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Recrutement des enseignants-chercheurs en écoles de commerce : entre sélection et séduction


Sélectionner les meilleurs profils d’enseignants-chercheurs et les séduire afin de les embaucher : un sujet central pour les grandes écoles de commerce françaises. Quelles sont les étapes de ces recrutements très différents de ceux des universités ? Quels sont les critères et les enjeux ? Réponses avec les responsables de la faculté de Neoma business school.

La majorité des recrutements se déroule de l’automne à fin mars. - © Neoma
La majorité des recrutements se déroule de l’automne à fin mars. - © Neoma

Au fil du temps, les grandes écoles de management ont misé, à l’excès, sur le recrutement d’enseignants-chercheurs axés sur l’enseignement, puis très (trop) orientés vers la recherche. Pour ce faire, plusieurs acteurs de l’école dédient tout ou partie de leur temps au processus de recrutement.

Différentes « saisons » de recrutement

Chaque année, Neoma business school lance plusieurs vagues de recrutements en fonction des besoins. « De grandes rencontres dans chaque discipline, de l’automne jusqu’à fin mars, lancent la saison des recrutements à l’international. », explique Serge da Motta Veiga, directeur général adjoint de la faculté.

Ces conférences, à l’instar de celle de l’Academy of management (qui compte 20 000 membres de plus de 120 pays), se déclinent en Europe et en Asie et représentent un vivier important pour les écoles de commerce.

« Avant le Covid, les potentiels candidats étaient repérés lors de ces événements, qui comportent unex career fair, et un premier entretien pouvait avoir lieu sur place. Depuis, même si des liens se nouent là-bas, les entretiens se déroulent en visioconférence. Cela permet d’ouvrir la porte à ceux ne veulent plus aller aux colloques (parce qu’ils ne veulent pas prendre l’avion, aller aux États-Unis, etc.) », retrace Serge da Motta Veiga.

Les candidatures sont centralisées sur la plateforme Interfolio d’Elsevier. « Il y a très peu de candidats issus de l’enseignement supérieur français parmi ceux qui postulent, moins de 10 %, avec notamment HEC, l’ESCP, l’Essec, l’EMLyon, ou encore l’Université Paris-Dauphine-PSL », note Nathalie Subtil, directrice académique depuis trois ans.

Un rythme soutenu

Le recrutement en école de commerce répond à un objectif chiffré et des critères qui évoluent selon la stratégie d’établissement.

Neoma a pour objectif d’augmenter de 10 le nombre d’enseignants-chercheurs chaque année. - © Neoma
Neoma a pour objectif d’augmenter de 10 le nombre d’enseignants-chercheurs chaque année. - © Neoma

Ces dernières années, les équipes de Neoma ont dû assurer 20 recrutements par an : 10 pour remplacer les départs et 10 autres pour répondre à un objectif de croissance des effectifs d’enseignants-chercheurs.

Les profils recrutés dépendent des besoins dans chaque discipline. « En ce moment, ils sont plus importants dans les départements de marketing et de finance », cite Serge da Motta Veiga.

Le nombre d’enseignants-chercheurs peut paraître peu élevé, et pourtant il nécessite un travail considérable : « Nous recevons environ 800 candidatures sur Interfolio et nous en examinons de plus près environ 300 », évalue Nathalie Subtil.

Première sélection par le responsable de département

Le recrutement commence par un premier entretien avec le comité de recrutement du département concerné. Le responsable du département est toujours présent et tous les enseignants-chercheurs titulaires sont invités à y participer. Le directeur de la recherche est, lui aussi, dans la boucle de tous les recrutements.

« Les meilleures revues où publier sont spécifiques à chaque discipline. Le comité de recrutement est le mieux à même d’évaluer la recherche. Il peut voir aussi si l’entente est de mise. Ou au contraire si la personnalité ou la collaboration n’y est pas », rapporte Nathalie Subtil, qui a été responsable de département.

Depuis peu, ce comité effectue un premier tri. « Au quotidien, ce sont les enseignants-chercheurs dans les disciplines qui travailleront avec les nouveaux recrutés, il est donc important de leur laisser faire cette pré-sélection », estime Serge da Motta Veiga.

Les directeurs de la faculté ont mené une cinquantaine d’entretiens depuis le début de l’année. Les responsables de département en ont, eux, réalisé environ 150, chiffre Nathalie Subtil.

Des entretiens avec les directeurs de la faculté jusqu’à l’offre d’embauche

Les candidats sont ensuite reçus en entretien par l’un puis l’autre des directeurs de la faculté. « La recherche, c’est un fondamental. Il faut un certain niveau, sinon le CV n’est pas sélectionné. Quand le CV m’arrive, il a été testé à ce niveau, je regarde tout le reste. L’enseignement est fondamental également », rapporte Nathalie Subtil.

Serge da Motta Veiga et Nathalie Subtil font la deuxième sélection des candidats après le comité de recrutement. - © Campus Matin
Serge da Motta Veiga et Nathalie Subtil font la deuxième sélection des candidats après le comité de recrutement. - © Campus Matin

« Nous sommes complémentaires, estime Serge da Motta Veiga. Lors de mon entretien : je me présente, je demande la motivation et après, je laisse les candidats poser des questions. Je vais vendre l’école, mais pas survendre, dire ce qu’on fait bien et ce qu’on fait moins bien. »

Les directeurs de la faculté sont également attentifs aux sujets de recherche à impact et à l’équilibre des genres. « Nous avons actuellement 46 % de femmes, le rêve serait la parité dans chaque discipline. Nous avons notamment besoin de femmes seniors, pour avoir du mentoring », souligne le directeur général adjoint de la faculté.

Après ces entretiens, une personne de la direction académique présente la façon dont se déroule l’intégration et répond aux questions plus privées. La dernière validation est donnée par la directrice générale de Neoma, Delphine Manceau. Vient ensuite l’entretien avec la direction des ressources humaines, principalement sur la question du salaire.

Une fois que l’offre d’embauche est émise, le reste est entre les mains du candidat. « On s’attache à certains d’entre eux. Quand ils refusent, ça fait mal. Mais quand ça marche, c’est une belle réussite », sourit Serge da Motta Veiga.

Un processus différent pour les candidats confidentiels

Des recrutements plus ponctuels, pour les enseignants-chercheurs qui souhaitent changer d’établissement, se déroulent différemment de façon à ne pas alerter l’actuel employeur.

« Les profils plus seniors passent par un processus accéléré, retrace Serge da Motta Veiga. Ils ont des entretiens avec le responsable de département, le directeur de la recherche, nous (les directeurs de la faculté) et Delphine Manceau. »

Les questions des candidats

Les questions qui reviennent le plus souvent lors des entretiens avec les directeurs de la faculté sont : « la charge d’enseignement, les préparations à effectuer, ce qui compte dans la promotion, les attentes au niveau de la recherche, la façon dont est fixé le plan d’activité de la rentrée d’après, faut-il enseigner sur tous les campus (chacun a un campus de référence et, s’il le souhaite peut donner des cours à Paris), les services hors enseignement… », liste Nathalie Subtil.

Serge da Motta Veiga complète : « Il faut souvent expliquer le fonctionnement de la promotion : nous n’avons pas de “tenure” mais un CDI. C’est un soulagement pour beaucoup, car s’ils n’atteignent pas leurs objectifs, ils ne sont pas renvoyés, seule leur charge de cours évolue. D’une certaine façon, ils définissent quand ils souhaiteraient être promus. »

Les critères de recrutements

Plusieurs critères interviennent pour départager les candidats :

  • Le niveau de recherche : « Il n’y a pas de critères fixes, mais si on voit que la personne publie beaucoup dans des revues moyennes, c’est un critère limitant. », explique Serge da Motta Veiga. Le guide des journaux académiques permet d’attribuer des points à chaque publication et de calculer quels sont les meilleurs profils. Avec une exception pour les profils juniors, « nous évaluons surtout le potentiel », dit le directeur général adjoint de la faculté.
  • Un équilibre avec l’enseignement : « Je cherche la personne qui a aussi envie d’enseigner et qui ne pense pas qu’à la recherche », souligne Nathalie Subtil.
  • L’engagement dans la vie de l’école : « Nous n’exigeons pas que les enseignants-chercheurs soient tout le temps sur le campus mais que, quand ils le sont, ils échangent et s’impliquent », indique Serge da Motta Veiga.

« Pas de diva »

« Il y a beaucoup d’égo dans le monde académique. On ne veut pas de divas », déclare Serge da Motta Veiga. Qu’est-ce qu’un enseignant-chercheur « diva » ? « Celui qui veut minimiser son d’investissement dans la vie de l’école, son temps d’enseignement, qui demande s’il peut n’enseigner qu’une journée dans le mois, si le matériel du cours est déjà prêt, etc. », poursuit-il. Exit aussi les comportements sexistes ou méprisants.

Une séduction dans les deux sens

« La séduction est dans les deux sens, l’exercice n’est pas facile, reconnaît Nathalie Subtil. Nous mettons en avant la qualité de vie sur nos campus et les conditions de travail. »

Les enseignants-chercheurs de Neoma sont rattachés au campus de Reims ou de Rouen. - © Neoma
Les enseignants-chercheurs de Neoma sont rattachés au campus de Reims ou de Rouen. - © Neoma

Autre argument : « Nous avons des objectifs de recherche que je trouve raisonnables. Ce qui permet d’avoir un équilibre entre vie personnelle et professionnelle », rapporte Serge da Motta Veiga.

Pour se différencier des autres établissements d’enseignement supérieur, les directeurs de la faculté misent aussi sur la rapidité de réponse. « Il faut aller vite dans ce processus et faire attention à ne pas mettre les candidats en porte-à-faux par rapport à d’autres établissements où ils auraient pu postuler. »

En moyenne, il s’écoule un mois entre l’entretien avec le responsable de recherche et ceux avec les directeurs et, entre le dernier entretien et l’offre de poste, moins de deux semaines. « Il est important de prévenir du délai, d’inciter à nous écrire s’il y a des questions ou si c’est trop long », indique Serge da Motta Veiga.

Un lien qui perdure avec les candidats

Une fois que le recrutement est validé, les directeurs de la faculté continuent à échanger avec les nouveaux recrutés qui deviennent leurs collègues. « Les avoir vus en entretien crée un lien. Nous sommes présents lors de la semaine d’intégration et je propose aussi des événements type afterwork ou journée du teaching », témoigne Nathalie Subtil. Serge da Motta Veiga ajoute : « Nous n’arrêtons pas d’échanger avec eux. »

Une relation qui peut durer plusieurs années. « C’est fabuleux de voir les professeurs rester chez nous, prendre des responsabilités et même nous envoyer des photos de leurs enfants. L’une de mes premières candidates venait de Hong Kong et a fait sa vie à Rouen », se souvient Nathalie Subtil.

La direction de la faculté met en pause les activités d’enseignement et de recherche

Les enseignants-chercheurs qui deviennent directeurs de la faculté sont en poste pour une mission de trois ans, renouvelée une à deux fois. Pendant cette période, le quotidien est rythmé par le repérage des candidatures et les entretiens.

Difficile alors de mener à bien ses travaux de recherche ou enseignements. Serge da Motta Veiga essaie de continuer ses activités scientifiques. « Je ne donne plus de cours, je n’ai pas le temps. J’ai encore cinq ou six papiers de recherche en préparation, mais je ne peux plus être premier auteur. »

Nathalie Subtil a, elle, fait le choix inverse. « Il y a encore un cours que je ne parviens pas à lâcher. J’ai un profil plus enseignement que recherche : je publie en ce moment quelques études de cas ou chapitres d’ouvrages. »

En termes d’avancement de carrière, « ce type de fonction ou d’autres responsabilités administratives sont un plus sur un CV. Pour être promu professeur, il faut une expérience de ce type », poursuit la directrice académique.

Mais cela crée du retard en termes de publications. Pour que l’impact ne soit pas trop important, « l’idéal est de faire une mission de trois ans », indique Nathalie Subtil. Il est néanmoins classique de renouveler une fois. Un “sacrifice” signe d’engagement pour l’école.

« C’est un choix de carrière que je vis au jour le jour. J’aime beaucoup la façon dont je peux impacter l’école et la faculté », partage Serge da Motta Veiga.

Une année de transition, où les objectifs de recherche sont moins élevés et les heures de cours moins importantes, permet d’adoucir le retour au métier d’enseignant-chercheur.