« C’est plus difficile d’établir un lien » : le deuxième confinement vu par les enseignants-chercheurs
Par Isabelle Cormaty | Le | Management
Campus Matin vous dévoile les résultats d’une étude inédite réalisée avec le cabinet de ressources humaines Adoc Mètis sur l’impact du deuxième confinement dans le quotidien des enseignants-chercheurs, tant sur la pédagogie et la relation avec leurs étudiants que sur les conséquences de la crise sanitaire sur leurs travaux de recherche.
Une relation avec les étudiants bouleversée
« C’est beaucoup plus difficile d’établir ou de maintenir à distance un lien un peu social avec les étudiants », témoigne un des 201 enseignants-chercheurs ayant répondu à l’étude. « Le distanciel ne permet pas de connaitre en temps réel le degré de compréhension des étudiants et ne permet pas d’établir de véritables échanges », regrette l’un de ses collègues.
Comme eux, 80 % des répondants constatent que la crise sanitaire a changé leur relation avec les étudiants.
Hugo Gaillard, enseignant-chercheur en GRH (Ater) à Le Mans Université rappelle que les enseignants sont attachés à une relation à l’étudiant de proximité.
« Faire cours masqué n’était déjà pas l’idéal, mais faire cours à des écrans noirs, c’est dépersonnaliser l’enseignement, c’est renoncer à identifier par les expressions du visage l’interrogation d’un étudiant timide, c’est renoncer aux échanges moins formels sur les temps de pause à la demande d’étudiants. L’isolement des étudiants, vécu et ressenti à travers l’écran noir, aura aussi pu entrainer un sentiment d’impuissance personnel pour susciter l’attention. »
Ces E-C racontent comment leur relation aux étudiants a changé
Le lien entre étudiants et enseignants. Un sujet qui passionne. Pas moins de 74 répondants ont apporté leur témoignage. En voici une sélection.
- « Anticipant la fermeture, j’ai passé plus de temps qu’habituellement à faire des jeux avec les L1 pour favoriser l’interconnaissance. Par ailleurs je suis un peu moins exigeante et plus bienveillante, compte tenu de leurs conditions de vie et d’études. »
- « Nous sommes désormais anonymes les uns pour les autres. Je n’ai aucune idée de leur compréhension de ce que je leur expose », témoigne un enseignant-chercheur.
- « Les étudiants me sollicitent davantage en dehors des temps d’enseignement et interagissent moins pendant les cours à distance », constate un autre
- « Pas de changements majeurs pour les étudiants que l’on connait déjà, pour les autres la socialisation est bien difficile… », regrette un autre.
- « Les étudiants qui suivent les cours distanciel ont besoin d’être davantage rassurés. », note sa collègue.
- « La relation directe manque à mon enseignement fondé sur une relation pédagogique forte qui implique une forte interaction non seulement entre moi et eux mais aussi au sein du groupe lui-même qui s’apporte beaucoup. Les écrans noirs d’un certain nombre d’étudiants sur zoom coupent toute relation, entame la qualité de mon intervention et ampute les étudiants des interactions entre eux qui font partie intégrante de l’apprentissage. »
Quelles sont les conséquences de la crise sur la pédagogie ?
La satisfaction dans les outils numériques en baisse
67 % des E-C sont satisfaits des outils numériques proposés par leur établissement, un chiffre en baisse par rapport à l’étude d’avril 2020 où le pourcentage de satisfaits s’élevait alors à 72 %.
« Faisons l’hypothèse qu’ici aussi il y a un processus d’apprentissage et de normalisation : après un temps de découverte et d’appropriation des outils, leurs intérêts et leurs limites sont apparus », suggère Romain Pierronnet, co-concepteur de l’enquête, consultant chez Adoc Mètis et chercheur associé à l’IRG (Institut de recherche et de gestion, Upec-Université Gustave Eiffel).
« Il fallait au départ trouver une solution, les outils numériques sont donc apparus au moment opportun, pour protéger les étudiants, les personnels, et leurs familles et permettre la continuité pédagogique. Le retour à une post-normalité, une sorte de situation quasi normale, induit également le retour d’un esprit critique vis-à-vis de l’outil, et de la pertinence de la solution de crise, qui n’en est plus une », analyse Hugo Gaillard.
Peu de recours aux centres d’innovation pédagogique
Seuls 30 % des répondants ont sollicité le centre d’innovation pédagogique de leur établissement.
« Ces structures sont peu nombreuses, et les temps de formation et d’accompagnement proposés peu mis en avant. Plus généralement, pour les enseignants-chercheurs, le volet recherche est davantage valorisé que le volet pédagogique, au niveau de la progression de carrière par exemple », constate Hugo Gaillard.
« Les enseignants universitaires ont une forte tradition et culture d’autonomie pédagogique. Ça ne les rend pas nécessairement réfractaires à ce type d’accompagnement, mais le “réflexe” d’imaginer faire appel à cet appui n’est pas forcément là », complète Romain Pierronnet.
« S’y ajoute le fait que ces centres ne sont pas toujours dotés d’équipes de taille très importantes, d’autant plus quand on pense à l’ampleur de la crise sanitaire qui a concerné tout le corps enseignant. La transformation de ses pratiques pédagogiques est un processus long, profond et exigeant », développe-t-il.
Quelles conséquences de la crise sur les travaux de recherche des enseignants-chercheurs ?
La recherche a souffert de la crise sanitaire
Interrogés sur les conséquences de la crise sanitaire sur leurs travaux :
- 56 % des enseignants-chercheurs trouvent que leur activité de recherche a souffert de cette période ;
- Un tiers estiment que leur activité de recherche a pu être maintenue, bon an mal an ;
- Enfin, 12 % d’entre eux affirment avoir trouvé des opportunités nouvelles issues de cette période.
Un faible accompagnement des établissements pour aménager les projets de recherche
67 % des chercheurs et enseignants-chercheurs déclarent que leur établissement ne les a pas accompagnés pour gérer les conséquences de la crise sanitaire vis-à-vis du déroulement de leurs projets de recherche (report, reconfiguration, financement…).
Plusieurs témoignages abondent en ce sens. « J’ai obtenu un report de financement mais l’administration ne suit pas mes demandes. Tout le monde a l’air débordé et j’ai du mal à obtenir des réponses de certains services centraux », souffle un enseignant-chercheur. Une répondante confie qu’elle n’a « pas de nouvelles concernant la prolongation de son contrat doctoral », quand un autre regrette les « appels d’offres [soient] presque exclusivement centrés sur la Covid 19 ».
Les établissements ont-ils alors failli dans leur accompagnement de la recherche ? « Je n’ai rien demandé, je me suis adaptée », tempère de son côté une enseignante-chercheuse. Car tous les académiques concernés n’ont pas forcément demandé d’aide comme l’explique Romain Pierronnet :
« La culture académique étant très tournée vers l’autonomie professionnelle, nous pouvons imaginer qu’une grande partie des chercheurs et des enseignants-chercheurs s’est débrouillée directement en lien avec les parties prenantes des projets, sans exprimer de besoin particulier d’accompagnement. Les tutelles et les financeurs ont mis en place des dispositifs, dont il est encore trop tôt pour dresser un bilan et d’autant plus que la crise n’est pas terminée. »
*News Tank Éducation et Recherche est l’agence de presse qui édite Campus Matin