À Sorbonne Université, les étudiants en médecine apprennent la neurologie par le mime
Par Isabelle Cormaty | Le | Expérience étudiante
Depuis 2014, les enseignants de neurologie de Sorbonne Université utilisent pour leurs cours une méthode originale, le mime. Durant les travaux dirigés, les étudiants miment à tour de rôle des patients atteints de maladie neurologique. L’objectif est double : favoriser l’apprentissage des connaissances sur le long terme et lutter contre la neurophobie.
« L’objectif du TD est de revoir les différentes étapes de l’examen neurologique. Nous allons étudier une petite dizaine de syndromes neurologiques que vous allez ensuite devoir mimer. Si vous ne savez pas, ce n’est pas grave. »
Devant à une quinzaine d’étudiants en deuxième année de médecine à Sorbonne Université, la neurologue de la Pitié-Salpêtrière, Céline Louapre explique les modalités de ce TD pas comme les autres. Exit les rangées d’ordinateurs cachant des visages masqués.
Une méthode d’apprentissage originale et efficace
Face à l’enseignante, des étudiants un brin intrigués, leur marteau à réflexes tout neuf sagement posé sur la table. Une fois quelques rappels de connaissances effectués, place à l’action et au mime !
Le gel hydroalcoolique toujours à proximité, les binômes d’étudiants se lancent alors dans un examen général des réflexes de leur camarade sous l’œil aiguisé de leur enseignant, passant de groupe en groupe pour corriger çà et là un mouvement, ajouter une explication, pallier un trou de mémoire, rassurer…
« Quand je suis chez moi, je ne peux me tester mes propres réflexes, c’est impossible ! », remarque une étudiante Julia, contente de réaliser « pour de vrai » les gestes des praticiens. Le cours se poursuit par la découverte de plusieurs syndromes neurologiques comme Parkison. Et les explications des enseignants se complètent là encore par des mimes, les étudiants tentant d’imiter, dans la bonne humeur, la démarche et les troubles de patients atteints de maladie neurologique.
Favoriser l’ancrage des connaissances sur le long terme
L'AP-HP et l'Institut du cerveau et de la moelle épinière soutiennent cette méthode d’apprentissage utilisée depuis 2014 à Sorbonne Université et dans d’autres universités françaises comme à Rennes 1 notamment. La pédagogie par le mime a montré son efficacité dans la mémorisation des connaissances neurologiques sur le temps long.
« Nous souhaitons que ces connaissances soient ancrées au-delà des examens, car elles sont utiles à tous les étudiants en médecine, même s’ils ne deviennent pas neurologues », insiste la MCU-PH Céline Louapre.
En plus de son aspect ludique et interactif, le mime sollicite plusieurs modalités d’apprentissage ce qui favorise ainsi l’ancrage des connaissances :
- la modalité auditive : les étudiants écoutent leur enseignant expliquer les différents syndromes neurologiques ;
- la modalité visuelle : ils voient leur enseignant imiter un patient atteint d’un syndrome ;
- la modalité sensorielle : ils miment eux-mêmes les syndromes.
« Dans les autres cours, je fais pas mal de bachotage. J’apprends par cœur, parfois sans comprendre et après les examens, il m’arrive d’oublier ce que j’ai appris au semestre précédent, confie Julia, une étudiante en deuxième année de médecine. Le fait de mimer l’examen neurologique permet de mieux retenir. »
Le mime pour lutter contre la neurophobie
En plus de favoriser l’apprentissage des connaissances sur le long terme, le mime concourt à un second objectif : lutter contre la neurophobie. Ce phénomène documenté par la littérature médicale se définit comme la crainte de se retrouver face à des patients atteints d’une maladie neurologique. Les étudiants en médecine et les praticiens, toutes spécialités confondues sont particulièrement concernés.
« Quand on interroge les professionnels sur leurs pratiques, la neurologie revient toujours parmi les situations les plus anxiogènes. Cela conduit parfois à des évitements des médecins, constate Céline Louapre. On ne sait pas vraiment à quel moment s’installe la neurophobie, on pense que c’est assez tôt, car le système nerveux est un organe assez complexe. »
La neurologie, une matière complexe qui peut faire peur
La méthode d’apprentissage par le mime permet d’agir en amont auprès des étudiants en médecine. Car très vite dans leurs études de médecine, la neurologie souffre d’une mauvaise image.
Ainsi 90 % des étudiants de Sorbonne Université interrogés par l’équipe du professeur Emmanuel Flamand-Roze déclarent que la neurologie est un domaine difficile. 60 % déclarent toutefois envisager de la possibilité de faire de la neurologie plus tard.
« Il y a du potentiel mais les étudiants savent avant de commencer que c’est compliqué. Il faut casser le mythe et leur montrer que c’est accessible », raconte la neurologue.
Une échelle pour évaluer les modalités d’enseignement
Dans une étude parue dans Journal of the Neurological Sciences en janvier dernier, des enseignants de Sorbonne Université ont montré la diminution de la neurophobie chez les étudiants grâce à l’apprentissage par le mime. Ils ont pour cela interrogé un groupe de 400 étudiants de deuxième année de médecine avant et après l’enseignement.
« Nous avons développé et validé une échelle de mesure de la neurophobie. Nous allons maintenant essayer d’élargir l’étude à l’échelle nationale et sur le long terme. Cet outil nous permettra d’évaluer les modalités d’enseignement de la neurologie à la fois sur les connaissances et sur le critère de la neurophobie », détaille Céline Louapre.
À terme, cette étude qui interroge les pratiques pédagogiques, fournira aux professionnels des indicateurs. Ces résultats seront donc utiles aux enseignants de Sorbonne Université et plus largement à tous les enseignants de neurologie qui souhaiteraient mettre en place des pédagogies alternatives.
Des battles et un tournoi international
À la fin du semestre, l’enseignement de neurologie se termine par un tournoi amical aux allures de « The Voice ». Le tournoi copie en effet le concept de l’émission musicale. Les enseignants rebaptisés « les coachs » pour l’occasion départagent les groupes d’étudiants qui se défient lors de battles successives et miment des malades neurologiques. Deux critères permettent de départager les participants : l’originalité du scénario et l’authenticité médicale du patient.
En raison de la crise sanitaire, ce tournoi a été annulé en 2021 pour la seconde année consécutive, tout comme sa version internationale qui réunit d’habitude différentes universités européennes, américaines et asiatiques.