Enseignants : comment faire face à la détresse psychologique des étudiants ?
Par Marine Dessaux | Le | Expérience étudiante
Passés par deux confinements éprouvants et privés d’enseignement en présentiel, de nombreux étudiants se retrouvent en situation de détresse psychologique. Alors que les contacts se restreignent au minimum, les enseignants sont souvent leurs premiers interlocuteurs au sein des établissements, et donc les plus à même de recevoir ou déceler les appels à l’aide.
Laurent Gerbaud, président de l’Association des directeurs des services de santé universitaires (ADSSU), explique à Campus Matin comment réagir et quelle posture adopter face au désarroi étudiant.
« Un ersatz de lien social » : c’est ainsi que Laurent Gerbaud qualifie les échanges virtuels qui sont les seuls possibles dans le cadre d’un enseignement à distance. « Quand vous avez un étudiant dans un TD qui se met en retrait, vous pouvez aller le voir à la fin, mais en ligne sur des groupes de 20 voir 50 ou 60 étudiants, on ne sait pas très bien ce qui se passe. »
Laurent Gerbaud dispose d’une vision d’ensemble sur le problème : il est directeur du service de santé de l’Université Clermont Auvergne et président de l’Association des directeurs des services de santé universitaires (ADSSU), mais il est également professeur des universités-praticien hospitalier.
Campus Matin lui a donc demandé quels conseils il pouvait donner aux enseignants, avec qui il est souvent en contact dans le cadre son travail au service de santé universitaire, pour faire face à la détresse étudiante.
En distanciel, « avant tout écouter »
Pour l’enseignant, déceler le mal-être d’étudiants qu’il ne côtoie que par écrans interposés n’est pas tâche aisée.
« Le problème, c’est les étudiants en détresse qui ne parlent pas, si on ne les voit pas, il est très compliqué d’arriver à les détecter, affirme Laurent Gerbaud. Il faut donc avant tout écouter ceux qui s’expriment. »
Le président de l’ADSSU suggère d’être attentif aux décrochages, à ceux qui ne participent pas aux cours en visioconférence, qui se connectent, mais ne semblent pas être là… « À ceux qui ne sont pas actifs, on peut demander comment ça va, s’ils ne rencontrent pas de problèmes pour suivre les cours. » Il met en garde néanmoins : « La question de la santé mentale et du décrochage ne sont pas forcément liées ».
Mail ou téléphone ?
Pour prendre contact avec un étudiant aux abonnés absents, Laurent Gerbaud conseille de commencer par un mail « parce que le téléphone peut être vécu comme intrusif ».
Dans celui-ci, on peut préciser « je vous appellerai pour savoir où vous en êtes ». Et effectivement appeler par la suite si le courriel reste sans réponse.
Rediriger vers le service de santé universitaire
« L’enseignant n’est pas un thérapeute et il doit éviter de se mettre dans cette position », rappelle Laurent Gerbaud. Ainsi, le rôle de l’enseignant est d’orienter l’étudiant vers le service de santé universitaire ou le bureau d’aide psychologique universitaire (Bapu).
« Il s’agit de garder une certaine neutralité vis-à-vis de la personne, pour ne pas créer une relation qui pourrait devenir toxique, en créant des attentes que l’enseignant n’est pas formé à combler. »
La démarche à respecter est donc la suivante : si l’enseignant observe des choses inquiétantes, ou qu’un étudiant lui fait part de ses problèmes, il joindra, souvent par mail, les services concernés au sein de l’université.
Le service de santé universitaire et le Bapu étant liés, l’un se tournera vers l’autre si besoin : il suffit donc de contacter l’un des deux. Par la suite, un professionnel de santé contactera l’étudiant, lui posera des questions sur sa situation et fixera avec lui un rendez-vous.
« Nos services étant saturés, il y a parfois une ou deux semaines de délai. En cas d’urgence, nous recevons rapidement et une hospitalisation peut être nécessaire », précise Laurent Gervaud.
Que peut-on dire ?
Dans quelle mesure un enseignant peut-il faire part de ce qu’un étudiant lui confie ? « L’enseignant doit tout nous dire », tranche Laurent Gerbaud. En revanche le service de santé n’informera pas du développement du suivi, en raison du secret médical. « Les professionnels de santé diront s’ils ont pris contact ou non, mais n’iront pas au-delà », précise celui qui est aussi chef de pôle de santé publique au CHU de Clermont-Ferrand.
Nightlines, centres médico-psychologiques : les alternatives possibles
Pour les étudiants qui refusent l’aide du service de santé universitaire, il est possible de les orienter vers les nightlines, des services d’écoute anonymes et tenus par des étudiants.
Laurent Gerbaud met néanmoins en garde : « Il faut privilégier les lignes d’écoute qui forment leurs volontaires. On a vu pendant la crise se monter des initiatives de façon moins professionnelle avec de nombreux volontaires alors que les lignes sérieuses ont plutôt du mal à recruter, cela demande un véritable engagement et une formation longue ».
Les centres médico-psychologiques sont également spécialisés dans la santé mentale et peuvent constituer une alternative. Ils sont néanmoins « saturés et ce même avant l’épidémie de Coronavirus », souligne le directeur du service de santé de l’Université Clermont Auvergne.
Alerter sur la précarité sociale et numérique
En majeure partie, ce sont des alertes sur les questions de précarité sociale et numérique qui sont adressées aux services de santé universitaire de la part d’enseignants inquiets, informe Laurent Gerbaud.
« On a des étudiants qui n’ont jamais demandé d’aides sociales et qui n’arrivent pas à trouver de petit boulot à cause de la crise sanitaire. Et pour certains, il est très déconsidéré de demander de l’aide. »
Lorsqu’ils sont alertés, les membres du service universitaire vont « se mettre en lien avec le Crous », décrit-il.
En présentiel, porter attention aux « attitudes de retrait »
Si l’enseignement traditionnel, en présentiel, est plus propice à permettre aux étudiants de se confier, il est toujours souhaitable de rester vigilant aux signes de détresse.
« Les signes à repérer sont les attitudes de retrait, l’absence de communication, de participation. L’enseignant au détour d’une pause ou à la fin d’un cours peut simplement demander si tout va bien », conseille Laurent Gerbaud.
On ne pas obliger quelqu’un à être aidé
Pour autant, on n’ira pas plus loin, en insistant par exemple. « Il est important de se rappeler qu’on ne pas obliger quelqu’un à être aidé, rappelle le professeur. De la même façon, suite à un signalement, si l’étudiant refuse l’aide du centre de santé, nous n’interviendrons pas. »
Une formation dans le cadre du tutorat
Avec le retour en petits groupes des étudiants fragilisés, les enseignants vont de nouveau pouvoir interagir et être potentiellement confrontés à leurs difficultés mentales ou sociales. « Dans les groupes de tutorats, il est prévu de former les enseignants », indique Laurent Gerbaud.
Le message principal ? Toujours le même : « s’ils détectent ou sont confrontés à des étudiants ayant besoin d’aide, en parler au service de santé universitaire, ne pas se lancer à vouloir prendre en charge ».
Quel rôle en cas de décès d’un étudiant ?
« Suite au décès d’un étudiant, l’enseignant va demander la création d’une cellule de soutien psychologique ou, le cas échéant, informer qu’elle existe, expose Laurent Gerbaud. Il peut dire quelques mots, en classe, toujours sans changer de rôle. »
Un point de vigilance cependant : « Les enseignants ont tendance à ratisser large en incitant toute une promotion à se rendre auprès de la cellule de soutien, mais ils ne sont pas tous concernés », note le professeur d’université. Or, « il sera plus facile pour les étudiants proches du défunt de s’exprimer en petit comité, avec des gens qui traversent le même évènement ».
Et si l’enseignant ressent le besoin d’être accompagné ?
Également touché par la crise sanitaire et confronté à la détresse de ses étudiants, l’enseignant peut être lui aussi amené à demander de l’aide. Il s’adressera alors au service de santé au travail, les autres services universitaires mentionnés dans cet article étant réservés aux étudiants.
Une détresse psychologique plusieurs fois pointée du doigt
Dans l’actualité, nombreuses sont les institutions et personnalités qui dénoncent la détérioration de la santé mentale étudiante (plus d’informations dans notre live).
A ce propos, un rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale pour mesurer et prévenir les effets de la crise de la Covid-19 sur les enfants et la jeunesse est paru le 16 décembre dernier.
Une urgence qui se matérialise notamment à Lyon, où un étudiant a tenté de mettre fin à ses jours début décembre 2020. La problématique est telle que la ministre de l’Esri, Frédérique Vidal, est sous le feu des critiques. Elle s’exprime notamment dans une interview à RMC le 17 décembre. Elle y met en avant les initiatives déjà prises (référents Covid, TP en présentiel).
Des réponses qui ne convainquent pas : les jeunes expriment leur ras-le-bol notamment sur les réseaux sociaux, via #etudiantsfantomes. D’autres tentatives de suicide et de nombreuses alertes amènent le Premier ministre, Jean Castex, fin janvier 2021, à s’exprimer à plusieurs reprises sur le sujet, notamment évoqué le 12 janvier lors de la séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale.
Frédérique Vidal a fait de même le 19 janvier, lors d’une nouvelle séance de questions au gouvernement.