Vie des campus

Sylvie Retailleau au MESR : 100 premiers jours pour imprimer son style

Par Marine Dessaux | Le | Stratégies

De son propre aveu, la nouvelle ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche s’inscrit dans la lignée de sa prédécesseuse : sur le fond, le gouvernement d’Emmanuel Macron poursuit la politique mise en place durant le précédent quinquennat. Sylvie Retailleau, entourée d’un nouveau cabinet, est pourtant beaucoup plus populaire auprès de son écosystème. Ses armes : son expertise du domaine, son écoute et sa proximité.

Sylvie Retailleau impose un style en rupture avec le cabinet précédent. - © MESR
Sylvie Retailleau impose un style en rupture avec le cabinet précédent. - © MESR

20 mai 2022, 19h10 : durant la cérémonie de passation de pouvoir entre ministres de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR), Sylvie Retailleau succède à Frédérique Vidal. Elle prend la parole. Son premier geste ? Saluer le public au micro et quitter son pupitre pour serrer quelques mains parmi le public, constitué principalement de journalistes et membres de l’écosystème de l’ESR. Le message est clair : l’ancienne présidente d’université est une ministre issue de la société civile ; une femme de terrain, accessible et chaleureuse.

Un style en rupture avec sa prédécesseuse

Sur le papier, Frédérique Vidal et Sylvie Retailleau correspondent au même profil de ministre : une universitaire, présidentes d’universités lauréates des programmes investissements d’avenir. « La ressemblance s’arrête là », analyse Manuel Canévet, directeur de l’agence de conseil en communication, Canévet et associés.

« Frédérique Vidal n’était pas une grande amie des médias et était assez peu à l’aise dans l’exercice oral. La fréquence des interventions médias de Sylvie Retailleau depuis sa prise de fonctions et le rythme qu’elle a impulsé sur son compte Twitter laissent penser que nous allons avoir une ministre beaucoup plus communicante », expose Manuel Canévet.

Attitude avenante et appréciée

Sylvie Retailleau est souvent décrite comme chaleureuse et volubile. « Entre sa nomination et cette rentrée, il suffit de regarder quelques-unes de ses prises de paroles pour voir qu’elle apprend vite. Sans doute l’effet d’un coaching média », estime Manuel Canévet.

Quelque chose qui tient en grande partie de sa personnalité. « Je suis persuadée qu’il y a une vraie histoire de personne dans la manière dont un ministère est géré », souligne Martine Samama, secrétaire générale du syndicat des personnels techniques de recherche et formation, bibliothèque et ouvriers Unsa-ITRF Bio.

 Sylvie Retailleau a tenu sa première conférence de rentrée le 15 septembre 2022. - © D.R.
Sylvie Retailleau a tenu sa première conférence de rentrée le 15 septembre 2022. - © D.R.

« Cette attitude lui est naturelle, cela se sent, et cela pourra lui servir, confirme Manuel Canévet. Cela fonctionne bien dans la phase dans laquelle elle se trouve : plus vraiment dans la fameuse période “d’état de grâce” qui suit généralement une nomination, mais pas encore dans le dur de son mandat. C’est une attitude qui est utile dans le contact direct, sur le terrain. »

Un capital sympathie qui augmente alors qu’elle partage avec franchise et émotion ses défis en tant que mère et femme dirigeante auprès de l’Association pour les femmes dirigeantes de l’ESR (Afdesri). Ou quand elle quitte son pupitre pour répondre tout sourire, les yeux dans les yeux, aux questions des journalistes, lors de sa conférence de presse de rentrée le 15 septembre dernier.

L’écoute et la disponibilité comme atouts

C’est une volonté exprimée alors que Sylvie Retailleau se trouvait face aux établissements d’enseignement supérieur publics à France Universités le 25 août : celle d’un ministère beaucoup plus présent, notamment au sein du gouvernement, en interministériel. Une manière de se démarquer du précédent cabinet de Frédérique Vidal, particulièrement isolé sur la fin de mandat.

Sylvie Retailleau nous a consacré beaucoup de temps

Les témoignages s’accordent à dire que la promesse est, pour l’heure, tenue. « Sylvie Retailleau nous a consacré beaucoup de temps, ce qui témoigne de son attention et de son intérêt. La ministre a fait preuve d’une très forte qualité d’écoute, qui s’est vérifiée lors de son déplacement à Lyon où elle a amplement salué le travail des Crous et plusieurs fois remercié les équipes », apprécie Dominique Marchand, présidente du Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous).

Martine Samama est secrétaire générale du syndicat Unsa-ITRF Bio. - © D.R.
Martine Samama est secrétaire générale du syndicat Unsa-ITRF Bio. - © D.R.

Impression que partage Martine Samama, qui a assisté au comité technique ministériel du 8 septembre (CTMESR) et au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) du 13 : « La ministre a décliné sa lettre de mission, il n’y a pas eu d’annonces extraordinaires, mais elle avait cette volonté d’écouter les représentants des syndicats, en sachant que nous n’avons pas tous les mêmes demandes. »

« La qualité d’écoute de la ministre Sylvie Retailleau n’a rien à voir avec le quinquennat précédent. Elle est présente et n’évite aucune question », appuie Anne Roger, secrétaire générale du Snesup-FSU, lors de la conférence de rentrée du syndicat ESR, le 19 septembre.

Les élus du syndicat SNPTES-Unsa, Xavier Duchemin, et Nathalie Frayon soulignent par ailleurs « l’engagement fort de Sylvie Retailleau de revenir régulièrement devant le comité technique expliquer les décisions prises, ce qui est une nouveauté par rapport à ce qui se faisait précédemment. Elle semble vouloir axer son mandat sur le dialogue social, l’échange et l’explication des solutions retenues, qu’elles plaisent ou non. »

Une notion de respect centrale

L’écoute et la disponibilité de Sylvie Retailleau sont aussi « le signe d’un peu plus de respect », dit Martine Samama. Une notion centrale pour l’Unsa qui en fait le slogan de sa prochaine campagne pour les élections professionnelles : « Plus de respect ». « C’est ce que nous demandons pour toute la fonction publique d’état, une meilleure qualité de vie au travail qui passe par le respect de nos employeurs et, en premier lieu, de nos ministres », complète la syndicaliste. 

Une ministre bien entourée

L’écoute et l’empathie ne sont pas les seules armes de Sylvie Retailleau. C’est sa capacité à s’entourer qui lui garantit un cabinet à la hauteur de ses promesses. Elle a fait venir dans son cabinet trois profils passés par Matignon : Olivier Ginez comme directeur du cabinet, Lucas Tourny en chef de cabinet et Eddy Éon à la tête de la communication.

Ensemble, ils ont pu très vite plancher sur leur feuille de route. Et participent à rendre le ministère plus accessible. « L’ensemble du cabinet est plus réactif, que ce soit sur des interpellations en direct ou par courriel. Les réponses sont quasi immédiates, particulièrement sur les sujets de la Loi programmation de la recherche, que la ministre dit vouloir simplifier », témoigne Martine Samama.

Outre des techniciens des cabinets ministériels, la ministre a constitué une équipe expérimentée avec :

  • Isabelle Prat sur la formation et les sciences humaines et sociales, anciennement en poste à la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (Dgesip) ;
  • Pierre Mutzenhardt, ancien président de l’Université de Lorraine, comme conseiller LPR sur la simplification et le suivi des réformes ;
  • Jean-Michel Jolion, en charge de la concertation sur la vie étudiante et la réforme du système de bourses sur critères sociaux ;
  • Anne-Sophie Barthez, directrice générale de l’enseignement supérieur, et Claire Giry, son homologue à la recherche, conservent leurs fonctions et travaillent en proximité avec le cabinet.

Quelles marges de manœuvre dans un contexte économique compliqué ?

« La ministre va devoir trouver des moyens dans l’enveloppe contrainte de la LPR », expose Martine Samama. - © Sipa Press
« La ministre va devoir trouver des moyens dans l’enveloppe contrainte de la LPR », expose Martine Samama. - © Sipa Press

« Est-ce que l’attitude de Sylvie Retailleau augure une amélioration de la qualité des échanges ? Oui, mais nous ne sommes pas dans une période de lune de miel pour autant. La ministre va devoir trouver des moyens dans l’enveloppe contrainte de la LPR et les répartir autrement. Pour cela, il faudra voir quels sont les dossiers qui pourraient attendre un an de plus pour dégager des marges de manœuvre pour maintenir le pouvoir d’achat des fonctionnaires », renchérit Martine Samama.

« Nous sommes bien mieux écoutés, c’est une chose, mais cela ne suffit pas, il nous faut aussi des actes. Or la ministre est claire sur ses axes politiques, il y aura peu d’infléchissements », partage Anne Roger.

Le ministère de l’enseignement supérieur et la recherche voit ses moyens augmenter de 1,1 milliard d’euros dans le projet de loi de finances pour 2023, ce qui en fait le sixième budget de l’État. Des financements pour la revalorisation du point d’indice, la LPR et la vie étudiante, dans un contexte de réforme des bourses sur critères sociaux, sont mobilisés. Mais l’inflation et la crise énergétique viennent cependant compliquer les choses.

Des sujets brûlants à venir

Franck Loureiro a été général adjoint du syndicat Sgen-CFDT de 2016 à 2022. - © Anne Bruel/Infocom CFDT
Franck Loureiro a été général adjoint du syndicat Sgen-CFDT de 2016 à 2022. - © Anne Bruel/Infocom CFDT

Franck Loureiro, ancien secrétaire général adjoint du syndicat Sgen-CFDT, relate un premier échange qui révèle plutôt une convergence de vue et de propositions avec la ministre, mais émet des réserves sur leur réalisation. « Nous verrons comment cela se concrétise, et ce dans un contexte politique un peu compliqué… Il va lui falloir convaincre Bercy pour obtenir, si ce n’est une loi de programmation de l’enseignement supérieur, au moins une programmation pluriannuelle de son financement  », dit-il. 

Un potentielle loi de programmation de l’enseignement supérieur attendue par l’écosystème ESR et mentionné par la ministre… qui a finalement fait marche arrière. « Nous avons noté que le terme de loi de programmation de l’enseignement supérieur a tenu dans les éléments de langage de Sylvie Retailleau, ministre de l’ESR, pendant 48 h et a ensuite disparu », observe Christophe Bonnet, secrétaire national du Sgen-CFDT en charge de l’ESR.

Sur ce sujet comme sur d’autres chantiers brûlants tels que la question de l’inflation, de l’explosion des coûts de l’énergie, mais aussi sur la nouvelle plateforme d’orientation en master et la concertation vie étudiante, Sylvie Retailleau pourra s’appuyer sur son expérience de négociatrice en tant que présidente pour l’Université Paris-Saclay. Mais aussi sur son habitude de traiter avec les syndicats et les autres établissements, sa connaissance des arcanes du ministère et des collectivités territoriales. L’épreuve du feu approche. 

Les chantiers prioritaires de la ministre en cette rentrée

La lutte contre la précarité étudiante.

Via une réforme du système des bourses et, plus largement, une concertation sur la vie étudiante.

Réformer le premier cycle.

En poursuivant l’amélioration de Parcoursup, en formalisant dans les maquettes des passerelles entre les licences, BUT et BTS et en allant plus loin dans la professionnalisation des études.

Créer un Parcoursup des masters.

Il s’agira d’une plateforme nationale d’admission mise en place en 2023, qui servira comme un guichet unique de dépôt des candidatures, de consultation des offres, d’allocation des places, et de réponse aux candidats.