Concours d’éloquence dans le sup' : à vos marques, prêts, parlez !
Par Antoine Bovio | Le | Expérience étudiante
Les concours d’éloquence se développent au sein de l’enseignement supérieur. Comment procèdent les universités et écoles qui ont décidé de miser dessus ? Une université publique, un groupe d’établissements publics ainsi qu’un groupe privé témoignent et Campus Matin vous livre son mode d’emploi.
Présentation de travaux, oraux, entretiens d’embauche… La prise de parole en public est un exercice récurrent de la vie étudiante. S’y confronter peut être source de stress voire d’anxiété. Pour développer les compétences orales de ses étudiants, de nombreux établissements, aussi bien publics que privés, instaurent un concours d’éloquence. Campus Matin en a interrogé trois : l’Université de Montpellier, le Groupe Insa et le groupe Ynov Campus. Notre mode d’emploi.
Pourquoi créer un concours d’éloquence ?
À son arrivée à l’Université de Montpellier en 2013, Frauke Batbedat, régisseuse générale de la Maison des étudiants Aimé Schoenig, cherche un moyen de faire venir les étudiants le soir dans ce lieu de vie en leur proposant une nouvelle activité.
Elle fait la rencontre de l’association des doctorants en économie et gestion, et leur propose de monter un atelier de prise de parole en public : iTalks (« je parle »). Elle peaufine ce projet depuis 2015 avec différents intervenants professionnels, et propose depuis 2022 des stages de théâtre et des ateliers d’écriture pour préparer les étudiants à monter sur scène lors d’un concours d’éloquence.
Sensibiliser à un thème
Pour Ynov Campus, qui compte dix sites dédiés aux métiers du numérique, et l’école de cinéma Eicar (également rattachée au Groupe Ynov), tout part d’un séminaire interne à l’équipe de communication en septembre 2023. Juliette Delas, conférencière sur la parité homme-femme, intervient sur le manque de femmes dans le numérique.
L’établissement choisit alors ce thème pour lancer un concours d’éloquence. Avec l’idée que les élèves pourront progresser à l’oral, tout en travaillant la question de l’égalité femmes-hommes dans le numérique.
« 17 % des postes dans les métiers du numérique sont occupés des femmes (selon une étude Gender Scan réalisée en 2022) », rappelle Renaud Chenu, directeur de la communication, des relations de presse et des affaires publiques d’Ynov Campus et Eicar.
Fédérer et créer un marqueur commun dans un groupe
Le Groupe Insa s’est quant à lui lancé en 2022 avec la création du « Jeudi de l’éloquence ». Son souhait : nourrir davantage le volet sciences humaines et sociales de son cursus pédagogique dans ses sept écoles d’ingénieurs.
« Nous avons eu envie de faire autre chose, trouver un projet qui pourrait aussi faire sens au niveau du groupe et fédérer autour de notre “modèle Insa”, travailler les soft skills, les compétences un peu spécifiques qui peuvent nourrir le profil d’ingénieur humaniste. C’est devenu un marqueur dans le parcours Insa que d’avoir ce concours qui débute dès le premier semestre de la rentrée », raconte Véronique Deborde, directrice du développement de la Fondation Insa.
Le financement du projet
Pour ces trois projets, il y a autant de types de financements. À l’Université de Montpellier, c’est la contribution à la vie étudiante et de campus (CVEC) qui a permis de financer le programme.
Le Groupe Insa, dont les écoles sont publiques, finance quant à lui son « Jeudi de l’éloquence » grâce à son mécène et partenaire principal, le Groupe Vinci, qui accompagne depuis plusieurs années la Fondation Insa.
Le Groupe fait aussi appel au média Usbek & Rica, un magazine trimestriel de journalisme de récit, en tant que prestataire pour accompagner les étudiants par la création de corpus pour travailler l’argumentation écrite.
Ynov enfin, qui est un groupe d’enseignement supérieur privé reposant sur les droits de scolarité, finance à ses frais son concours.
Les étapes du concours
Le lancement
À l’Université de Montpellier, le projet iTalks commence tôt dans l’année. Dès le mois d’octobre, l’initiative propose un temps de découverte de la prise de parole à l’occasion d’une soirée de lancement.
« C’est une soirée qui s’adresse à toute la communauté universitaire. Nous l’invitions à rencontrer des comédiens et des metteurs en scène. À l’issue de cette soirée, les étudiants peuvent participer à un atelier d’essai. Et après, ils se décident ou non à franchir le pas », explique Frauke Batbedat.
Tous devaient être capables, le 26 mars 2024, à prendre la parole cinq minutes, sur la thématique de leur choix.
Présélections et finales régionales
Pour le Groupe Ynov et le Groupe Insa, le calendrier se découpe en deux étapes : une présélection locale des candidatures qui débouche sur des finales régionales.
L’Insa Strasbourg a ainsi lancé le concours avec une première finale régionale le 9 novembre 2023, et l’Insa Toulouse l’a conclu, le 14 décembre 2023. La finale nationale s’est déroulée à Paris, le 18 janvier dernier.
Le Groupe Ynov a organisé ses finales régionales dans chaque campus en février, avec une grande finale qui a rendu son verdict le 7 mars. Cet événement a pour particularité de distinguer deux catégories : des finalistes en solo et des duos qui allient leurs voix pour « pitcher » un sujet.
La composition du jury : un choix stratégique
La composition du jury lors de ces concours permet de créer à la fois de la cohésion interne, en impliquant les différents acteurs d’un établissement tout en valorisant les étudiants, et d’entretenir un réseau de partenaires.
Du côté de l’Université de Montpellier, il était important de convier dans le jury des personnels administratifs et des enseignants. Une manière de donner une reconnaissance institutionnelle à l’expérience des étudiants, qui ne fait pas l’objet d’une notation.
La dimension partenariale est aussi prise en compte par le Groupe Ynov, qui invite dans son jury des entreprises accueillant les étudiants en alternance. Parmi eux : la secrétaire générale du groupe TF1 pour les formations audiovisuelles et le commandant de l’école des officiers de la Gendarmerie nationale, que les étudiants Ynov fréquentent pour travailler sur des simulateurs tactiques 3D.
Soigner l’expérience étudiante
Pour avoir des candidats prêts à se jeter à l’eau pour le grand jour, les établissements mettent en œuvre des dispositifs qui stimulent la prise de parole.
Une entrée en matière progressive
L’initiative iTalks s’étend sur près de six mois, ce qui en fait le projet le plus long des trois exemples étudiés par Campus Matin. Après un premier stage de trois jours proposé au début du programme, les futurs orateurs suivent, en novembre, des cours d’écriture avec un dramaturge. Un atelier qui va leur permettre de « raconter une histoire et de structurer un récit », résume Frauke Batdebat.
Une étape qui débouche sur l’écriture d’un premier « speech », prononcé lors d’une soirée durant laquelle les étudiants se présentent devant leurs proches, afin de se familiariser avec l’exercice de prise de parole.
« Lors de la première édition, les étudiants ont trouvé qu’il était très violent de se retrouver dans le noir face à un public en mars sans expérience. Même s’ils avaient travaillé leur texte, c’était trop abrupt. Avec cette étape où ils se préparent justement à l’idée de passer sur scène, et trouver la bonne punchline sur scène, pour que le public revienne », expose Frauke Batdebat.
Les étudiants passent ensuite les trois derniers mois du programme à reprendre les ateliers d’écriture, effectuent un nouveau stage de théâtre de trois jours aux alentours des vacances de février avant d’arriver au concours.
Faire appel (ou pas) à des intervenants extérieurs
Du côté du Groupe Insa, l’accompagnement proposé varie sur les différents campus, avec la finalité d’allier progression des capacités oratoires et la méthodologie du traitement d’un sujet. Certains campus font appel à leurs enseignants, d’autres à des intervenants extérieurs.
Pour accompagner ses 200 inscrits sur 12 campus, le Group Ynov a externalisé son accompagnement en faisant appel à des coachs en écriture et en prise de parole.
L’impact et la suite à donner
Ces concours d’éloquence ont aussi des répercussions positives sur la vie locale. Il n’est pas rare que les candidats soient contactés par des structures et associations. C’est le cas de Samia Rebii, lauréate du concours Insa 2024 et étudiante à Insa Strasbourg : elle a été sollicitée lors de la journée internationale des droits des femmes par le collectif Plurielles, qui œuvre à l’accueil de femmes immigrées à Strasbourg.
À Montpellier, c’est la médiathèque de la ville qui a proposé aux étudiants du programme iTalks de participer à des manifestations au sein de ses murs.
Pour que le projet s’inscrive dans la durée, Ynov entend davantage impliquer ses étudiants. « Les étudiants qui ont participé à cette première édition seront eux-mêmes les ambassadeurs du concours d’éloquence. Nous voulons que ce soit discuté avec eux et qu’ils se l’approprient, qu’ils le portent et que ça devienne un projet de vie étudiante dans chaque campus », conclut Renaud Chenu.
Questions à Samia Rebii, lauréate du concours d’éloquence du Groupe Insa 2024
Que retenez-vous de cette expérience ?
L’avocate et la comédienne qui sont venues nous coacher nous ont appris l’art du jeu, car l’éloquence ce n’est pas juste donner son avis. Dans ces concours, on remarque quand cela sonne faux et quand la personne répète des choses qu’elle a apprises par cœur.
Je ne me suis pas basée sur ce que j’avais lu sur internet, ou ce que l’on avait pu me dire : je suis partie de mon expérience et de mon ressenti. Cela m’a permis de me questionner, d’interroger ma façon de voir les choses, dans ma vie.
Quel conseil donner à un candidat qui hésite à se lancer ?
Ce qui m’a énormément aidé, c’est d’être bien entourée. Je n’aurais jamais été capable de faire ça seule. On m’a soutenu, quand j’avais peur de prendre la parole en public, ou quand j’avais peur de défendre un avis qui n’était pas le mien. J’ai aussi compris que l’important c’était de croire en soi.