Fin de la qualification par le CNU : le vrai-faux pour y voir (plus) clair dans le débat
Par Théo Haberbusch | Le | Concours/recrutement
La qualification des maîtres de conférences par le Conseil national des universités pour devenir professeur a vécu. De plus, les universités qui le demanderont pourront se passer de la qualification pour recruter des enseignants-chercheurs, dans le cadre d’une expérimentation.
Deux nouveautés qui ont suscité un tollé, notamment parce qu’elles n’ont été précédées d’aucune concertation. Mais le sujet est tout sauf neuf et les arguments sur le sujet, tant du côté des pour, que des contre, sont bien établis.
Campus Matin vous résume les termes du débat.
« Une querelle théologique dont nous avons le secret » : ce président d’université qui se confie à Campus Matin est un peu désabusé. Il faut dire que l’amendement du Sénat permettant de contourner le Conseil national des universités (CNU) pour la qualification des enseignants-chercheurs déchaîne les passions.
Adopté dans le cadre de l’examen de la loi de programmation pour la recherche (LPR) et approuvé par le Gouvernement, il a suscité des dizaines de réactions, institutionnelles et individuelles. Ils sont quelque 13 000 à avoir ainsi signé la pétition lancée par la présidente de la CP-CNU, Sylvie Bauer, pour contester la disposition.
La loi est désormais votée et la mesure va entrer en vigueur, même s’il faut encore attendre l’avis du Conseil constitutionnel. Pour apaiser les tensions sur le CNU, les parlementaires ont prévu l’ouverture d’une concertation, que Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, doit désormais conduire.
En attendant que de nouveaux chapitres de ce feuilleton inflammable soient écrits, Campus Matin s’est plongé dans les archives et les écrits disponibles pour démêler le vrai du faux, et vous donner ainsi des clefs d’analyse.
1. Une mesure surprise
Vrai (mais..). La mesure votée par le Sénat a pris tout le monde de cours, y compris ses partisans ! Ainsi la Conférence des présidents d’université (CPU), qui demande depuis plusieurs années plus d’autonomie pour les recrutements, a mis une semaine à y réagir. Plutôt que de s’en féliciter, elle a insisté sur la LPR dans son ensemble et sur le manque de concertation sur ce sujet en particulier.
Il faut dire que depuis la nomination de Frédérique Vidal au Mesri, le sujet n’a jamais été placé au-dessus de la pile. Interrogée par la presse à la rentrée 2017, la ministre estime : « Ce n’est en tout cas pas, au vu du calendrier, une priorité pour les mois à venir ».
L’intention ne figure pas davantage dans la « stratégie pour la transformation de l’action publique 2018-2022 » du Gouvernement, rendue publique lors du deuxième comité interministériel dédié au sujet, le 29 octobre 2018.
Par contre, le sujet fait une brève (et polémique) apparition dans le débat public lors de la discussion, en mai 2019, du projet de loi sur la fonction publique. Plusieurs parlementaires - Philippe Berta, député Modem, et Pierre Henriet et Jean-François Eliaou, députés LREM - déposent en effet un amendement visant à expérimenter une possibilité de dérogation à la nécessité d’une qualification. Face à l’hostilité des réactions il est retiré et une concertation annoncée…qui n’a pas eu lieu.
Le sujet apparaît à nouveau, fin 2019, dans les propositions du groupe de travail préparatoire à la LPR, qui indique être « très largement favorable à la suppression de la qualification », tout en reconnaissant le caractère polémique de l’idée. De fait, celle-ci n’est pas reprise par le Gouvernement dans le texte finalement présenté.
Ce qui est prévu
L’article 5 de la LPR supprime la qualification par le CNU pour les maîtres de conférences (MCF) qui veulent accéder au corps de professeur des universités (PR).
Par ailleurs, il introduit la possibilité d’une expérimentation des établissements qui le souhaitent, et après autorisation de leur CA, permettant de recruter pour certains postes, des candidats non qualifiés par le CNU.
Cela concerne des postes publiés au plus tard le 30/09/2024, dans toutes les disciplines à l’exception des disciplines de santé et de celles permettant l’accès au corps des professeurs des universités par la voie des concours nationaux de l’agrégation.
« La raison fondamentale à cela est qu’aujourd’hui, des universités souhaitent recruter des MCF soit à l’interface entre plusieurs disciplines, soit des profils disciplinaires non représentés [au CNU] », déclare la ministre Frédérique Vidal dans un entretien à News Tank.
Elle y assure notamment : « En aucun cas nous ne supprimons le CNU ou nous ne remettons en cause ses possibilités de qualifier les MCF. » Et met en avant le fait que le dispositif sera encadré par un décret en Conseil d’État et qu’une concertation sur le sujet va démarrer.
2. Un contournement annoncé par Emmanuel Macron
Vrai. L’idée apparaissait bien dans le programme du candidat à la présidentielle, comme le rappelle ce comparatif réalisé par News Tank en avril 2017 (abonnés) :
« Donner aux universités et aux grandes écoles la liberté de recruter elles-mêmes leurs enseignants-chercheurs suivant les standards internationaux de qualité et d’indépendance, et en dehors du CNU. »
Le futur président avait détaillé sa pensée, lors d’un discours de campagne, à Grenoble, en présence d’universitaires et de dirigeants d’organismes de recherche.
« Les grandes universités se battent avec un système d’un autre âge. Le CNU n’a jamais protégé contre les chapelles, le petit favoritisme et les combines. Le CNU bloque les universités françaises pour recruter qui elles veulent. Elles doivent pouvoir recruter hors du CNU, j’y suis favorable.
Il faut que les universités qui sont dans la compétition internationale puissent recruter hors du CNU. Les universités qui le souhaitent pourront recourir à la procédure de droit commun via le CNU. »
3. Sur le terrain, tout le monde est contre
Faux. Si la méthode pour y parvenir est unanimement critiquée, le rôle du CNU s’agissant de la qualification est régulièrement mis en question. Et pas uniquement par les présidents d’université, comme on peut parfois le lire.
La réalité est que le sujet fracture l’enseignement supérieur.
- En témoigne ce billet du blog Gaïa Universitas datant de mars 2020, « Supprimons la qualification du CNU ».
- Ou encore cette tribune de la sociologue Christine Musselin, qui appellait, elle, à la disparition pure et simple de l’instance. Ce qui lui a valu une violente réaction d’une partie de ses collègues.
- Enfin, sans que cela repose sur un sondage représentatif, la question que vous posait Campus Matin il y a quelques jours, a donné des résultats contrastés : sur 93 répondants vous étiez 51 % contre l’expérimentation de la dérogation à la qualification, et 47 % pour.
D’autres points de vue critiques sont recensés, notamment dans ce billet de blog.
4. Toutes les sections CNU qualifient de la même manière
Faux. Les sections disciplinaires du CNU n’ont pas toutes les mêmes attendus et critères pour la qualification. Quant aux taux de réussite, ils varient beaucoup, comme le rappelle cette synthèse de la DGRH du ministère pour 2020.
De manière intéressante, le groupe « Droit et science politique », très mobilisé contre la mesure introduite dans la LPR, est aussi celui qui enregistre les taux de qualification les plus faibles : 27 % pour les PR (19 % en 2019) et 35 % pour les maitres de conférences (30 % en 2019).
À l’inverse, les taux les plus élevés sont observés en « Sciences de la terre » (85 % pour les MCF) et en « Mécanique, génie mécanique et informatique » (83 % pour les PR).
5. Une mesure liée à la LRU
Vrai (mais…). Un petit détour historique s’impose pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui.
Les commissions de spécialistes désignées pour trois ans ont, avec l’autonomie instaurée en 2007, laissé la place aux actuels comités de sélection constitués par les établissements pour chaque recrutement.
Comme le montrait bien le rapport dit « Schwartz » sur les personnels de l’enseignement supérieur en 2008, laLoi relative aux libertés et responsabilités des universités dite loi LRU a bien changé la donne en matière de recrutement d’enseignants-chercheurs. Quant au CNU, fortement impacté par la nouvelle loi, il convenait de le réformer.
Mais, comme l’a pointé le consultant et ancien journaliste Jean-Michel Catin, l’instance fait face à des faiblesses qui n’ont pas été résolues : participation moindre de la communauté aux élections, processus chronophage, fonctionnement en silos… Autant de facteurs qui peuvent expliquer l’offensive politique pour faire bouger les règles liées à la qualification.
6. Sans qualification nationale, le localisme risque d’exploser
On ne sait pas. C’est l’argument mis en avant par nombre des défenseurs de la qualification par le CNU : le « localisme » risque d’exploser, c’est-à-dire le fait pour les établissements de « recruter de manière préférentielle ses propres docteurs même s’ils ne sont pas les meilleurs candidats », comme le définissait l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (Igaenr) dans son rapport de 2016. Bref, un risque de copinage plus fort du fait d’une décision prise exclusivement localement.
Le sujet n’est pas nouveau et fait débat, tous les acteurs n’étant pas également convaincus que le recrutement de docteurs ou de professeurs locaux soit nécessairement une mauvaise chose. Ainsi les partisans d’une interdiction pure et simple, à l’image de ce que pratiquent les mathématiques, n’ont pas (encore ?) convaincu que c’était la voie à suivre.
Reste que le code de l’éducation, prévoit que la mobilité, en termes de recrutements extérieurs, constitue l’un des objectifs de la stratégie de ressources humaines des établissements. Ainsi, le chiffre de l’endo-recrutement est suivi par les services ministériels. Et l’on peut voir des tendances se dégager.
- En 2019, respectivement 17 % et 41 % des MCF et des PR ont été endo‐recrutés (contre 18 % et 45 % en 2018), selon une note récente de la DGRH.
- La proportion des MCF endo‐recrutés est relativement stable depuis la fin des années 2000 et son niveau varie peu d’une discipline à l’autre.
- Chez les professeurs, les chiffres « varient sensiblement d’une discipline à l’autre », selon la DGRH. L’endo-recrutement « reste toujours plus élevé en sciences‐techniques qu’en lettres‐sciences humaines et surtout, qu’en droit‐économie‐gestion ». Ces dernières disciplines qui sont justement les plus remontées contre la suppression de la qualification.
Dans les disciplines juridiques, politiques et économiques, de nombreux postes de professeurs sont pourvus par mutation d’un établissement vers l’autre après la réussite du concours national d’agrégation. Mais la donne semble changer et l’endo-recrutement progresse désormais dans ces disciplines, note la DGRH.
Pour élever le débat, l’Igaenr soulignait en 2016 qu’il fallait surtout « favoriser le recrutement d’enseignants-chercheurs étrangers ou français ayant acquis une expérience professionnelle internationale ou dans d’autres fonctions ».
7. Il y a un problème avec le mode de recrutement des enseignants-chercheurs
Vrai (mais le problème n’est pas toujours où on le pense). En 2016, l’Igaenr, préconisait des changements dans le mode de fonctionnement du CNU. Tout en constatant que la sensibilité du sujet de la qualification empêchait d’envisager des changements radicaux, l’inspection soulignait :
« Si la question de la qualification fait débat, celle de la nécessité d’une mise aux standards internationaux des pratiques de recrutement des établissements fait au contraire l’objet d’un large consensus. »
En jeu, le fait que « la communauté universitaire considère de façon unanime que dans la majorité des cas, les modalités de recrutement ne permettent pas de s’assurer de la capacité des candidats à remplir toutes leurs missions ».
Christine Musselin ne dit pas autre chose dans son ouvrage « Propositions d’une chercheuse pour l’université ». « Il faudra bien supprimer le CNU », selon elle. Mais elle souligne que cela impliquera d’ « améliorer les procédures de recrutement », de « responsabiliser la communauté universitaire de chaque établissement » et « d’inverser la posture » vis-à-vis des candidats.
Elle propose de « modifier la composition et la taille des comités de sélection » : ils seraient composés uniquement de membres internes et comprendraient seulement quatre à cinq membres. Il faut aussi, dit la sociologue, « renoncer à la souveraineté des comités de recrutement ».
Mais la qualité de l’évaluation des candidats n’est pas le seul problème, comme le rappelle le Sgen-CFDT.
« Si l’on regarde le volume du contentieux, il n’y a pas photo ! Les recours à l’encontre des décisions de comités de sélection se multiplient et montrent que les opérations de recrutement conduites par les établissements sont juridiquement mal sécurisées. »
Les partisans de la dérogation à la qualification font valoir le paradoxe que représente le fait de soumettre des docteurs de l’université à un nouveau concours pour… travailler à l’université. Une argumentation qui n’est pas acceptée par les défenseurs d’une procédure nationale, comme le résume le Sgen-CFDT :
« Cette étape permet de qualifier la ou le docteur d’une université (celle où a été soutenue la thèse) aux fonctions de maître de conférences des universités. Sa suppression conduirait à remettre en cause le caractère national du recrutement des enseignants-chercheurs et à exacerber la concurrence entre universités », martèle le syndicat.
8. Le CNU va-t-il disparaitre ?
Faux. Évidemment on ne peut jurer de rien, mais la disparition du CNU dans son ensemble n’est pas à l’ordre du jour. On voit pourtant dans les réponses à notre questionnaire en ligne que c’est une crainte que nos lecteurs expriment : 60 % de nos répondants estiment que l’expérimentation prévue par la loi mèner à la disparition du CNU.
Le programme présidentiel d’Emmanuel Macron ne le prévoyait pourtant pas et ce n’est pas la demande des présidents d’université.
Ainsi, l’association Udice, prévient que la mesure votée par le Sénat « ne remet aucunement en cause l’instance nationale dont l’activité ne se limite d’ailleurs pas, et de loin, à la seule qualification ».
Si, comme le rappelle l’Igaenr dans le rapport de 2016 déjà cité, l’évaluation individuelle des enseignants-chercheurs a été abandonnée, un dispositif de suivi de carrière global a été mis en place depuis 2014 et confié au CNU.
Plus largement, l’instance « reste au cœur des procédures d’évaluation ponctuelles des enseignants-chercheurs », notait l’inspection. Qu’il s’agisse des promotions, de l’attribution de la prime d’encadrement doctoral et de recherche (PEDR), de congés de recherche thématique (CRCT), tout le monde semble satisfait du rôle que joue le CNU.
Ce qui faisait dire à l’Igaenr que « le partage des compétences entre l’instance nationale et les établissements en matière d’évaluation des enseignants-chercheurs, tel qu’il fonctionne actuellement, n’est globalement pas remis en cause au sein de la communauté universitaire ».
« La mission constate même qu’y compris les établissements les plus vigilants sur le respect de leur autonomie, préfèrent laisser la main au CNU pour ce qui concerne l’attribution de la PEDR », indiquait aussi le rapport.