Faire une thèse Cifre dans une entreprise edtech : pourquoi ça matche ?
Par Nicolas Chalon | Le | Doctorat
Souvent petites, mais toujours innovantes, au croisement de plusieurs disciplines, les edtechs fournissent un joli terrain d’étude aux doctorants. À travers un contrat Cifre, ceux-ci apportent de nouvelles ressources en R&D, tout rapprochant l’entreprise des labos. Modèle gagnant sous tous rapports ? Oui, à condition de construire le bon projet. Retours d’expérience.
Léa Richez est en plein dedans. Doctorante en psychologie cognitive à l’Université Paul Valéry Montpellier 3, elle a entamé une thèse Cifre en avril 2024, mais qui l’a amenée à découvrir un monde qu’elle ne connaissait pas : celui des edtechs.
« Au moment de commencer ma thèse, j’ai choisi l’option Cifre, car elle avait quelque chose de rassurant. Au bout de cinq années d’études, gagner sa vie n’est pas quelque chose d’absurde », estime-t-elle.
Le dispositif Cifre (pour convention industrielle de formation par la recherche) associe trois partenaires : un doctorant, une entreprise qui lui confie un travail pendant trois ans en lien avec l’objet de sa recherche, et un laboratoire encadrant sa thèse. Le doctorant perçoit un salaire dont le minimum était fixé à 25 200 euros brut en 2024, co-financé à hauteur de 14000 euros par l’État et éligible au crédit impôt recherche (CIR).
Une question d’alchimie
À l’origine, Léa Richez n’était pas partie pour se diriger vers le monde éducatif. « J’avais un autre projet d’étude, portant sur les stéréotypes dans l’e-sport, confie-t-elle. Le sujet était trouvé, le directeur de thèse aussi. Mais au dernier moment, l’entreprise a dit non. »
Car si, sur le papier, la formule a tout pour séduire, aboutir à la signature d’un contrat ne va pas de soi. Cela suppose d’abord de trouver une parfaite alchimie entre trois parties aux logiques distinctes.
« Nous partons sur une période de trois ans. Il est indispensable de trouver le bon projet pour éviter toute déconvenue. Tout comme la bonne articulation entre nous, entreprise edtech, et un laboratoire, dont l’indicateur de performance — la publication dans des revues scientifiques, pour faire simple — n’est pas le nôtre », expose Julien Rotrou, directeur technique de Nomad Éducation.
Pendant trois ans, l’entreprise spécialisée dans le soutien scolaire en ligne a accueilli Anaëlle Badier, qui a travaillé sur des sujets liés à l’IA de recommandation pour personnaliser les parcours des élèves sur différentes activités pédagogiques. Concrètement, la doctorante était physiquement à plein temps dans les locaux de Nomad Éducation, à Paris.
« Son travail avec le laboratoire se faisait essentiellement en visio, car celui-ci était basé à Lyon. Or, pas facile d’avoir deux appartements dans des villes aussi chères », souligne Julien Rotrou, qui songe fort à renouveler l’expérience avec un doctorant d’Île-de-France prochainement.
Concilier deux lieux de travail grâce à la visio
Ces mêmes raisons pratiques ont convaincu Léa Richez de rester basée à Montpellier, fonctionnant en télétravail avec son entreprise. Après sa première tentative en e-sport, l’étudiante a épluché le site de l’association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT) et découvert une offre proposée par Vittascience.
« L’idée est de travailler sur l’accessibilité pour améliorer l’apprentissage de la programmation informatique auprès d’élèves atteints de handicap ou de troubles », explique-t-elle.
En signant son contrat, Léa Richez devient la première doctorante Cifre de Vittascience. « Léo Briand [son cofondateur] et moi découvrons ensemble cette manière de travailler, pas à pas. Mais nous prenons bien nos marques. »
Son éloignement géographique ne pose pas de problème à une entreprise fervente du télétravail, « et il se trouve que c’est aussi comme ça que je préfère fonctionner », se réjouit la doctorante. Tous les feux sont donc au vert.
Un enjeu de taille
Studea, Foxar, Soft Kids… Si les entreprises edtechs semblent tant apprécier la formule Cifre, c’est qu’elle présente de sérieux avantages. À commencer par accueillir un collaborateur de haut niveau à un coût très intéressant.
Ou encore se rapprocher des laboratoires de recherche, avec lesquels — entre IA, data, sciences de l’éducation, psychologie, neurosciences, etc. — elles ont beaucoup de sujets communs.
Cependant, les edtechs sont, en grande majorité, de petites structures, ce qui peut être attirant pour les doctorants, mais impose de ne pas faire fausse route pour des entreprises aux ressources contraintes.
« Quand Orange accueille des contrats Cifre, elle sait qu’elle trouvera toujours un moyen d’utiliser leurs apports dans l’une des nombreuses activités du groupe. Pour une structure comme la nôtre, le coût n’est pas négligeable. Nous devons absolument définir un projet qui trouvera un usage edtech, sans quoi l’expérience fera pschitt », analyse Julien Rotrou.
Recruter des docteurs après leur thèse
Quand l’aventure est concluante, la thèse Cifre est aussi un moyen d’attirer de jeunes talents et de les recruter. Ce que Nomad Éducation a d’ailleurs fait avec Anaëlle Badier à l’issue de sa thèse.
Du côté de Vittascience, Léa Richez n’était pas contre démarrer sa carrière dans une petite structure. « Je sors à peine des études et ne connaissais rien à la vie en entreprise. C’est agréable de la découvrir dans ces conditions », trouve-t-elle.
Comme elle, 45 % des doctorants Cifre choisissent une PME, d’après les données du ministère. À l’issue de sa thèse, la doctorante a tout de même dans l’idée de rejoindre un grand groupe, « synonymes de budgets plus importants et d’expérimentations de grande ampleur. »
Bousculer ses idées
Pour les doctorants, un contrat Cifre signifie un salaire tous les mois pendant trois ans, soit un confort de vie non négligeable quand on bûche ardemment sur sa thèse. C’est encore bénéficier d’opportunités professionnelles par la suite (70 % travaillent toujours en R&D cinq ans après, contre 20 % des doctorants en moyenne). Mais c’est aussi une manière de nourrir leur recherche au contact d’entreprises en prise avec leur propre réalité.
« Ma thèse évolue de semaine en semaine, confie Léa Richez. Déjà, j’ai introduit dans la mienne le facteur de l’anxiété, en me rendant compte que cette variable avait une influence énorme sur l’apprentissage des élèves. Je suis certaine que le projet bougera encore. »
Même constat du côté de Nomad Éducation : « La thèse d’Anaëlle a fait l’objet de nombreux échanges, et même de divergences et de débats, qui l’ont amenée à évoluer », se souvient Julien Rotrou. Chez Nomad Éducation, par exemple, le traditionnel un professeur pour 30 étudiants se traduit par une plateforme pour des millions d’élèves, dont aucun n’avance de la même manière que les autres. De quoi chambouler l’observation !
Concepts clés et définitions : #Edtech