Projet de loi pour la recherche : ce qui va changer pour les carrières
Par Théo Haberbusch | Le ( mis à jour le ) | Personnels et statuts
Les amateurs de mécano institutionnel seront déçus : la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche, dont le texte est désormais connu, ne prévoit pas de réforme de structure. En revanche, elle modifie les perspectives d’emploi et de carrière dans les universités et organismes de recherche.
Revue de détail de ce qui pourrait changer à l’avenir… et faire débat.
Dix mois que ce texte était attendu : la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche (« LPPR » dans le jargon administratif) a finalement été transmise aux syndicats le dimanche 7 juin. Le début d’une phase d’examen par diverses instances consultatives (17 en tout quand même !), qui a été immédiatement marquée par les critiques.
Il faut dire qu’après des travaux préparatoires qui ont peu captivé les foules à l’automne 2019, le printemps avait été l’occasion d’un mouvement de protestation. Rappelez-vous, l’évocation d’une loi « darwinienne » par le P-DG du CNRS, Antoine Petit, avait fait l’effet, sinon d’une bombe, du moins d’une grenade dégoupillée lancée au milieu des chercheurs…
Le confinement et la crise sanitaire sont passés par là, mais les tensions restent palpables et les débats s’annoncent mouvementés. Il faut dire que le texte, au-delà des engagements financiers, repose essentiellement sur des mesures qui touchent les personnels académiques, techniques ou administratifs.
5 000 emplois supplémentaires pérennes
Ce que prévoit le texte. Au terme de la loi de programmation, en 2030, 5 200 emplois nouveaux doivent être créés dans les universités et organismes de recherche (et 700 en 2021).
Par ailleurs, 15 000 contractuels supplémentaires seront recrutés sur la période : un chiffre qui ne figure pas dans les documents législatifs, mais cité par Frédérique Vidal, lors d’une conférence de presse, le 8 juin.
L’enjeu. Techniquement, la hausse de presque 5 000 emplois se traduira par un relèvement du « plafond d’emploi » des établissements. Ainsi, le ministère versera des moyens supplémentaires, mais il reviendra aux établissements de les créer effectivement. Ce qu’ils n’ont pas toujours fait par le passé, gelant des postes par mesure d’économie.
Une dotation de démarrage de 10 000 euros
Ce que prévoit le texte. L’information figure dans le rapport annexé au projet de loi : « Tous les nouveaux recrutés comme chargés de recherche et maîtres de conférences se verront allouer une dotation de démarrage pour lancer leurs travaux ». Une dotation qui sera de 10 000 euros.
L’enjeu. Ces moyens doivent permettre aux maîtres de conférences ou chargés de recherche de démarrer leurs travaux, sans avoir à chercher de financement. Une généralisation d’un dispositif mis en place au CNRS cette année : un « pack d’accueil » d’un montant de 10 k€ pour les nouveaux chargés de recherche.
Une nouvelle voie de recrutement pour les jeunes scientifiques
Ce que prévoit le texte. La création de « chaires de professeur ou de directeur de recherche junior », est prévue par l’article 3 du projet de loi. C’est la mise en place d’une « tenure track » du monde anglo-saxon et traduite en français par l’expression de « pré-titularisation conditionnelle ».
Il s’agira de recrutements ouverts chaque année par les établissements - qui y auront été autorisés au préalable par un arrêté - dans la limite de 25 % des recrutements autorisés dans le corps concerné. Les lauréats seront recrutés pour une durée comprise entre trois et six ans, puis pourront être titularisés dans un corps de directeur de recherche ou de professeur.
En volume, cela doit représenter, en 2030, 300 postes ouverts chaque année.
L’enjeu. C’est le « chiffon rouge » de ce texte, la disposition la plus critiquée lors de la mobilisation du printemps. Frédérique Vidal assure qu’il s’agit d’une voie supplémentaire et que les autres filières de recrutement traditionnelles augmenteront. Les premières réactions syndicales et sur les réseaux sociaux semblent indiquer que la « base » n’est pas convaincue. Quant aux présidents d’université, pas sûr qu’ils parviennent à un consensus sur la question.
Un CDI de mission scientifique
Ce que prévoit le texte. La création de « CDI de mission scientifique », c’est-à-dire, la possibilité pour les établissements publics de recherche et d’enseignement supérieur de recruter un agent « pour mener à bien des projets ou opérations de recherche, par un contrat de droit public dont l’échéance est la réalisation du projet ou de l’opération. »
Ce contrat est conclu pour une durée indéterminée. Il prend fin avec la réalisation de l’objet pour lequel il a été conclu, après un délai de prévenance fixé par décret en Conseil d’État. Il peut être également rompu lorsque le projet ou l’opération pour lequel ce contrat a été conclu ne peut pas se réaliser.
L’enjeu. Précarisation grandissante (au pire) ou nouveauté inutile (au mieux) pour les uns, outil indispensable pour adapter le droit du travail aux spécificités des projets de recherche pour les autres… Le CDI de mission scientifique est l’autre disposition sensible du texte.
Des nouveautés pour le doctorat
Un contrat doctoral de droit privé
Ce que prévoit le texte. L’article 4 du texte crée, dans le code du travail, un contrat doctoral de droit privé à durée déterminée pour une période de cinq ans maximum.
L’enjeu. Favoriser l’augmentation du recrutement de docteurs au sein des entreprises, Epic et fondations de recherche. Il doit permettre d’aligner leur cadre juridique sur celui qui existe dans le secteur public où un contrat doctoral de trois ans existe depuis un décret d’avril 2009.
Création de contrats postdoctoraux
Ce que prévoit le texte. Ce même article 4 crée également deux types de contrats post-doctoraux pour des titulaires d’un doctorat travaillant au sein d’établissements relevant du droit de la fonction publique ou d’établissements publics à caractère industriel et commercial, ou encore de fondations.
L’enjeu. Favoriser l’insertion professionnelle des doctorants par la reconnaissance dans la loi des contrats post-doctoraux. Le contrat « post-doctoral » sera un contrat de transition professionnelle des jeunes docteurs vers un emploi pérenne dans les activités de recherche. L’enjeu est également de donner plus de souplesse aux établissements publics à caractère industriel et commercial (les Epic, comme le CEA ou l’Ifremer) qui jusqu’à maintenant recouraient à des contrats à durée déterminée de 18 mois maximum, trop courts par rapport à la durée réelle du projet de recherche.
Cumul d’activité : vers une procédure simplifiée
Nombre de personnels des établissements publics se plaignent de la lourdeur de la procédure lorsqu’ils font une demande de cumul d’activité. Il leur faut en effet obtenir une autorisation préalable pour exercer une autre activité.
L’article 17 du projet de loi entend simplifier les choses en prévoyant un système d’information préalable, tout en posant des limites. Selon le texte, « l’exercice d’une activité accessoire par les personnels de l’enseignement supérieur [fonctionnaires] fait l’objet d’une déclaration à l’autorité dont ils relèvent lorsque cette activité correspond aux [missions du service public de l’enseignement supérieur] et qu’elle est exercée auprès d’un établissement » d’ESR.
Un coup de pouce aux mobilités public-privé
Les articles 12 et 13 du projet de loi viennent confirmer et compléter les dispositions entérinées par la loi « Pacte » promulguée le 22 mai 2019 en matière de mobilité entre la recherche publique et l’entreprise.
Elle avait notamment autorisé les chercheurs publics à consacrer jusqu’à 50 % de leur temps à l’entreprise à laquelle ils apportaient leur concours scientifique, tout en supprimant les limites dans leur prise de participation au capital d’une société pendant qu’ils étaient impliqués dans les activités de cette dernière.
Création d’entreprises : des possibilités élargies
Les chercheurs publics pourront être autorisés à participer à titre personnel, en qualité d’associé ou de dirigeant, à une entreprise ou à la création d’une entreprise, « dont l’objet est d’assurer la valorisation de travaux de recherche et d’enseignement ». Auparavant, cette possibilité se limitait aux travaux réalisés dans l’exercice de leurs fonctions de travaux de recherche et d’enseignement.
Cumul d’activités à temps partiel
L’article 13 a pour but d’ouvrir les possibilités de cumul d’activités à temps partiel pour les chercheurs publics et les enseignants-chercheurs entre les organismes publics de recherche, les établissements d’enseignement supérieur, les fondations reconnues d’utilité publique exerçant des missions de recherche, d’enseignement supérieur ou d’innovation technologique, et les entreprises.
Dispositifs d’intéressement
L’article 14 du projet de loi introduit la possibilité pour les conseils d’administration des organismes de recherche (EPST) de créer des dispositifs d’intéressement permettant d’améliorer la rémunération des personnels, à l’instar des établissements d’enseignement supérieur. Ce sont les chefs de ces établissements qui sont responsables d’attribuer les primes, « conformément aux textes applicables et selon les principes de répartition définis par le CA ».
Ce sera aussi à surveiller
Détachement et avancement
Le projet de loi s’intéresse aussi aux personnels détachés ou mis à disposition. Il s’agit de leur permettre de bénéficier d’un avancement de grade dans leur corps d’origine, suite à la réussite d’un concours, d’un examen professionnel ou au titre de la promotion au choix, sans que leur mise à disposition ou leur détachement ne prenne fin.
Limite d’âge sur les appels à projets
Les lauréats d’un appel à projets inscrit dans une liste fixée par décret pourront rester en fonctions au-delà de la limite d’âge jusqu’à son achèvement, dans la limite de cinq ans.
Comprendre ce que contient la « LPPR »
Le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) se compose de cinq chapitres (ou « titres »), dans sa version rendue publique le 7 juin :
I. Orientations stratégiques de la recherche et programmation budgétaire. Ce titre porte sur les enjeux financiers du projet de loi qui prévoit de consacrer 25 Md€ cumulés à la recherche d’ici 2030. Dit autrement, de 15 Md€ annuels, la France consacrera à la fin de la période 20 Md€ à la recherche.
II. Améliorer l’attractivité des métiers scientifiques. Cette partie regroupe les mesures liées aux carrières, recrutements, ou encore à l’avancement.
III. Consolider les dispositifs de financement et d’organisation de la recherche. Ce titre aborde les évolutions du Hcéres, des unités mixtes de recherche (UMR) ou encore de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
IV. Diffuser la recherche dans l’économie et la société. Le projet de loi aborde là le cumul d’activités à temps partiel, les dispositifs d’intéressement et de droits d’auteur.
V. Mesures de simplification et autres mesures. C’est la partie fourre-tout du texte, avec des éléments liés à la formation, à la gouvernance des regroupements d’établissements, à l’enseignement supérieur privé, mais aussi au recrutement des enseignants-chercheurs pour limiter les recours.