Aristote, un outil IA souverain conçu par CentraleSupélec pour les enseignants du supérieur
Par Isabelle Cormaty | Le | Pédagogie
L’école d’ingénieurs CentraleSupélec a créé une IA générative souveraine, destinée spécifiquement à l’ESR pour enrichir les supports de cours et aider les enseignants. Imaginé à l’origine par quatre étudiants, ce projet open source au modèle économique nouveau, celui des communs numériques, a notamment bénéficié d’une subvention ministérielle.
Créer des quizz ou des QCM, proposer un plan de révisions ou encore sous-titrer des vidéos de cours. Autant d’activités pédagogiques facilitées par l’essor des intelligences artificielles génératives dans le secteur de l’éducation. Ce mouvement s’accompagne de l’émergence de nouveaux services edtechs, principalement basés sur des IA comme ChatGPT d’OpenAI, Copilot de Microsoft ou encore Gemini de Google.
L’école d’ingénieurs CentraleSupélec a quant à elle développé une IA souveraine et open source, prénommée Aristote. Ce service propose « à partir de supports d’enseignement des quiz et des évaluations adaptées au niveau des étudiants pour les aider dans leurs révisions et améliorer le taux de réussite en licence », comme l’expliquait le Premier ministre Gabriel Attal le 23 avril 2024 lors d’un comité interministériel de la transformation publique, autour de la simplification administrative.
Une alternative open source et souveraine aux edtechs qui utilisent OpenAI
« Lors de la conférence IA et éducation organisée les 8 et 9 juin 2023 par France Université Numérique, nous avions confié à nos étudiants le soin d’imaginer les usages de l’intelligence artificielle qui pourraient les aider dans le cadre de leurs études », retrace pour Campus Matin Renaud Monnet, le directeur des systèmes d’information de l’établissement.
Face à l’intérêt des professeurs, « nous avons ensuite mis autour de la table les enseignants de CentraleSupélec et de l’Université Paris-Saclay désireux de nous aider. Nous avons donc construit Aristote, un outil pour aider les enseignants à enrichir leurs cours et leur pédagogie, le tout au service des étudiants », poursuit celui qui est aussi directeur du digital lab de l’école d’ingénieurs.
Le projet a ensuite rejoint la direction des systèmes d’information de l’établissement à la rentrée 2023. Particularité de l’IA : les enseignants doivent valider le contenu généré avant la publication. Le 5 juin dernier, « nous avons organisé une journée à Saclay pour savoir ce qu’attendaient les professeurs de l’IA. Ce qui ressort, c’est qu’ils souhaitent créer du contenu pédagogique attractif, en gardant le contrôle sur ce qui est produit par l’IA. »
Une IA intégrée dans les plateformes pédagogiques actuelles
« Nous avons souhaité fournir aux plateformes pédagogiques les moyens d’intégrer l’IA, et non créer une énième plateforme supplémentaire pour les enseignants. Aristote n’est pas un concurrent de Moodle ou de BigBlueButton », souligne le DSI de CentraleSupélec.
L’outil permet aux plateformes vidéos d’intégrer une couche d’IA pour enrichir leurs vidéos. Aristote se présente ainsi comme « une alternative open source et souveraine aux edtechs qui utilisent OpenAI, car nos serveurs sont français et souverains ».
« Le 17 juin, nous avons lancé un chatbot appelé Aristochat, qui ressemble un peu à ChatGPT et qui permettra à des personnels de faire des résumés notamment. Cela sera complété prochainement par un panel de produits pour les personnels et enseignants de l’ESR », annonce-t-il.
Comment accéder à Aristote ?
Les universités peuvent y accéder via la plateforme vidéo Pod, dont la version 3.7 intègre Aristote. « Les établissements qui déploient cette version peuvent nous demander des accès à l’outil. Nous travaillons avec France Université Numérique pour que l’outil de visioconférence BBB intègre Aristote, mais aussi avec des entreprises edtechs et d’autres secteurs que l’ESR », indique Renaud Monnet. Par ailleurs, la plateforme collaborative Whaller intègre aussi l’IA d’Aristote dans son système de visioconférence depuis juin.
Un projet basé sur la mutualisation et la frugalité
Après l’engouement suscité par la présentation d’Aristote après la conférence IA et éducation en juin 2023, le Gouvernement se rapproche de l’établissement pour financer le projet, via le Fonds de transformation de l’action publique (FTAP).
En attendant le déblocage des fonds en mars 2024, la Fondation CentraleSupélec a pris le relais de septembre à février 2024 pour permettre à l’école d’ingénieurs d’avancer sur la phase d’industrialisation.
« Nos dépenses s’élèvent à 150 000 euros environ pour l’instant, dont 50 000 euros de masse salariale. Pour rentabiliser ce projet, nous travaillons avec la Direction interministérielle du numérique pour que l’IA d’Aristote soit aussi utilisée dans plusieurs ministères : l’éducation nationale, l’ESR (via France université numérique et Esup-Pod…) », précise Renaud Monnet.
Un modèle économique communautaire en cours de construction
« Nous visons un modèle économique communautaire basé sur la frugalité et la mutualisation des moyens. Le code est open source donc nous comptons créer une communauté dans l’ESR pour gérer le code dans la durée », prévoit le directeur du digital lab de CentraleSupélec.
Il s’agit en effet d’un projet contributif : les laboratoires de recherche en éducation pourront notamment générer des prompts et les ajouter dans Aristote. Si le projet est principalement destiné aux institutions de l’ESR et publiques, pour le privé en revanche, un prix de la requête sera défini.
Aristote s’appuie sur un modèle économique d’un nouveau genre, celui des communs numériques. « Par exemple, les serveurs informatiques des universités sont très utilisés en journée pendant les heures de cours. Rien n’empêcherait Aristote de profiter de la puissance informatique de ces serveurs la nuit pour faire du traitement de données. Ce n’est qu’une affaire de technologie ! », présente Renaud Monnet.