Accueillir vite et bien, le défi des établissements face à l’arrivée des étudiants ukrainiens
Par Enora Abry | Le | Stratégies
Un à un les établissements de l’enseignement supérieur français se portent volontaires pour accueillir les étudiants ukrainiens, mais quels sont les parcours mis en place pour les recevoir ? Comment s’adapter aux besoins de ces étudiants en exil ? Campus Matin s’est intéressé à deux initiatives prises par le Centre international rennais d’études de français pour étrangers et par ESCP Business School.
En France, plus de 80 000 Ukrainiens bénéficient de l’allocation pour demandeurs d’asile depuis le début de la guerre, a annoncé l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) dans un tweet le 12 mai dernier. Derrière ce chiffre, des milliers d’étudiants qui n’ont pas pu poursuivre leurs études dans leur pays d’origine.
Pour les accueillir, plusieurs établissements du supérieur ouvrent leurs portes. Parmi eux, sept écoles et universités rennaises et ESCP Business school, leur proposent un parcours dédié. Comment mettre en place de tels programmes dans l’urgence ? Ils racontent ce défi.
Une première initiative prise à Rennes
« Nous avons commencé à entendre parler de cours pour les Ukrainiens vers la fin mars. À partir de là tout est allé très vite », se rappelle Ariane Feyler, responsable pédagogique du programme d’accueil des étudiants ukrainiens au sein du Centre international rennais d’études de français pour étrangers (Cirefe).
Le Cirefe est un service commun à sept établissements de l’enseignement supérieur de Rennes et ses alentours, ensemble plus couramment désigné sous le terme « UniR ».
C’est l’UniR qui a lancé l’idée d’un programme dédié aux étudiants ukrainiens et qui a accordé un budget de 100 000 euros pour l’ensemble du dispositif, afin d’exonérer les futurs apprenants et de recruter deux professeurs en CDD.
« Le programme a naturellement pris forme au Cirefe, puisqu’accueillir les étudiants en exil a toujours fait partie de nos missions. Avant les vacances d’avril, nous avions déjà la première maquette du programme. Nous avons pu accueillir les premiers étudiants le 25 avril dernier. Ils sont au nombre de 18 aujourd’hui », poursuit-elle.
À terme, la formation pourra accueillir 40 étudiants dans deux classes différentes.
De l’apprentissage de la langue à l’entrée à l’université
« La formation que nous proposons n’est pas faite pour ceux qui veulent simplement apprendre le français, rappelle Ariane Feyler, mais pour les jeunes qui veulent entamer ou poursuivre des études. Nous avons donc construit notre programme en ce sens. »
En quoi consiste le parcours proposé ? Il se divise en trois parties. La première, qui a déjà commencé, est faite de cours intensifs en langue et civilisation françaises. Trois heures par jours pendant deux mois. Les étudiants arrivant au compte-gouttes, une autre classe ouvrira le 23 mai.
Ensuite, à partir de la fin juin, les étudiants ukrainiens rejoindront pour trois semaines les cours d’été, communs à d’autres étudiants étrangers. « C’était vraiment important pour nous qu’ils puissent se mélanger avec les autres », souligne Ariane Feyler.
Enfin, au mois d’août, ils intégreront l’université d’été, où ils assisteront à des cours plus axés sur l’entrée à l’université.
À la suite de ce premier volet de formation, ils obtiennent un certificat d’étude qui leur permet de candidater au diplôme universitaire passerelle (DUP), une formation d’un an faite de classes de langue et d’aide à l’orientation en vue de la reprise d’études. Toutefois, aucune place n’est garantie puisque plus d’une centaine de jeunes en exil candidatent à ce programme chaque année.
« Au Cirefe nous accueillons des étudiants en exil depuis 2015. À l’époque nous avions une capacité d’accueil de 50 étudiants. Depuis, avec la pandémie, entre la perte d’effectifs et les conditions parfois compliquées pour les élèves compte tenu des restrictions sanitaires, le nombre d’étudiants a baissé. Aujourd’hui, nous en avons environ 40. Voilà pourquoi, le nombre de places en DUP pour la rentrée prochaine, c’est la grande question ! Il nous en faudrait plus, mais nous manquons de subventions », déplore Sophie Busson, responsable du DUP au Cirefe.
Dernière étape du parcours : si l’étudiant parvient à intégrer le DUP et à l’obtenir, il pourra candidater pour rejoindre la formation de son choix parmi celles proposées par l’Unir en septembre 2023.
Accueillir coûte que coûte
À Rennes, la question de l’accès aux aides pour ces jeunes arrivants était au cœur des préoccupations pendant la création de ce programme. « Le certificat d’études que nous proposons en début de parcours ne confère pas le statut d’étudiant et ne donne donc pas accès aux aides-étudiantes, contrairement à un diplôme universitaire. Nous voulions faire de ce certificat un DU mais nous n’avons pu », explique Ariane Feyler.
Toutefois, le Centre de mobilités internationales (CMI) de Rennes se charge de rediriger ces futurs apprenants vers d’autres aides. C’est également ce centre qui peut les orienter vers la formation du Cirefe, après vérifications administratives : obtention de la protection temporaire, diplôme confirmant l’entrée dans l’enseignement supérieur (bac ou équivalent). Avec cette première étape, les premiers problèmes apparaissent.
« Parfois, les étudiants ne peuvent pas nous présenter leurs diplômes ou sinon les diplômes ne sont pas traduits. Le Cirefe doit alors arbitrer avec le CMI, explique Ariane Feyler. Nous sommes compréhensifs. On leur fait confiance quand ils arrivent à nous expliquer clairement les études qu’ils ont faites. Cependant, avec le nombre de demandes qui augmente en DUP, nous sommes plus exigeants sur ce point-là. »
Une fois inscrit, l’étudiant intègre une classe où les cours ont parfois déjà commencé. « . Qu’importe le moment de l’été, nous accueillerons les nouveaux arrivants s’il nous reste des places. Résultat : les professeurs se retrouvent face à des classes à plusieurs vitesses, pointe Ariane Feyler. Heureusement, nous avons trouvé deux enseignants qui sont déterminés à relever le défi. »
Une opportunité à faire connaître
« Nous étions un peu surpris de ne pas recevoir plus de demandes au début, mais il est vrai que la formation n’est pas facile à trouver », souligne Ariane Feyler. Toutefois, via le CMI, l’information de cette opportunité commence à circuler dans les associations d’aide à l’Ukraine qui informent les étudiants. Pendant les vacances d’avril, les demandes se sont multipliées.
« Nous avons aussi remarqué que le bouche-à-oreille fonctionnait bien. Les étudiants dans la formation envoient des messages à leurs amis, leurs connaissances, pour leur dire de venir », ajoute Ariane Feyler.
Un travail dans l’urgence à ESCP
Tout comme le Cirefe de Rennes, ESCP Business School a accueilli ses premiers élèves ukrainiens la dernière semaine d’avril. Deux mois pour construire un programme et trouver des professeurs : un défi lancé par Léon Laulusa, directeur général délégué d’ESCP Business school, au lendemain des premiers bombardements sur la ville de Kiev, le 24 février dernier.
« Nous étions en vacances quand c’est arrivé. Le matin même, Frank Bournois, le directeur général de l’école, m’a appelé. Deux jours après nous avons exfiltré tous nos élèves de Russie et rompu les partenariats académiques. Nous faisions des réunions en nous demandant : que peut-on faire de plus ? Des collectes de dons ? Je me suis dit que ce n’était pas suffisant. Notre métier c’est l’éducation, alors il était de notre devoir de faire un programme d’accueil », raconte Léon Laulusa que le sujet touche particulièrement, ayant été lui-même réfugié.
À partir de là, toute la communauté d’ESCP a été mise à contribution pour construire le programme, que ce soit les associations étudiantes, les professeurs, le personnel administratif ou encore les alumni qui organisent des collectes de fonds pour financer une partie du programme et faire des dons à des associations d’aides à l’Ukraine.
Les équipes des six campus sur le pont
Finalement, en deux mois, ESCP n’a pas mis au point un programme, mais deux, chapeauté par le nom ESCP4U, contraction d'ESCP for Ukraine.
Le premier programme a commencé la dernière semaine d’avril sur le campus parisien avec une quarantaine d’élèves et se terminera fin juin. Les cinq autres campus suivront. Ce sont des cours de langues et de coaching à destination d’élèves, mais également de professionnels qui souhaitent s’intégrer dans leurs pays d’accueil. Cette initiative est pilotée par une association étudiante d’ESCP du nom d'ERA (ESCP réfugié accueil). À l’issue de la formation, l’apprenant reçoit un certificat.
Le deuxième programme ouvre ses portes la deuxième semaine de mai. Cette fois-ci, il s’agit d’une reprise d’études directe pour les élèves de niveau master. Les étudiants pourront choisir leurs destinations en fonction des places et se rendre sur l’un des six campus d’ESCP, mais également choisir leur cours parmi 85 modules différents.
En parallèle de cette offre en présentiel, des cours de soutien en langue seront accessibles en ligne. Au même titre que toutes les autres formations d’ESCP, celle-ci accorde les crédits nécessaires pour obtenir un diplôme reconnu. Pour l’instant, une cinquantaine d’élèves ont été sélectionnés et seront répartis dans les différents campus, mais l’école souhaite aller plus loin.
« Notre objectif, c’est de former 300 étudiants ukrainiens, affirme Léon Laulusa. Pour cela, on met tous nos campus à contribution. 300, cela équivaut à 50 par campus. »
L’école a aussi prévu dix bourses accordées sur dossier afin d’aider les futurs apprenants dans leur quotidien. Un nombre qui pourrait augmenter en fonction des résultats de la collecte de fonds.
Une dernière initiative verra le jour à partir de septembre. « Nous avons signé un partenariat avec l’Université nationale de commerce et d’économie de Kiev qui inclut aussi l’Esfam (Établissement spécialisé de la Francophonie pour l’administration et le management), Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Sorbonne Nouvelle Paris 3 et l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales). Le but est de fournir des cours en ligne aux étudiants restés en Ukraine dans leurs universités d’origines. Si à cause des évènements, leur continuité académique est perturbée, nous fournissons les cours manquants. »
L’appel d’ESCP
« Ce que nous souhaitons, c’est que ce projet d’ESCP soit dupliqué dans d’autres écoles en France, et là, tous ensemble, nous aurons vraiment de l’impact. Nous sommes bien évidemment prêts à partager nos expériences », propose Léon Laulusa qui affirme avoir été contacté par d’autres écoles souhaitant s’inspirer de ce programme.
D’autres initiatives partout en France
Pour les étudiants ukrainiens qui étaient déjà installés en France avant la guerre, plusieurs dispositifs ont été mis en place selon les universités et les écoles, comme des bourses et des cellules d’aides psychologiques. En ce qui concerne l’accueil des étudiants ukrainiens arrivant sur le sol français, d’autres établissements se mobilisent à l’instar de l’Unir et de l’ESCP :
• l’Université de Lille a lancé un appel aux dons pour financer des bourses d’études pour les étudiants en exil ;
• l’Université PSL a mis en place un « Plan solidarité Ukraine » visant à accueillir les étudiants en les intégrant à des cursus correspondant à leurs formations ;
• l'Université Paris-Est-Créteil offre des cours de français aux étudiants déplacés d’Ukraine pour faciliter leur intégration en France. L’université et sa fondation financent également des aides pour ces étudiants.
• Sorbonne université met actuellement en place un service unique centralisant toutes les demandes de préinscriptions provenant des ressortissants ukrainiens pour des cursus proposés par la faculté. Par ailleurs, des cours de langue sont déjà proposés pour les étudiants non francophones fuyant l’Ukraine.