Étudiants : cette fracture numérique que le confinement a révélée
Par Théo Haberbusch | Le | Équipements et systèmes d'informations
Le confinement a révélé la difficulté d’une proportion significative d’étudiants à accéder aux services et formations à distance de leurs établissements. La précarité est donc aussi numérique et elle dépend de facteurs sociaux et géographiques.
Si des solutions ont été trouvées dans l’urgence, la tendance aux formations hybrides va imposer aux universités et écoles d’accompagner leurs publics à l’avenir.
En 2020, la précarité étudiante est (aussi) numérique. Cette réalité a sauté aux yeux des universités et grandes écoles avec le confinement. Des étudiants ont décroché, faute d’équipement ou de connexion adaptés au cours à distance.
« Il y aura un avant et un après sur la question du numérique, prévient Yves Condemine, vice-président chargé de la stratégie numérique de l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Une proportion non négligeable d’étudiants sont aujourd’hui déconnectés. Ils utilisent essentiellement leur forfait téléphonique en partage de connexion et donc ils consomment très vite leur quota de données et arrivent à leur seuil de téléchargement. »
Monique Ronzeau, présidente de l’Observatoire de la vie étudiante confirme le changement de paradigme :
« Auparavant, l’accès aux services numériques n’apparaissait pas dans le ressenti des étudiants comme un élément constitutif de précarité. »
Combien d’étudiants concernés ?
Combien sont-ils à avoir décroché ? Entre 3 et 4 % des étudiants des universités, soit au moins 50 000 jeunes, selon une enquête de l'association des vice-présidents d’université chargés du numérique (VP-Num), dévoilée lors d’une audition au Sénat le 22 juin.
Certains établissements avancent des fourchettes plus élevées : Jean-François Huchet, président de l’Inalco, évoque « entre 15 et 20 % d’étudiants qui ont des soucis avec le numérique - cela va de l’absence d’ordinateur à des soucis de connexion. »
10 % d’étudiants en difficulté numérique à Paris Nord et au Mans
L’ampleur de la fracture dépend aussi du territoire d’implantation de l’établissement. L'Université Sorbonne Paris Nord, en Seine-Saint-Denis a recensé 10 % d’étudiants en difficulté numérique. Un chiffre identique à Le Mans Université.
A l'Université de Paris, 3 770 étudiants de la faculté « Sociétés et humanités » ont été sondés : 88 % bénéficient d’un ordinateur équipé d’une suite bureautique mais la moitié n’ont ni caméra ni micro pour participer à une classe virtuelle dans de bonnes conditions.
Du côté des écoles d’ingénieurs, selon l’enquête de l’association étudiante BNEI, 5 % des étudiants n’ont pas d’ordinateur personnel, soit environ 10 000 élèves ingénieurs, un nombre potentiellement sous-évalué.
Prêts d’ordinateurs, de cartes SIM, de clés 3G et appels à dons
Les établissements, souvent épaulés par les régions, ne s’y sont pas trompés qui ont dégagé des moyens pour fournir des ordinateurs, cartes SIM et clés 3G.
Dès le début du confinement, la Région Occitanie a ainsi acheté 1500 ordinateurs pour venir en aide aux étudiants qui n’étaient pas équipés pour suivre leurs cours à distance. L'Université de Lorraine a, par exemple, organisé des prêts et dons de 500 ordinateurs et financé 600 forfaits Internet.
Lorsque les moyens alloués ne suffisaient pas à couvrir les besoin, des appels à dons pour l’équipement informatique des étudiants ont été lancés, dans les universités de Lille, de Strasbourg, de la Rochelle et d’Angers notamment.
La Conférence des présidents d’université, mais aussi des rectorats ou des présidentes de région, comme Carole Delga en Occitanie, ont demandé aux opérateurs de téléphonie qu’ils adaptent les forfaits mobiles et permettent aux étudiants d’utiliser plus facilement le partage de connexion.
Les régions Sud et Grand Est ont fait des démarches similaires et obtenu des réponses favorables.
Une fracture sociale dans un contexte de montée en puissance des cours hybrides
Pour Bernard Belloc, conseiller de Skema business school et président honoraire de Toulouse 1 Capitole, « la fracture numérique, qui peut surprendre à ce niveau d’éducation, est en fait une fracture sociale que l’on ne nomme pas ».
C’est l’une des raisons qui conduisent l’association VP-Num à plaider pour que les opérateurs téléphoniques proposent aux étudiants en difficulté des forfaits à très bas coût avec une connexion satisfaisante.
« Il est important que les quatre opérateurs français proposent ce type d’offre, car les qualités du réseau sont différentes en fonction des opérateurs et des territoires », martelait Brigitte Nominé, vice-présidente chargée du numérique à l’Université de Lorraine et présidente de l’association, devant la mission du Sénat sur « l’illectronisme ».
Un besoin d’autant plus prégnant que l’enseignement hybride va se développer, comme l’illustre un récent appel à projets lancé par le ministère pour susciter dès la rentrée prochaine de nouveaux modules.
Selon Laurent Bigué, directeur de l’Ensisa et président d’Alsace Tech, la période de confinement va « peut-être faire sauter un tabou dans l’enseignement supérieur public : celui de demander aux étudiants d’être obligatoirement équipés d’un ordinateur portable ».
Jacques Fayolle, directeur de Télécom Saint-Étienne et président de la Cdefi, partage cette conclusion.
« Nous allons désormais le demander à nos élèves : nous anticipons 10 % d’étudiants concernés. Mais nous allons les accompagner dans cette démarche. Et nous prenons aussi l’engagement d’utiliser des logiciels libres. C’est un effort dans les deux sens. »
« Il faut agir ! »
Le confinement aura fait évoluer les usages, avec le post-confinement vient donc la question des moyens et du rôle même des établissements vis-à-vis de l’équipement de leurs étudiants.
« Un de nos enjeux à Lyon 3 est la pérennisation pour la rentrée prochaine et les suivantes du dispositif d’aide à l’achat d’un PC pour les étudiants mis en place grâce à un financement de la métropole de Lyon. Il faut agir ! », confirme Yves Condemine dans un post sur Linkedin.
Pour lui, les appels à une position commune des opérateurs téléphoniques vis-à-vis des étudiants retardent la prise de décision : « C’est dilatoire ! », lance-t-il.
« Il faut négocier directement avec eux. Nous avons obtenu pour nos étudiants déconnectés des conditions financièrement très favorables de la part de notre opérateur pour les équiper, sans attendre je ne sais quel accord national. »