La France peut-elle crier victoire après le classement de Shanghai 2020 ?
Par Théo Haberbusch | Le | Relations extérieures
Les résultats du classement de Shanghai 2020 étaient particulièrement attendus cette année, puisque des universités récemment créées en France devaient y faire leur apparition. Le verdict, tombé comme toujours en pleine torpeur estivale, n’a pas déçu : les Français font bonne figure, meilleure en tout cas que par le passé.
Pour autant, le tableau n’est pas tout rose : des écoles disparaissent du fait de leur regroupement avec des universités et, surtout, la science française décroche.
Le samedi 15 août, en pleines vacances universitaires, nombre de responsables d’établissements n’avaient pas les yeux rivés sur la mer, mais sur… un site internet, celui du désormais fameux classement de Shanghai. Le cru 2020 semble faste pour les Français, puisque six nouveaux établissements figurent dans le top 500.
L’Université Paris Saclay obtient même la 14e place, un résultat « jamais atteint » salué par Emmanuel Macron sur Twitter. La ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal, soulignant pour sa part que la France figure cette année en troisième position dans le top 20. Elle y voyait « une belle reconnaissance internationale pour les nouveaux modèles d’universités que nous avons encouragés. »
Les Français dans Shanghai 2020 : du nouveau !
Les établissements qui permettent à la France de lancer un cocorico, inhabituel, rassemblent en effet chacun plusieurs institutions, dont certaines étaient classées jusqu’en 2019 et disparaissent cette année, permettant au nouvel ensemble de progresser.
- L’Université Paris-Saclay, par exemple, a intégré l’Université Paris-Sud (classée 37e en 2019), CentraleSupélec (601-700), AgroParisTech (701-800) et l’ENS Paris-Saclay (901-1000).
- L’Université PSL à la 36e place, comprend notamment l’ENS Paris (79e en 2019), l’ESPCI (301-400), l’Université Paris Dauphine (301-400) et Mines ParisTech (401-500).
- Autre exemple en région, avec l’Université Grenoble Alpes (99e), qui regroupe Grenoble INP (901-1000 l’an dernier) et l’UGA (101-150).
Ces « nouvelles » universités sont des établissements publics expérimentaux, créés sur la base d’une ordonnance de décembre 2018, imaginée par Frédérique Vidal pour permettre aux écoles (notamment d’ingénieurs) de conserver leur existence juridique, tout en rejoignant une maison-mère universitaire.
Convaincre les responsables des classements
Après de longues négociations locales, des décrets sont venus officialiser la création de ces nouvelles structures, jugées plus conformes au modèle international.
Il a quand même fallu batailler pour que les responsables des classements, en particulier Ying Cheng qui pilote celui de Shanghai, acceptent de reconnaitre leur existence.
Frédérique Vidal a ainsi dû se déplacer en Chine, en janvier, avec une délégation française pour présenter une liste officielle des universités reconnues par le gouvernement.
L’enjeu : démontrer que les « établissements expérimentaux » sont de vraies universités, disposant de toutes les prérogatives de leurs consoeurs dans le monde.
L’enjeu de l’affiliation principale des chercheurs les plus cités
Le nombre de chercheurs les plus cités dans leur discipline représente 20 % de la note donnée à chaque université par le classement de Shanghai. Pour l’établir, seule l’affiliation principale renseignée par les chercheurs est prise en compte.
Une affiliation principale qui est devenue, en France, l’objet d’enjeux politiques, car la plupart des unités de recherche sont mixtes entre universités et organismes de recherche.
Frédérique Vidal, ministre de l’Esri, avait donné le cap, en février 2019, en demandant par courrier que les chercheurs les plus cités des organismes renseignent l’université tutelle de leur laboratoire en première affiliation.
Traduction concrète pour Paris-Saclay, la première université française : elle a notamment pu compter sur l’apport de 13 chercheurs du CEA cette année. « Nous avons eu besoin que la ministre tranche, tout le monde le demandait. Cela a globalement profité à toutes les universités », se réjouit Sylvie Retailleau, sa présidente.
Tout change et rien ne change ?
C’est la question de fond : le bon résultat français est-il dû au simple affichage d’une unité de façade ou témoigne-t-il d’une évolution profonde du paysage ?
« Ce que cette progression des Français prouve, c’est que la qualité de la recherche existait dans les universités françaises et que, par l’effet des regroupements, elle est apparue », estime Gilles Roussel, président de la Conférence des présidents d’université et premier VP de l’Université Gustave Eiffel, qui a fait son entrée entre les rangs 701 et 800.
Alain Fuchs, ancien président du CNRS et aujourd’hui à la tête de PSL, estime que ces nouvelles universités marquent un changement. Il s’agit, assure-t-il, « d’établissements prêts à jouer le jeu d’une stratégie collective, non de se regrouper simplement dans le but de constituer de très gros établissements ».
L’objectif de ces rassemblements « n’était pas d’entrer ou de progresser dans tel ou tel classement, mais de gagner en visibilité et attractivité internationales pour permettre à la France de participer, mieux qu’elle ne le faisait auparavant, à la circulation des cerveaux et des idées qui caractérise l’ESR mondial », souligne-t-il. Et de conclure : « Être dans les classements y contribue. »
Perte de diversité
Reste que, globalement, il y a désormais moins de Français dans le classement de Shanghai (voir encadré). Une perte de diversité qu’annonçait pour la déplorer un rapport récent commandé par la Conférence des directeurs d’écoles françaises d’ingénieurs (Cdefi) avant la parution de l’édition 2020 et révélé par News Tank (abonnés).
« [Avec les établissements expérimentaux], on a troqué du quantitatif contre du qualitatif : quelques meilleures places. Mais qualitativement toujours, plus préoccupant pour la visibilité de la “technologie française“, est qu’il ne reste que… deux écoles d’ingénieurs (l’IP Paris grâce à un réel volontarisme, et l’INP de Toulouse, un peu par défaut) à côté de 24 universités et une ENS », écrivait son auteur, Michel Mudry au printemps 2020.
Un diagnostic encore accentué par la sortie de l’INP Toulouse du classement cette année.
La science française en berne
Si l’on veut voir le verre à moitié plein, cette édition du classement sanctionne une clarification du paysage français traditionnellement éclaté entre écoles, universités et organismes de recherche.
En revanche, ces résultats ne peuvent pas masquer que le pays décroche sur le plan scientifique.
« Dans son ensemble, l’ESR français recule dans le monde, que ce soit en termes de production scientifique, de taux de citation ou de nombre de publications parmi les 1 % les plus citées, par exemple. La France était aux alentours de la quatrième place mondiale, elle est passée cinquième, puis sixième. Le décrochage de la science française est un fait », alerte Alain Fuchs.
Finalement, « il est assez miraculeux que nous obtenions de tels résultats avec le niveau de financement actuel des universités françaises », conclut le président de PSL qui appelle, comme nombre de ses collègues, à un effort budgétaire important à l’occasion de la LPR (loi de programmation pour la recherche), discutée à l’Assemblée nationale à partir de mi-septembre. Or sur ce dossier, pour le moment, les avis convergent pour dire que le compte n’y est pas.
Moins d’établissements dans le classement
Au total, 30 établissements français, contre 35 en 2019, figurent parmi les 1 000 institutions du classement de Shanghai. Un nombre en baisse du fait de la disparition d’écoles désormais intégrées à des universités.
La France est le 10e pays le plus représenté derrière les États-Unis (206 institutions classées), la Chine (144), le Royaume-Uni (65), l’Allemagne (49), l’Italie (46), l’Espagne et le Japon (40), l’Australie (34) et la Corée du Sud (32).