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IA dans l’enseignement supérieur : comment l’adopter et s’adapter

Par Marine Dessaux | Le | Edtechs

L’intelligence artificielle bouleverse l’enseignement supérieur, offrant de nouvelles perspectives pédagogiques mais soulevant aussi des défis. Lors d’un webinaire organisé par l’Institut G9+ et EdTech France, le 16 septembre 2024, experts et acteurs du secteur ont exploré les enjeux liés à l’adoption de l’IA dans les établissements, tout en partageant des solutions pour mieux accompagner étudiants et enseignants.

Le rôle des VP numérique et CFVU est clé pour adopter une stratégie d’IA au niveau de l’université. - © Unsplash/ Shubham Sharan
Le rôle des VP numérique et CFVU est clé pour adopter une stratégie d’IA au niveau de l’université. - © Unsplash/ Shubham Sharan

« Ce n’est pas comme si, en tant qu’établissements du supérieur, nous avions le choix de prendre en compte l’avènement de l’IA. Les cohortes qui arrivent ont vécu le Covid et les cours en ligne. Elles sont aussi irriguées par l’intelligence artificielle. Ne pas mettre cette nouvelle technologie au cœur des établissements, c’est ne pas aider au développement des étudiants. Si nous ne rentrons pas là-dedans, nous aurons un problème de dialogue et de décrochage », martèle Renaud Monnet, directeur du Digital Lab de CentraleSupélec.

La couleur est affichée. Pas question de passer à côté de la révolution IA, au risque de décrocher des enjeux contemporains. Mais aussi parce que cette nouvelle technologie peut faciliter la vie de l’enseignant et des étudiants.

Sa maîtrise, néanmoins, « prend du temps et demande une démarche de fond », estime Claire Lecocq, directrice adjointe de l’école d’ingénieurs en intelligence information, Epita. C’est là qu’interviennent les edtechs qui proposent des outils numériques pour accompagner ces acteurs dans leur pratique quotidienne.

Développer les soft skills et personnaliser l’accompagnement : les atouts de l’IA

« L’enseignement supérieur représente un spectre allant jusqu’à huit ans d’études, des cohortes qui ne sont pas de la même taille (elles sont grandes en licence, plus petites en master et le suivi est individuel pendant le doctorat) avec des enjeux d’animation différents. Le problème principal pour l’enseignant est de pouvoir se concentrer sur les étudiants qui ont le plus besoin d’accompagnement. L’IA peut aider à coacher vite et mieux », estime Renaud Monnet.

Claire Lecocq est directrice adjointe de l’Epita. - © D.R.
Claire Lecocq est directrice adjointe de l’Epita. - © D.R.

Claire Lecocq voit un autre point fort : « Beaucoup d’outils d’IA peuvent aider à développer les soft skills, une partie de l’enseignement qu’il n’est pas possible de faire en amphi. L’IA crée des espaces sécurisants pour accueillir individuellement les élèves et peut améliorer l’expérience étudiante. »

À CentraleSupélec, des dispositifs d’entraînement à des entretiens de recrutement et à la prise de parole en public sont testés. Ils permettent de challenger les étudiants émotionnellement et de donner des conseils pour s’améliorer à partir d’une vidéo, avant de passer à un débrief humain et pédagogique.

Faire des erreurs, une source d’apprentissage

Les propositions de l’IA générative ne sont pas exemptes d’erreurs et d’hallucinations. « Il va falloir consolider nos référentiels de compétences sur le sens critique », note Claire Lecocq.

Mais cette faiblesse peut aussi être source d’apprentissage : « En mathématiques, j’utilise ChatGPT pour créer des raisonnements et je demande aux étudiants de détecter le vrai du faux. L’enseignant peut utiliser les biais pour avertir puis les utiliser comme base pour proposer quelque chose de mieux », illustre Lucie Jacquet-Malot, pilote du projet Démonstrateur numérique dans l’enseignement supérieur (Demoes) de l’Université de Picardie Jules-Verne.

Certaines edtechs, comme Nolej, permettent de contourner ce problème. « Nous avons fait le choix de ne pas partir d’une page blanche : l’enseignant doit sélectionner une ressource. Il faut garder l’humain dans la boucle », partage Nejma Belkhdim, co-fondatrice et directrice des ventes de la edtech qui permet de générer des activités pédagogiques interactives (quiz, vidéo, texte à trous…) à partir de documents statistiques grâce à l’IA.

Le manque de fiabilité de l’IA générative ne durera cependant peut-être pas éternellement. « Aujourd’hui, il a une incertitude sur ce que vont devenir les IAg en termes de fiabilité, néanmoins il existe des scénarios où elle s’améliorera. Je suis optimiste : projetons-nous dans l’hypothèse où il ne faudra plus se méfier », propose Renaud Monnet.

Embarquer les enseignants

Comment convaincre les enseignants de se mettre à l’IA ? « En utilisant la force de certaines edtechs pour leur montrer tout ce qu’on peut faire, suggère Lucie Jacquet-Malot. Il faut que l’enseignant y trouve un intérêt : gagner du temps ou aider les étudiants à développer des compétences qu’ils ne peuvent pas toujours évaluer. »

C’est ce dont l’Université Picardie Lorraine a fait l’expérience avec Nolej. « Nous avons observé une adhésion totale des enseignants sans aucun besoin de contreparties », poursuit Lucie Jacquet-Malot.

Un soutien mutuel entre enseignement supérieur et edtechs

Coopérer entre établissements et edtechs permet d’avancer plus vite et d’obtenir l’adhésion des enseignants, ajoute Nejma Belkhdim.

Nejma Belkhdim est co-fondatrice et CEO - © Seb Lascoux
Nejma Belkhdim est co-fondatrice et CEO - © Seb Lascoux

« Les edtechs peuvent soutenir la culture de l’innovation dans les établissements. Et les universités, elles aussi, peuvent nous soutenir. Nous retravaillons en ce moment toute l’architecture technique de Nolej pour faciliter le plug-in des universités, ce qui n’est possible que si les établissements jouent le jeu en investissant du temps et de l’argent », explique-t-elle.

Les problématiques pédagogiques et techniques sont les mêmes à l’international, constate par ailleurs Nejma Belkhdim. Elle incite donc les edtechs à « voir au-delà de la France et faire preuve de vélocité ».

La co-fondatrice de Nolej soulève toutefois des difficultés propres à l’enseignement supérieur : la lenteur des procédures et la menace qui pèse sur la pérennité des projets financés pour une durée déterminée (comme c’est le cas des appels à projets lancés au niveau national).

« La edtech n’est pas le marché le plus fructueux, s’y intégrer est vraiment difficile. Quand on le fait, c’est pour créer de l’impact. »

Fabriquer ses propres outils, un atout pour embarquer ses communautés

Renaud Monnet est directeur du Digital lab de CentraleSupélec. - © D.R.
Renaud Monnet est directeur du Digital lab de CentraleSupélec. - © D.R.

Au sein du Digital lab, CentraleSupélec développe son propre outil d’IA, Aristote. Une initiative qui permet d’embarquer sa communauté, notamment parce que le dispositif de prototypage est centré sur les étudiants. « Travailler ensemble pour améliorer la posture pédagogique crée une dynamique entre les enseignants et étudiants », raconte Rennaud Monnet.

Cet outil vise à répondre aux enjeux de propriété intellectuelle que pose ChatGPT. En effet, le manque de transparence sur l’usage des données de l’IA américaine rend les enseignants, les chercheurs, mais aussi les entreprises frileux quand il s’agit de partager leurs contenus.

Aristote illustre en outre la coopération entre edtech et supérieur puisqu’il peut être connecté à des solutions edtechs. Ce qui permet à l’usager, in fine, de choisir sa solution d’IA.

Développer une stratégie d’établissement

Avec l’avènement de ChatGPT, « la gouvernance des établissements du supérieur et les enseignants ont fait face à un changement de paradigme très rapide, retrace Lucie Jacquet-Malot. Dans un premier temps, il n’a pas été nécessaire d’accompagner les enseignants qui se sont emparés de l’outil, mais ce qui est plus long à mettre en place, c’est une vraie stratégie d’établissement. Des projets comme Nouveaux cursus à l’université (NCU), Demoes et Compétences et métiers d’avenir (CMA) sont l’occasion de mettre en place des stratégies de gouvernance qui offrent un regard différent sur l’IA de celui d’un utilisateur lambda. »

Elle poursuit : « Sans portage fort des vice-présidents numérique et commission de la formation et de la vie universitaire cela sera compliqué. Ils sont dans les commissions, travaillent sur la création des maquettes, etc. »

L’achat innovant, une piste pour collaborer plus rapidement avec les universités ?

Pour accélérer la phase d’achat de l’université, qui en tant qu’établissement public doit faire un appel d’offres avant de choisir la solution à adopter, il est possible de recourir à un achat innovant. Ce dispositif permet aux acheteurs de passer, sans publicité ni mise en concurrence préalables, des marchés de travaux, fournitures ou services innovants de moins de 100 000 euros hors taxes.

Lucie Jacquet-Malo est pilote politique et stratégique Demoes de l’Université de Picardie Jules-Verne. - © D.R.
Lucie Jacquet-Malo est pilote politique et stratégique Demoes de l’Université de Picardie Jules-Verne. - © D.R.

« Pour cela, il faut que la gouvernance monte un projet qu’elle définit comme innovant et convainque le responsable d’achat. Un rapport doit être rédigé afin de donner un retour d’expérience », précise Lucie Jacquet-Malot.

Renaud Monnet encourage en outre les edtechs à se référencer dans les centrales d’achat public. « Cela facilite la vie des universités et des edtechs », rapporte-t-il. En revanche, cela n’est pas possible pour les toutes jeunes start-up qui n’ont pas encore trois bilans et ne sont pas référencées par la Banque de France. Claire Lecocq leur suggère de « commencer à travailler avec des acteurs du privé » pour rassembler ces éléments avant de se tourner vers les établissements publics.

Pour aller plus loin, un deuxième webinaire « Qu’est-ce qu’une carrière à l’ère de l’IA ? » sera organisé le 15 octobre et un troisième « Entreprises : comment devenir antifragiles à l’ère de l’IA ? », le 26 novembre.