Faux départ pour la rentrée sur le nouveau campus de Sorbonne Nouvelle
Par Isabelle Cormaty | Le | Stratégies
La rentrée des étudiants de l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 a été reportée de deux semaines et une partie des cours du premier semestre ont basculé en distanciel. Le nouveau campus de l’établissement, situé à Nation, accumule les problèmes logistiques et souffre d’un manque de capacités dans un climat social tendu.
Ils devaient effectuer leur rentrée dans des locaux flambant neuf sur le campus de Nation dans l’est de Paris. Mais la plupart des 17 000 étudiants de l'Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 ont vu leur rentrée repoussée de deux semaines et fixée au 3 octobre. En cause : des problèmes logistiques et une capacité insuffisante pour accueillir l’ensemble des étudiants dans les nouveaux bâtiments.
La Commission formation et vie étudiante (CFVU) de l’établissement a également voté, le 2 septembre, le passage des cours du bureau des enseignements transversaux en distanciel asynchrone. « Ces décisions ont été prises pour sortir de la paralysie. Mais le planning avance bien et nous devrions même réussir à limiter le recours au distanciel », assure Jamil Dakhlia, le président de Sorbonne Nouvelle à News Tank (abonnés).
Pas de quoi rassurer les organisations syndicales qui qualifient cette rentrée de « chaotique » et « catastrophique » et mettent en cause le manque d’anticipation de la gouvernance de l’établissement…
Des bâtiments neufs aux capacités insuffisantes
« Nous ne sommes pas dans le chaos comme certains ont pu l’affirmer. Les réunions de prérentrée ont eu lieu, les étudiants étaient contents, et si la majorité de nos formations rentrent le 3 octobre, certaines ont déjà commencé. C’est une rentrée plus progressive que prévu, mais pour l’instant cela se passe bien », se défend Jamil Dakhlia.
Seules les formations contraintes comme les formations en alternance ou de préparation aux concours et au Capes ont maintenu leur calendrier de rentrée.
Le président reconnaît des problèmes de capacité d’accueil sur le nouveau campus de Nation livré, après huit ans de travaux :
« Ce qui a tout bouleversé c’est le calibrage des salles : là où on avait des salles de 30 à Censier, on a aujourd’hui des salles de 40, et en moins grand nombre, ce qui n’est pas toujours en adéquation avec la réalité des groupes. Je ne sais pas pourquoi ces choix ont été faits lors de la conception du campus, car je n’étais pas en responsabilité, mais cela ne reflète pas non plus la réalité pédagogique de l’époque. »
En tout, le campus de Nation compte une trentaine de salles en moins par rapport aux anciens locaux historiques du site de Censier. Un manque de places dénoncé par les organisations syndicales et étudiantes depuis le lancement du projet en 2014. « Cela fait des années que nous alertons la gouvernance sur le fait que la capacité du campus Nation sera inférieure à celle de Censier », se souvient Emma Rubio-Milet, professeure agrégée d’espagnol à Sorbonne Nouvelle depuis 2011 et membre du syndicat CGT-Ferc.
La location de salles pour compenser le manque de place
L’université loue une douzaine de salles supplémentaires au premier semestre à la Défense, à la Cité internationale université de Paris et au lycée François Villon pour un budget d’environ 500 000€. Le président de l’université explique être en lien avec des promoteurs pour louer des salles plus proches du campus.
« Des étudiants ont choisi un logement près de Nation, mais se retrouvent à suivre des cours à l’autre bout de Paris, loin des nouvelles infrastructures », constate Paul Malherbe, en troisième année de licence cinéma et élu étudiant de la CFVU.
« Les emplois du temps n’ont pas été élaborés pour ces changements de lieu, regrette la professeure agrégée d’espagnol Emma Rubio-Milet. Certains locaux comme des open spaces ne sont pas adaptés à l’enseignement supérieur. Et au lycée François Villon, le règlement intérieur de l’établissement scolaire s’applique, les étudiantes voilées ne peuvent y accéder. »
Des cours en distanciel asynchrone pour certaines promotions
Autre solution pour pallier les capacités insuffisantes : le passage de certains cours transversaux en ligne comme les langues ou l’informatique. « Les cours en distanciel révoltent nombre d’enseignants, ce n’est pas une solution miracle et cela demande aux professeurs de retravailler tous leurs enseignements », s’insurge Emma Rubio-Milet.
Le président de l'Union nationale des étudiants de France (Unef) à Sorbonne Nouvelle, Paul Malherbe complète : « Nous pensions sortir de la période Covid en cette rentrée, mais nous avons encore des cours en distanciel. Les enseignements en ligne demandent plus d’investissement des étudiants qui sont chez eux, coupés du campus. »
La fatigue et la lassitude des personnels
Fatigués. Désabusés. Voilà les termes qui reviennent pour qualifier l’état d’esprit des personnels et des enseignants en cette rentrée particulière pour l’établissement. « Nous sommes épuisés et nous passons notre temps à faire et défaire notre travail, car nous recevons des consignes contradictoires », témoigne Isabelle Vieilleribiere, élue CGT au conseil d’administration et responsable administrative à l’Institut de la communication et des médias, l’une des composantes de l’université.
« Cela fait des mois que les personnels ont des conditions de travail très difficiles. Ils ont terminé l’année universitaire en juillet dans un état d’épuisement général, après un déménagement en pleine session d’examens. Tous les agents sont sur le pont depuis la rentrée et pâtissent des problèmes de sous-effectif et non-renouvellement des contractuels », complète la syndicaliste Emma Rubio-Milet.
Les bâtiments plus modernes oubliés par la situation rocambolesque
Après huit ans de travaux, l’Université Sorbonne Nouvelle a quitté ses locaux historiques, amiantés et vieillissants sur le site de Censier dans le Quartier latin pour un campus tout neuf à deux pas de la place de la Nation à Paris. « Nous sommes partis d’un campus amianté pour un bâtiment plein de malfaçons. Je partage mon bureau avec deux collègues, mais nous nous gênons quand nous accueillons des étudiants ou des enseignants », s’agace Isabelle Vieilleribiere
« Les étudiants disposent d’une bibliothèque universitaire plus grande et plus moderne et d’un restaurant universitaire alors qu’il n’y avait qu’une cafétéria à Censier. Mais l’accumulation des problèmes nous fait presque oublier ce nouveau campus », confie Paul Malherbe.
Un climat social très tendu à Sorbonne Nouvelle
Ce report de la rentrée à l’Université Sorbonne Nouvelle intervient dans un climat social particulièrement tendu entre la gouvernance et les organisations syndicales. Une situation qui complique la mise en place de réformes en interne. L'Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr) s’est penchée sur le dossier en avril 2020, en effectuant un audit de l’établissement complété en avril 2022 année par une seconde mission . Cette dernière a notamment constaté une « forme d’état de fatigue généralisée » des personnels.
L’inspection formule 17 recommandations pour poursuivre les réformes et apaiser le dialogue social. Elle propose notamment d'« entreprendre une médiation visant à restaurer un fonctionnement apaisé du CHSCT d’une part, et le dialogue social d’autre part, à partir d’un travail de co-construction entre la direction et les organisations syndicales, qui aura vocation à s’étendre à l’ensemble de l’université ».