Comment les BU se sont-elles organisées face à la crise Covid-19 ?
Par Marine Dessaux | Le | Stratégies
Des emprunts d’ouvrages deux fois plus importants que lors de la coupure estivale, une avalanche de questions sur les services en ligne, des « drive » à organiser, des centaines de milliers d’ouvrages à faire rentrer… Les BU (bibliothèques universitaires) ont relevé de gros défis en cette période de crise Covid-19 !
Un rush sur les prêts, sans précédent
Avec l’annonce de la fermeture des établissements universitaires le jeudi 12 mars, pour le lundi 16 mars, il a fallu improviser pour se préparer au distance learning. Dans l’urgence et sans idée précise de la durée de cette mesure exceptionnelle, les étudiants se sont rués sur les ouvrages et autres documentations académiques nécessaires les 13 et 14 mars. Un rush sur les prêts sans précédent dans l’histoire universitaire !
Deux fois plus d’ouvrages sortis que pendant la coupure estivale
Marc Martinez, président de l’ADBU (l’Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires) explique que ce phénomène n’a pas fait d’exception et a eu lieu partout en France : « Dans l’ensemble des BU ouvertes, on a observé une tendance à des emprunts massifs le 13 et 14 mars. Par rapport à une coupure estivale normale, deux fois plus d’ouvrages sont sortis. A l’échelle nationale, pour une centaine de BU, on approche le million d’ouvrages dans la nature ».
Comment expliquer de tels chiffres ?
Pour Gaëlenn Gouret, responsable du Département Numérique de l’UBO (Université de Bretagne Occidentale) et membre de l’ADBU, « le ‘rush sur les prêts’ comporte sans doute deux facteurs : d’une part, les étudiants sont venus spontanément pour faire le plein avant la fermeture ; et de l’autre, les BU ont favorisé ce rush en permettant d’emprunter un grand nombre de documents. Nous n’avons pas de statistiques exactes sur le nombre de BU qui ont mis en place le prêt illimité, mais au vu des échos que j’ai pu avoir au sein de la profession, cela a été le cas dans de nombreuses BU. Nous avons tous agi spontanément, sans nous concerter, car nous savions tous que la fermeture allait être pénalisante pour les étudiants. Nous avons tous eu le même réflexe ! ».
Si le prêt illimité n’a pas été la règle universelle, partout les conditions d’emprunt se sont assouplies, confirme Marc Martinez : « Les BU se sont adaptées aux circonstances, parfois elles permettaient d’emprunter en illimité, parfois le double de qui était habituellement autorisé, en tout cas, le nombre d’ouvrages retirables a été élargi quasiment partout à quelques exceptions près, par exemple à Lyon 3, qui est resté à 20 documents par usager, ce qui est déjà beaucoup. Quel que soit l’endroit, la priorité a été de s’assurer que tous repartent avec la documentation nécessaire pour une période indéterminée. Il s’agissait d’être compréhensif et non de chercher à appliquer bêtement le règlement ».
Dans ce sens, les pénalités de retard ont sauté et les dates de retours ont été fixées, par exemple, au 15 septembre à Lyon 3.
Des chiffres spectaculaires !
Pour les BU de l’Université de Bretagne Occidentale, les statistiques de prêts ont atteint des records : ils ont été multipliés par 10. Soit 7 180 prêts et 2 750 prolongations sur les 2 journées des 13 et 14 mars.
A titre de comparaison :
• le week-end précédent (6 et 7 mars 2020) : 700 prêts + 130 prolongations
• l’an dernier à la même époque (15 et 16 mars 2019) : 800 prêts + 120 prolongations
A Paris II, on enregistre 7 000 documents empruntés en l’espace de deux jours.
Au Mans, les chiffres sont également impressionnants avec + 439 % de prêts pour la bibliothèque du Mans les vendredi 13 et samedi 14 mars (comparé à la même période l’année précédente) soit 2 500 emprunts en deux jours et + 160 % de prêts le vendredi 13 mars pour la bibliothèque de Laval, avec toujours des prêts en nombre et à durée illimités. C’est peu dire que le service de la BU n’a pas chômé !
Ouverture exceptionnelle des ressources en ligne
Grâce aux offres des éditeurs, les abonnements en cours ont été étendus exceptionnellement et gratuitement à de nouveaux bouquets : Cairn, Cyberlibris, Numérique premium, Dalloz, Jstor, Brepols, Taylor & Francis, Cambridge University Press… Au Mans, plus de 68 000 titres de e-books ont ainsi été ajoutés aux collections ainsi que de nombreux titres de revues académiques électroniques. D’autres éditeurs (Europresse, ENI) ont étendu gracieusement le nombre d’accès simultanés offerts à leurs plateformes.
« Le consortium Couperin a recensé les propositions des éditeurs, et de nombreuses BU ont ouvert des pages dédiées pour signaler ces accès au public. La liste varie d’une BU à l’autre, puisque certaines facilités d’accès n’ont été ouvertes qu’aux établissements déjà abonnés », indique Gaëlenn Gouret.
Les bibliothécaires sur le pied de guerre
Gaëlenn Gouret revient sur les priorités des bibliothécaires pendant la crise :
« Avec la fermeture des BU, la priorité a été de communiquer avec le public sur cette fermeture et les services disponibles en ligne, et de renforcer nos services en ligne. »
Sans accès à la documentation imprimée, l’accès à la documentation numérique est devenu crucial. « La profession s’est mobilisée pour obtenir des facilités de la part des éditeurs, qui ont ouvert des accès supplémentaires le temps du confinement. Les bibliothécaires en charge de la documentation électronique ont alors eu beaucoup de travail pour répertorier ces nouveaux accès et les mettre en place sur le plan technique. Au quotidien, concrètement, c’est beaucoup d’échanges de mails avec les éditeurs d’un côté (souvent en anglais), et avec le service informatique de l’Université de l’autre, et le paramétrage de nos outils d’accès aux ressources. Les BU ont ouvert des pages dédiées pour signaler ces accès au public. »
Ensuite, il y a l’assistance directe aux usagers : « Des questions nous parviennent via nos pages Facebook ou nos adresses mail. Depuis le début du confinement, nous en avons beaucoup plus que d’habitude : ordinairement, beaucoup de questions nous sont posées par les étudiants de visu, lors de leur passage à la BU ; le contexte particulier a engendré beaucoup de demandes d’aide pour trouver des documents en ligne. Depuis l’annonce du déconfinement, c’est beaucoup d’interrogations sur la réouverture des BU. »
Enfin, il y a tout le travail interne qui continue.
« Par exemple, dans les BU de l’UBO, le chantier de réinformatisation pour changer de SIGB (le logiciel qui sert à gérer les documents, les usagers et les prêts) se poursuit en télétravail, mais aussi du travail quotidien de préparation des prochaines commandes de livres, le soutien aux chercheurs sur l’archive ouverte HAL, la préparation du futur »Guide du lecteur« , etc. »
Une communication renforcée sur les services en ligne qui explosent
Le service de la BU du Mans publie régulièrement des informations sur le blog et les réseaux sociaux pour valoriser cette offre documentaire exceptionnelle et continuer à informer les usagers de l’actualité du service.
Mais aussi, le renseignement avancé a pu être maintenu notamment grâce au service de renseignement en ligne Ubib, porté par un réseau de BU dans toute la France et auquel le SCD du Mans participe depuis l’origine. Les usagers sont encouragés à solliciter de l’aide pour un accompagnement des recherches documentaires ; ils peuvent obtenir un « RDV documentaire » avec un bibliothécaire.
beaucoup de sollicitations qui ne sont pas forcément plus chronophages
A l’UBO, le nombre de questions posées via différents médiums a explosé : entre 3 et 4 fois plus de messages ont été reçus. « Les étudiants peuvent nous contacter via Facebook, Twitter, notre site web et une adresse mail centrale. Nous avons communiqué sur le maintien des services en ligne et les nouvelles ressources numériques disponibles pendant le confinement, et notre priorité a été de répondre de façon individualisée aux demandes des usagers. Nous avons été beaucoup sollicités sur ces différents canaux, plus que d’habitude, mais en temps normal, cela correspondrait à notre travail d’accueil, donc ce n’est pas forcément plus chronophage », souligne Gaëlenn Gouret.
Fréquentation jusqu’à x8
Marc Martinez parle d’une activité en ligne transformée et renforcée partout en France : « Les service de questions-réponses et de référence en ligne ont explosé avec une fréquentation augmentant jusqu’à x8. Du 16 mars jusqu’à fin avril, la consultation de ressources numériques a été si importante qu’elle a atteint le niveau de l’année passée ». Les chantiers des BU pendant le confinement ont été multiples : soutien aux étudiants, formations en ligne, appui à la recherche par des accès à la documentation, plans de gestion des données, appuis de demandes de financements et même, un mouvement parti de la BU de Strasbourg : la remise de masques habituellement réservés aux travaux de conservation, aux hôpitaux.
Des formations à la carte, en visio et vidéo
Pendant le confinement, étudiants et enseignants-chercheurs peuvent bénéficier d’ateliers de formation individuels à la carte et en visioconférence pour se former aux méthodes, outils et ressources de la recherche documentaire et gagner en autonomie. C’est le cas notamment au Mans mais aussi dans de nombreuses autres BU, selon leurs propres initiatives, en France.
Ces modules de formation ne sont cependant pas repris de BU en BU car ils ne sont pas forcément adaptés aux fonctionnements internes tous différents : « Dans ma BU, nous n’avons pas mis en place de formation en ligne spécifique et nous n’avons pas profité de ce qui avait été fait ailleurs », témoigne Gaëlenn Gouret.« Si nous échangeons beaucoup au sein de la profession, nous ne pouvons pas ré-utiliser ce type de vidéos tel quel car les interfaces et les outils ne sont pas tout à fait les mêmes ».
Des initiatives qui correspondent au plan de continuité de l’activité de certaines BU mais ne sont pas encore dans le viseur de l’UBO : « La priorité aujourd’hui, c’est de continuer les chantiers internes et de répondre aux questions », précise Gaëlenn Gouret.