Vie des campus

Certification en langue anglaise à l’université : deux ans après, le débat continue

Par Pauline Tressols, Théo Haberbusch | Le | Stratégies

Depuis la parution en avril 2020 du décret et de l’arrêté rendant obligatoire le passage d’une certification en langue anglaise pour la validation des diplômes de premier cycle, le projet fait l’objet de nombreuses contestations. Le ministère revoit sa stratégie, tandis que les universités réclament un délai supplémentaire pour s’y préparer.

La certification en langue anglaise concernerait plus de 2 millions d’étudiants chaque année - © Pexels
La certification en langue anglaise concernerait plus de 2 millions d’étudiants chaque année - © Pexels

En février 2018, Édouard Philippe, alors Premier ministre, annonce l’obligation de passation d’une certification en langue anglaise, durant le premier cycle d’études supérieures.

« À terme, chaque étudiant à la fin de son lycée et au plus tard en fin de licence aura passé un test de type Cambridge, financé par l’État, et qui donnera donc un niveau reconnu partout à l’étranger et par le monde socio-économique », indique-t-il.

Une mesure confirmée en septembre 2019 par Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, lors de sa conférence de presse de rentrée. 

La nouveauté se traduit dans la réglementation par un arrêté et un décret, parus au Journal officiel en avril 2020.

Valoriser le niveau d’anglais des étudiants

Sana Ronda - © Sana Ronda
Sana Ronda - © Sana Ronda

« Instaurer la certification, c’est installer la compétence linguistique comme une priorité dans l’enseignement  », analyse Sana Ronda, présidente de Linguaphone, un organisme de formation professionnelle en langues. D’après elle, « tout le système pédagogique des langues doit être repensé » : le niveau des élèves et des étudiants en France est lacunaire et « largement insuffisant », juge la formatrice. Disposer d’un score à un test va permettre de comparer les établissements entre eux et les inciter à revoir leur pédagogie, estime-t-elle. 

« Les étudiants doivent disposer d’une certification reconnue par le marché du travail, véritable sésame pour leur parcours professionnel », affirme de son côté Mélanie Viénot directrice générale de Woonoz Projet Voltaire et co-présidente d’EdTech France.

Une façon d’attester de son niveau en langue, de le valoriser sur son CV et d’en obtenir une reconnaissance par les entreprises et à l’international. C’est d’ailleurs une pratique déjà adoptée dans les écoles de management ou d’ingénieurs depuis de nombreuses années. 

Mais les nouveaux textes généralisent ce principe à tous les élèves de premier cycle, en rendant obligatoire la certification, sans résultat minimal requis. La mesure doit se mettre en place de manière progressive, en commençant par les licences en langues, les licences professionnelles, DUT et BTS, dès l’année universitaire 2020-2021. Il est prévu qu’elle concerne ensuite l’ensemble des étudiants du premier cycle à la rentrée 2023.

Dans les faits cependant, très peu d’étudiants l’ont passée cette année. La crise sanitaire n’a pas arrangé les choses, mais c’est surtout que le projet est (très) mal accueilli.

Un projet d’emblée contesté

En novembre 2019, après la confirmation des dispositions par le Mesri, le Cneser (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche) rejette déjà ce projet de loi, par un vote - purement consultatif - très largement défavorable.

Craignant que la mesure n’entraîne des coûts supplémentaires pour les étudiants, la Fage (Fédération des associations générales étudiantes) monte au créneau. Pourtant, le financement de la certification est prévu par l’État, avec 3,12 millions d’euros inscrits dans le programme « Vie étudiante » de la loi de finances 2020.

Ce n’est que le début des critiques…

Une atteinte au plurilinguisme

Avant même la publication des textes, le Snesup (Syndicat national de l’enseignement supérieur) propose d’y remplacer « la langue anglaise » par « une langue vivante » afin de défendre le plurilinguisme.

En septembre 2020, 15 associations regroupant des étudiants, enseignants et chercheurs en langues déposent un recours devant le Conseil d’État, afin de faire abroger l’arrêté. D’après elles, ce dernier « porte atteinte au plurilinguisme au sein des universités par la seule obligation de l’anglais et, de ce fait, conduit à un appauvrissement des profils des étudiants en termes de langues vivantes. Il s’agit, à terme, d’une perte de compétences linguistiques. »

Un avis partagé par Benjamin Lévy, co-fondateur de Gymglish, une société de cours de langues en ligne :

« La certification obligatoire de l’anglais porte un coup à la diversité culturelle qui guide les départements des langues au sein des universités. Dans notre économie mondialisée, l’anglais s’est certes imposé comme la langue globale. Pour autant, les LV2 sont en excellente santé : elles recueillent l’intérêt de nombreux étudiants et méritent, autant que l’anglais, une certification reconnue à l’international. »

La promotion du bachotage sur l’évaluation continue

Pour Benjamin Lévy, « la perte de compétences linguistiques » soulevée par les associations dépend aussi d’un autre critère : 

Benjamin Lévy - © D.R.
Benjamin Lévy - © D.R.

« Un processus d’évaluation continue analyse non seulement les acquis, mais aussi la consolidation de ces acquis dans le temps, la mémorisation, les besoins en révisions… À l’inverse, l’arrêté du 3 avril 2020 plébiscite un test instantané qui, certes, est très pratique pour industrialiser l’évaluation et la sélection, mais que l’on bachote et qui renseigne peu sur les efforts d’apprentissage en amont et la capacité de mobilisation des connaissances en aval. »

Ces tests «  ponctuels et standardisés sous forme de QCM » sont « déconnectés de tous contextes et contenus », écrit-il plus récemment dans une lettre ouverte aux responsables d’établissements d’enseignement supérieur.

Un manque de confiance à l’égard des universités

Dans les textes est inscrit que la certification fait l’objet d’une « évaluation externe ». Un marché national est ainsi initié par l’État, afin de sélectionner un prestataire privé capable d’organiser l’évaluation de A à Z, en présentiel, et de délivrer le précieux certificat . 

C’est pourquoi les 15 associations soulignent dans leur recours que « ce dessaisissement laisse supposer que les enseignants du supérieur ne seraient pas compétents pour évaluer leurs étudiants en fonction des besoins de chacun  ».

« Il eût été bien plus vertueux et sage de laisser compétentes les universités en ce domaine », ajoute l’Alliance des universités de recherche et de formation (l'Auref, qui regroupe 34 universités) début 2021. Avant de pointer « l’absence de confiance de la part de l’État vis-à-vis des universités  ».

Des organismes privés pour une certification publique

Mais le point de discorde cardinal est le suivant : l’arrêté projette « le dessaisissement de la politique linguistique des universités au profit de sociétés privées, alors même que des dispositifs publics reconnus existent », relève le recours des 15 associations, en faisant référence au Cles (Certification en langue de l’enseignement supérieur). Une certification effectivement reconnue par l’État au niveau académique, et accréditée par le ministère de l’enseignement supérieur.

Seulement, contrairement à d’autres prestataires, le Cles ne répond pas aux critères du décret et de l’arrêté qui prévoient une certification reconnue à l’international et par les entreprises.

En effet, les annonces initiales du Premier ministre s’inscrivaient dans un discours sur le commerce extérieur et visaient à « mieux accompagner les entreprises sur les marchés internationaux concurrentiels », comme le rappelle Frédérique Vidal, dans cette réponse écrite à un sénateur.

Une mise en œuvre en 2021 malgré « une opposition massive »

Malgré ces contestations, le ministère signe en décembre 2020 un contrat de quatre ans avec PeopleCert, un organisme britannique, pour fournir les examens et la certification en anglais à compter de 2021.

Ce n’est donc pas ETS Global, entreprise éditrice des fameux tests Toefl et Toeic, qui emporte le marché comme beaucoup le craignaient. Mais les critiques se poursuivent…cette fois sur le manque de notoriété de PeopleCert.

Selon l’Auref, « cette entreprise est peu connue dans le milieu des organismes certificateurs, sa renommée en France est discutable et discutée ».

L’alliance dénonce aussi « l’entêtement du ministère à rendre obligatoire dès 2021, et dans les conditions actuelles de crise sanitaire qui appellent les universités sur d’autres fronts autrement plus essentiels, la passation d’une certification en dépit de l’opposition massive des enseignants de langues, des spécialistes en didactique des langues et en langues de spécialité, ainsi que des associations d’étudiants ».

Plusieurs réunions entre le ministère, les universités et la société PeopleCert ont eu lieu pour mettre en oeuvre la mesure. L’entreprise fait alors de nombreux efforts pour convaincre les établissements, s’adapter à la situation sanitaire et aux contraintes de calendrier, selon une source proche du dossier, interrogée par News Tank

Le Mesri maintient l’exigence

Au terme de la première année de mise en place, le Mesri, en lien avec la CPU, décide en mai 2021 que le marché conclu avec PeopleCert « ne sera pas renouvelé ».

La session 2021 sera donc la seule organisée nationalement par le ministère. Mais la nécessité de passer le test est néanmoins maintenue. À partir de 2021-2022, aucun diplôme ne sera délivré sans la preuve de cette certification.

« En conséquence, il vous appartient, en tant qu’autorité autonome, de procéder à la mise en œuvre de cette obligation de certification et d’organiser la passation des tests », prévient un courrier de la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (Dgesip) aux présidents d’université.

Alors que l’État prévoyait la gestion complète de la certification, il revient désormais aux établissements de l’orchestrer. Une aide financière du ministère, dont le montant n’est pas encore connu, leur sera attribué.

Cependant, les universités doivent chercher par elles-mêmes et individuellement un prestataire qualifié, définir les modalités des sessions et trouver des surveillants pour la passation. De nouvelles problématiques qui virent au casse-tête et qui pourraient s’avérer plus coûteuses que le marché national si les établissements avancent en désordre. 

Un délai supplémentaire pour s’organiser

La volonté des universités : repousser d’un an la certification - © Pexels
La volonté des universités : repousser d’un an la certification - © Pexels

Preuve de l’embarras général, le 9 juillet dernier, 28 vice-présidents et vice-présidentes CFVU ont adressé une lettre à Frédérique Vidal au sujet du décret. Ils lui demandent de « reporter d’une année la mise en place de la certification et ouvrir une concertation sur sa nature et ses modalités d’application ».

Ils renouvellent au passage le souhait que d’autres langues que l’anglais puissent être choisies et que le Cles fasse partie des certifications éligibles.

L’intérêt d’une année de transition

Reporter la mise en application d’un an « aura notamment pour avantage de permettre d’adapter le Cles au cahier des charges du ministère (ou l’inverse) et de le rendre éligible », et permettra « de mener des expérimentations à différentes échelles selon les établissements, afin de nourrir la réflexion pour la rentrée 2022 », poursuivent les vice-présidents.

Toutefois, à ce jour, le ministère n’envisage pas de modifier le délai pour mettre en place la certification.