IA générative : les ingénieurs pédagogiques entrent dans une nouvelle ère
Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie
Impossible pour eux d’y échapper : les ingénieurs pédagogiques ont dû se familiariser à l’intelligence artificielle qui s’est inscrite dans les usages des étudiants et enseignants. Démystifier l’IA générative et s’y former. C’est ce à quoi le Pédagolab 2024, organisé par l’Anstia à l’Université catholique de Lille, du 11 au 13 juin, s’est employé.
Cette année, l’association des professionnels des services d’appui à la pédagogie, Tice et audiovisuels de l’enseignement supérieur (Anstia) organisait son Pédagolab autour de l’intelligence artificielle générative (IAG) et son impact sur le métier d’ingénieur pédagogique.
« C’est le sujet du moment. En tant qu’ingénieur pédagogique, on ne peut pas y couper, ne serait-ce que pour répondre aux questions des enseignants. Il y avait aussi un besoin de démystifier l’IA et de s’y former », expose Kathy Casalino, vice-présidente événementiel de l’association et ingénieure pédagogique à l’Université de Lille.
L’objectif de cet événement ? « La pratique, pour que les gens puissent repartir avec des outils. Car tous les participants n’ont pas le même niveau de maîtrise de l’IA », déclare celle qui est également référente handicap.
Fondamentaux du prompting, revue de la littérature scientifique, droit en matière de propriété intellectuelle, conception d’une banque de données… autant d’objets de conférences pour se construire un premier socle de compétence en IAG.
Accompagner les enseignants et étudiants
Les impacts du développement de l’IAG sur le métier d’ingénieur pédagogique sont multiples. À commencer par l’accompagnement des enseignants.
« Nous avons tous été confrontés à un enseignant qui demande comment continuer ses évaluations alors que des étudiants utilisent ChatGPT et obtiennent de trop bons résultats pour leur niveau… et qu’aucun détecteur d’IA n’est complètement fiable », explique Kathy Casalino.
Les pratiques pédagogiques et leurs évaluations ont dû évoluer dans un temps très court. L’IAG permet cependant de gagner du temps : « Pour mettre en place l’approche par compétences, certaines équipes se sont servi de l’IA pour en générer, poursuit la VP évènementiel. Cette technologie permet aussi de générer le bon format de mise en page d’un document, selon ce que l’on peut faire. »
Se pose aussi la question de l’accompagnement de l’usage de l’IA par les étudiants. Selon les établissements elle est faite, ou non, par les services d’appui à la pédagogie. « Une fracture peut se créer entre les étudiants selon leurs moyens financiers et leur niveau technique. » Autre interrogation : « Quels sont les étudiants à former ? Ce n’est pas encore dans tous les programmes. »
Le chatbot, un outil qui pourrait être détourné en pédagogie
Le chatbot est parfois utilisé par les écoles et universités pour répondre aux questions des visiteurs de leur site web. Mais il peut aussi servir dans le cadre des enseignements de façon innovante.
« Dans un jeu sérieux, une enseignante envisage de s’en servir pour améliorer les patients fictifs d’une pharmacie. Un chatbot permettrait d’échanger avec eux. »
Intégré à Moodle, cet outil pourrait également être utilisé pour répondre aux questions récurrentes des enseignants aux services d’appui à la pédagogie.
Améliorer et accélérer la création de formations en pédagogie
Au-delà de l’accompagnement, les ingénieurs pédagogiques ont besoin de maîtriser l’IA pour leurs propres contenus : formations, montages vidéo, présentations, retours d’expérience…
« Nous intervenons sur deux types de productions de ressources : les nôtres et celles des enseignants. Ces ressources peuvent être habillées à l’aide de l’IAG. Même chose pour les PowerPoint qui peuvent être générés et ensuite retravaillés : le temps gagné est énorme. »
L’IAG peut aussi être utilisée, comme dans de nombreux métiers, pour des fonctions plus basiques : écrire des mails, faire de la veille, etc.
Autant d’usages qui, une fois démystifiés, permettent « d’avoir moins peur à l’idée d’être remplacé par l’IA et de se sentir moins démunis ». La problématique résiderait plutôt du côté de ceux qui ne maîtriseront pas cette technologie à l’avenir : « Cela pourrait présenter une difficulté sur le marché du travail », estime Kathy Casalino.
Des problématiques et interrogations encore ouvertes
Toutes sortes de barrières viennent complexifier l’usage de l’IAG. « En matière de propriété intellectuelle, la politique des établissements n’est pas toujours claire », note l’ingénieure pédagogique.
Mais aussi très concrètement, « comment payer une licence pour un outil type ChatGPT pour les établissements qui n’ont pas de carte bleue ? »
Une barrière à la créativité ?
Autre élément à garder en tête : l’IA n’est pas objective. « Cette technologie repose sur l’existant, quand vous promptez il y a un biais et ses réponses peuvent influencer notre manière de produire. Est-ce qu’alors la créativité n’est pas limitée ? Y a-t-il un risque d’être moins créatif ? »
Cette prise de conscience impose de sortir des sentiers battus. Et même, s’il n’y a pas encore de réponse définitive à cette problématique, connaître les limites de l’outil est déjà un premier pas.
Un impact environnemental non négligeable
Émissions de CO2, consommation d’électricité et d’eau… L’usage de l’IA entraîne une pollution conséquente. « Comme le soulignait un conférencier, il y a une injonction contradictoire de l’État qui d’un côté incite à être compétitif en matière d’IA et de l’autre pousse au zéro carbone », remarque Kathy Casalino.
Une conférence de sensibilisation à l’impact sur l’environnement de l’IA a soulevé les interrogations des participants du Pédagolab après une journée passée à utiliser cette technologie. « Tout ce qui est environnement crée de la crainte sur l’avenir. »
L’Anstia envisage d’approfondir le sujet par des formations
Après avoir soulevé ces questions brûlantes, le Pédagolab a fait l’objet d’un « fort enthousiasme et de nombreux posts sur les réseaux sociaux ». Ce qui est lié, selon Kathy Casalino, au fait « d’avoir axé cet évènement sur de la pratique et des thématiques qui nous questionnent au quotidien ».
L’Anstia pourrait à l’avenir proposer des formations autour de la propriété intellectuelle. « Comme pour le RGPD, il faut que nous soyons en mesure de répondre aux questions même si ce sujet n’est pas notre cœur de métier. » Le prompting est également un sujet de formation envisagé.
Avant cela, l’association proposera à ses membres d’accéder à un cours Moodle à partir des informations partagées lors du Pédagolab.