perte de repères et le besoin d’ancrages fondamentaux au sein de la jeunesse. Notre jeunesse demander aux institutions d’enseignement de lui donner les bases nécessaires pour “refaire société” avant même de pouvoir apprendre un métier », peut-on lire dans le rapport de l’enquête.
Ce qui interroge les jeunes
Quand on demande aux participants quelle question ils voudraient poser aux jeunes dans le monde, il se dégage une « préoccupation majeure pour le développement personnel, le futur de la société, l’équilibre entre le présent et l’avenir, et une tendance générale vers un état d’esprit de croissance ».
Partir des attentes de la jeunesse pour construire l’avenir
Le Learning Planet Institute a signé un accord avec l’Université des Nations Unies pour la création d’une Planetizen University, un projet visant à co-concevoir un modèle universitaire avec les jeunes.
Il pourra s’appuyer sur les consultations conduites auprès des jeunes sur leurs attentes en matière d’éducation et d’engagement. Youth Talks pour le monde, mais aussi l’enquête d’Ashoka pour la France et d’Animafac pour l’Europe.
Son ambition pour la suite ? Être « un outil utilisé par des instituts de recherche, des écoles ou des universités, pour apporter la voix des jeunes et assurer la co-construction des sociétés de demain », espère Marine Hadengue. Une nouvelle édition de la consultation est en préparation pour 2024.
Un comité scientifique présidé par Frédérique Vidal
Le comité scientifique qui a supervisé la consultation et son analyse est composé de :
• Frédérique Vidal, ancienne ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation de 2017 à 2022. Elle est directrice du comité scientifique Youth Talks et conseillère scientifique bénévole pour la Higher education for good foundation. L’ancienne présidente d’université est aujourd’hui conseillère spéciale pour l’european foundation of management development (EFMD).
• Rodrigo B. Castilhos, professeur associé de marketing à Skema business school. Ses recherches portent sur l’interaction entre les systèmes de marché, l’espace et les marchés, et la consommation et la classe sociale.
• Éric de la Clergerie, chargé de recherche à Inria dans le domaine du natural language processing, et plus particulièrement du parsing et de la syntaxe.
• Rodolphe Desbordes, professeur d’économie à Skema en France.
• Marine Hadengue, directrice executive de Youth Talks. Également professeure à Skema Business School, son expertise porte sur l’éducation au management responsable, l’innovation et l’entrepreneuriat social.