Rénovation, professionnalisation, rebond : 3 enjeux de rentrée vus des universités
Par Marine Dessaux | Le | Stratégies
Le bal des conférences de rentrée des établissements du supérieur touche à sa fin et, même si c’est le sujet central, il n’a pas été question que de budget ! Les universités défendent leurs formations après les propos d’Emmanuel Macron ; celles qui ont échoué aux trois vagues de l’appel à projets Excellences tracent des pistes pour rebondir, et d’autres entament, ou continuent, leurs rénovations immobilières.
La formation au coeur d’une polémique présidentielle, projets, travaux… Campus Matin vous résume trois sujets au cœur des conférences de rentrée universitaire 2023.
1. Fermer les formations non professionnalisantes : les universités ripostent
Dans une interview du YouTubeur HugoDécrypte, diffusée le 4 septembre 2023, le président de la République, Emmanuel Macron, affirmait la nécessité de « revoir nos formations à l’université », en se demandant si elles sont « diplômantes et qualifiantes ». Il incitait aussi « à ouvrir des formations courtes ». Il critiquait même les universités qui « n’ont pas le courage » de fermer des formations.
Un sujet qui a fait réagir tout au long des conférences de rentrée. Le 20 septembre, le président de l’association des universités intensives en recherche (Udice) soulignait la contradiction entre ces propos et la volonté de regagner une souveraineté économique. « Cela ne peut pas se faire sans les universités et les organismes de recherche », estime Michel Deneken, également président de l’Université de Strasbourg.
Alain Fuchs, président de l’Université PSL, voit dans ces critiques « des discours manichéens, qui ne servent pas à grand-chose et qui sèment le trouble, chez nous d’abord et sans doute dans la population ».
Attention aux raccourcis, alerte Caen Normandie
Le président de l’Université Caen Normandie, Lamri Adoui, s’exprimait à ce sujet lors de la conférence de rentrée du 14 septembre.
« J’entends la nécessité d’orienter les étudiants vers les filières d’avenir, pourvoyeuses d’emploi sur de longues durées. Mais je me méfie des raccourcis du type “il faut fermer les filières qui n’insèrent pas”. Nous avons des enquêtes quantitatives et quantitatives sur l’insertion des jeunes qui sont bonnes, alors, est-ce qu’on pense bien aux mêmes filières ? C’est la première fois que nous entendons ce discours. »
Vice-président en charge des moyens, Sandy Campart ajoute que le pilotage de la formation se penche déjà sur le taux d’insertion et les effectifs. « Nous n’avons pas attendu les propos présidentiels pour nous interroger. » Lamri Adoui incite à se méfier des conclusions trop hâtives : « Il faut laisser au moins deux rentrées pour voir si les diplômes s’installent, trouvent leur public. »
Peu de fermetures, mais des remises à plat régulières à l’Université Clermont Auvergne
Interrogé par News Tank le 3 octobre dernier (abonnés), le président de l’Université de Clermont Auvergne, Mathias Bernard, réagit également : « C’est étonnant d’entendre ce type de discours au plus haut niveau de l’État. Cela témoigne d’une méconnaissance de l’université. »
Il rappelle que, depuis 2012, tous les quatre ou six ans, toutes les formations des universités sont remises à plat en regardant une série de critères : le nombre d’étudiants, l’insertion professionnelle, l’adossement à la recherche, le ratio d’encadrement, les effectifs. « Selon les résultats, on reconduit, on ferme, et pour beaucoup, on fait évoluer. Alors, effectivement, nous fermons peu. Notre politique publique vise plutôt à augmenter les capacités d’accueil. »
Le président de Clermont Auvergne reconnait cependant que l’université n’est pas la mieux positionnée pour répondre à des besoins immédiats : « Entre l’expression du besoin, le temps d’ingénierie de la formation et celui de former les étudiants en deux ans, il faut faire attention à des formations qui pourraient être très vite périmées », met en garde Mathias Bernard.
2. Rebondir après l’échec à Excellences, les établissements envisagent la suite
Après trois vagues de l’appel à projets Excellences lancé par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR) en mars 2021 et doté de 800 millions d’euros dans le cadre du programme d’investissement France 2030, les derniers lauréats ont été annoncés le 31 août 2023. Certains établissements essuient trois échecs et doivent rebondir alors que le secrétariat général pour l’investissement (SGPI) a annoncé la fin des appels à projets « structurants ».
C’est le cas de l’Université Clermont Auvergne. Mathias Bernard dit avoir ressenti « de la déception et un peu d’incompréhension » alors que le projet aurait permis « d’aller plus loin dans la dynamique public-privé » également au cœur du label d’excellence I-site.
Désormais, l’université compte se tourner vers le MESR et le SGPI pour identifier comment des briques du projet rejeté pourraient être mises en œuvre et accompagnées financièrement. Le club d’entreprises imaginé pour Excellences sera lui réalisé « en réorientant une partie du budget I-site, à raison de 250 000 euros par an ».
« Tout n’est pas perdu » pour l’Université Jean Monnet Saint-Étienne
Même question pour l’Université Jean Monnet Saint-Étienne, alors que son projet E@sely n’a pas été retenu. Ce dernier proposait de structurer le premier pôle français d’ingénierie tourné vers les enjeux de la transition en rassemblant des acteurs publics et privés.
« Tout n’est pas perdu dans le travail qui a été réalisé. Nous avons travaillé avec quatre écoles d’ingénieurs, cela nous a permis de réfléchir à ce que pouvait représenter au niveau régional le secteur ingénierie au sein de l’université. Cela nous a interrogés sur nos propres forces sur ce sujet, et elles sont importantes », relativise Florent Pigeon.
Une « vraie synergie brestoise » à ne pas laisser s’éteindre à l’UBO
À l’Université de Bretagne Occidentale (UBO), le projet Blue-Inn revendiquait la structuration d’un établissement public expérimental (EPE) autour du thème de la mer, appelé « Université océanique de France », et la création d’un établissement-composante Bretagne INP regroupant les écoles d’ingénieurs Enib et l’Esiab.
N’ayant pas été retenu, l’établissement ne recevra pas les 21 millions d’euros demandés. Une nouvelle difficile à avaler pour les acteurs engagés : « Nous acceptons d’être mis en concurrence, mais nous n’acceptons pas d’être mis dans une zone aveugle. Il y a un terreau pour créer de l’aigreur », lance Alexis Michel, directeur de l’Enib, dans une interview à News Tank, le 9 octobre 2023 (abonnés).
Également interrogé, le président de l’UBO, Pascal Olivard dit avoir besoin d’aides financières. « Cette magie d’une vraie synergie brestoise, il y a le risque de la voir s’éteindre s’il n’y a pas les moyens pour mener à bien les projets. » Il n’abandonne pas le projet d’EPE, qui devrait voir le jour à l’horizon 2025, ni celui d’INP.
3. Les universités en chantiers !
À l’instar de nombreux bâtiments publics, les campus français ont besoin de travaux à tous les étages… Pour proposer aux étudiants et personnels une plus grande accessibilité, des espaces optimisés et accompagner les nouveaux usages de la communauté universitaire. La rénovation énergétique est un également un enjeu pressant : à la fois pour des raisons économiques, dans un contexte inflationniste, et de transition écologique.
Le plan France Relance
Pour répondre à ces problématiques, en septembre 2020, le plan France Relance, doté de 100 milliards d’euros, consacre quatre milliards d’euros à la rénovation des bâtiments publics d’État et des collectivités. Une enveloppe augmentée de 550 millions d’euros d’autorisations d’engagement supplémentaires pour la rénovation énergétique des bâtiments de l’État, le 19 septembre 2023.
Parmi les bâtiments concernés, des universités, des grandes écoles, des organismes de recherche ainsi que des logements étudiants. Au total, 1 054 dossiers de l’ESR ont été retenus après deux appels à projets, en décembre 2020. 1,316 milliard d’euros ont ainsi été obtenus par le secteur universitaire, soit près de la moitié des moyens engagés pour les bâtiments publics de l’État.
Pour les projets lauréats, 2023 marque la ligne d’arrivée des travaux entamés en 2020 et étalés sur trois ans. C’est notamment le cas à l’Université du Havre Normandie et Nantes Université.
Mais aussi l’UBO, qui a obtenu 4,8 millions d’euros. Elle a pu engager des travaux d’envergure : la rénovation des IUT de Brest, de Quimper et de la bibliothèque universitaire du Bouguen. Et les résultats sont encourageants. « Les gains réels sur ces bâtiments devraient dépasser les prévisions pour atteindre les -60 % (électricité et chauffage) », indique l’établissement.
Autre exemple, l’Université Rennes 2 s’est, elle aussi, engagée depuis 2014 dans un plan de rénovation immobilière sur ses campus rennais avec l’objectif de réduction de 60 % de la consommation d’ici 2050. Deux de ses projets ont été financés par le plan de relance à hauteur de 3,2 millions d’euros.
Le CPER
D’autres établissements se tournent vers leur région pour obtenir des financements via le contrat de plan État-Région (CPER). Le président de l’Université de Tours, Arnaud Giacometti, déclarait, le 26 septembre dernier, vouloir miser sur le CPER et l’emprunt pour amplifier les travaux de rénovation en cours, en faveur de la sobriété énergétique. L’établissement doit cependant déjà faire face à la hausse des prix des matériaux pour les chantiers immobiliers engagés.
Le fonds de roulement
L’Université Jean Monnet Saint-Étienne a, elle, annoncé miser sur son fonds de roulement pour les rénovations sur ses campus. Une façon « d’aller vite et d’améliorer, entre autres, la question énergétique des bâtiments », explique le président de l’université, Florent Pigeon, lors de sa conférence de rentrée du 3 octobre. Au total, 15 millions d’euros de rénovations sont mobilisés, dont deux dédiés la sobriété énergétique (actions de rénovation thermique et déploiement d’un parc photovoltaïque).