« Les inégalités vont se creuser entre bibliothèques universitaires à travers le pays », alerte l’ADBU
Une baisse du budget 2025 de 8 à 33 % pour la moitié des BU, incertitude budgétaire pour les autres dans l’attente des dotations pour leurs établissements de rattachement… et déjà des conséquences palpables pour les étudiants et les enseignants-chercheurs. C’est le constat que dresse Sandrine Gropp, présidente de l’Association des directeurs et des personnels de direction des bibliothèques universitaires (ADBU).

Sandrine Gropp, présidente de l’ADBU et directrice du service commun de documentation de l’Université de Montpellier, évoque le contexte de forte tension budgétaire pour les bibliothèques universitaires, ses conséquences concrètes pour les étudiants et les enseignants-chercheurs, mais aussi la question de l’attractivité du métier de bibliothécaire.
Où en est la situation budgétaire des bibliothèques universitaires en ce mois d’avril 2025 ?
Sandrine Gropp : Nous attendons que chaque établissement connaisse enfin sa dotation de fonctionnement pour pouvoir relancer une enquête sur la base d’informations définitives. Pour l’heure, la moitié des services documentaires sont dans l’incertitude budgétaire, et l’autre moitié voit son budget baisser de 8 à 33 % ; et souvent ce n’est pas la première année de baisse.

Et on constate que les services votés à 25 % [dans le cadre de la loi de finances spéciale votée en décembre 2024] sont absolument incompatibles avec le fonctionnement des bibliothèques universitaires sur le plan du budget. En effet, la majorité de l’engagement budgétaire dans les BU doit se faire en début d’année, notamment pour les abonnements et la documentation électronique. La documentation est le principal poste de dépenses en fonctionnement des bibliothèques et la documentation électronique en particulier.
C’est donc la situation budgétaire de toutes les BU qui est aujourd’hui préoccupante, dans l’attente des dotations définitives de l’État aux établissements d’ESR. En outre, les bibliothèques universitaires ont peu émargé à de grands appels à projets type crédits du PIA. Il serait aussi pertinent que la documentation soit affirmée comme une priorité pour le ministère dans le cadre des contrats d’objectifs de moyens et de performance.
Quelles conséquences concrètes peuvent avoir ces baisses de budgets pour les bibliothèques universitaires ?
Cela se traduit par le fait :
- de ne plus acheter ou de réduire les achats d’ouvrages papier ;
- de se désabonner de ressources électroniques ;
- d’envisager de réduire les horaires et les périodes d’ouverture des bibliothèques.
Tout cela dessine un paysage où les inégalités vont se creuser entre bibliothèques universitaires à travers le pays. Il y a des villes où il continuera à faire bon d’être étudiant et d’autres où ce ne sera plus le cas ; et de même pour les enseignants-chercheurs, même si ces derniers ont un peu plus les moyens de se faire entendre au sein de leur université. Car les bases de données qui coûtent le plus cher sont celles pour la recherche. Cela nécessitera peut-être des arbitrages en fonction des communautés disciplinaires.
Les inégalités vont se creuser
Par ailleurs, on demande aux bibliothèques de remplir de plus en plus un rôle social, avec des BU qui prêtent des objets, qui accueillent des actions en faveur du bien-être étudiant telles des séances de massages et de médiation animale, etc. Si les budgets se révèlent en baisse, ce sont ces actions qui risquent de disparaître en premier.
Qu’en est-il de l’évolution des moyens humains alloués à l’information scientifique et technique en général ?
Sur ce point, nous avons une inquiétude, car le compte n’y est pas entre :
- le nombre de postes offerts aux différents concours de la filière bibliothèque ;
- et celui de postes vacants, ne serait-ce déjà que ceux proposés au mouvement de la filière par les établissements (qui sont donc demandeurs).
Nous allons en effet entrer dans des vagues de départ à la retraite, il y a donc un véritable enjeu sur le renouvellement des professionnels de l’information scientifique et technique de la filière bibliothèque.
Quand un professionnel de l’IST part à la retraite, il n’est pas forcément remplacé.
On constate déjà que, dans certaines d’universités, quand un professionnel de l’IST part à la retraite, il n’est pas forcément remplacé. C’est un souci pour la qualité de l’accompagnement à la recherche et à la science ouverte, notamment pour la gestion des données de la recherche.
Or, nous investissons de plus en plus d’autres services : cahiers de laboratoire électronique, logiciels et codes sources, et pour l’activité de formation, le domaine de la formation aux compétences informationnelles en lien avec les équipes pédagogiques, etc.
C’est donc vraiment une source d’inquiétude. Cela fait partie des points que les directeurs de services documentaires ont fait remonter au ministère lors d’une réunion fin mars 2025. Il y a en effet un enjeu de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences pour la DGRH, pour avoir une vision un peu plus prévisionnelle des emplois, sur laquelle nous sommes prêts à travailler et à échanger.
L’ADBU déploie-t-elle des actions spécifiques pour améliorer l’attractivité du métier de bibliothécaire ?
Nous avons lu avec attention le travail publié par France Stratégie en décembre 2024 sur l’attractivité de la fonction publique et sur les différents leviers qui ne sont pas seulement financiers.
Il y a quelque chose à faire sur la filière bibliothèque notamment, mais aussi sur la filière IST en général. Selon la DGRH, la filière bibliothèque reste sélective et attractive au regard d’autres filières, mais force est de constater qu’on se retrouve avec énormément de postes vacants qui nécessitent de recourir à des contractuels par défaut.
Nous avons donc un travail à accomplir sur l’attractivité du métier et pour mieux communiquer et rendre plus visible ce que sont la réalité et la modernité du travail de bibliothécaires. Ils sont aux avant-postes sur les compétences informationnelles, la lutte contre les fake news et pour la validité de l’information.
Enfin, le métier de bibliothécaire permet d’évoluer vers d’autres fonctions dans la recherche, la formation et le pilotage. Nous souhaiterions donc monter une action spécifique sur l’attractivité et la diversité du métier des bibliothèques.
Plan BU 2030 : l’essai n’est pas encore transformé
Pour Sandrine Gropp, « sur le plan du déploiement du Plan BU 2030, autrement dit à la question de savoir si les acteurs publics s’en sont saisis, l’ont utilisé pour le transformer en action publique : la réponse est clairement non à ce stade. Il faut dire que le contexte budgétaire national n’aide pas. »
Par ailleurs, selon elle, tous les constats dressés dans ce plan restent d’actualité :
• décrochage des moyens financiers par rapport à nos homologues européens,
• nombre de missions en hausse qu’on demande d’assurer aux bibliothèques universitaires, alors qu’elles n’ont pas de moyens supplémentaires,
• enjeux autour de l’évolution des métiers et des compétences,
• toutes les problématiques liées aux bâtiments et ce que cela peut entraîner à la fois en termes de capacité d’accueil, d’animation de vie de campus et de transition écologique et numérique ;
• enjeux autour de l’IA.
« Le plan BU 2030 reste donc pour nous un document de référence et un point d’appui pour continuer à porter un discours pertinent sur les bibliothèques. »