Vie des campus

Printemps orageux à Sciences Po

Par Marine Dessaux | Le | Stratégies

Les crises s’enchaînent à Sciences Po Paris : accusations d’antisémitisme lors d’un événement pro-Palestine, démission du directeur Mathias Vicherat renvoyé devant le tribunal correctionnel pour violences conjugales présumées… Autant de sujets auxquels va devoir faire face l’administrateur provisoire, Jean Bassères.

Jean Bassères devra assurer le retour au calme jusqu’à la nomination du prochain directeur de l’IEP. - © Martin Argyroglo/Sciences Po
Jean Bassères devra assurer le retour au calme jusqu’à la nomination du prochain directeur de l’IEP. - © Martin Argyroglo/Sciences Po

Sciences Po Paris a un administrateur provisoire depuis le 27 mars 2024. C’est l’ancien directeur général de Pôle emploi (aujourd’hui France travail), Jean Bassères, qui reprend les rênes de l’institut d’études politiques (IEP) après la démission de Mathias Vicherat. Ce dernier a annoncé quitter son poste, dans un courrier interne le 13 mars, après avoir appris qu’il était renvoyé devant le tribunal correctionnel avec sa compagne pour violences conjugales présumées. 

Une prise de fonctions dans un contexte perturbé par des accusations de propos et faits antisémites, en marge d’un événement pro-Palestine au sein de l’établissement, qui ont amené le Gouvernement à réagir. Synthèse.

Une nouvelle démission dans la tourmente à la direction de Sciences Po

Mathias Vicherat annonce son départ trois ans après la démission de Frédéric Mion, directeur de Sciences Po Paris de mars 2013 à février 2021, dans le cadre de l’affaire d’inceste impliquant le président de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), Olivier Duhamel. 

Mathias Vicherat a été nommé directeur de Sciences Po Paris en novembre 2021. - © D.R.
Mathias Vicherat a été nommé directeur de Sciences Po Paris en novembre 2021. - © D.R.

Il se retire trois mois après que sa compagne et lui eurent été placés en garde à vue pour violences conjugales présumées, dans la matinée du 3 décembre 2023. Face au tollé interne, le directeur de l’IEP avait d’abord proposé une période de mise en retrait qui avait pris fin le 29 janvier 2024.

Son retour avait été marqué par une mobilisation d’étudiants sur différents campus. C’est finalement en apprenant son renvoi devant le tribunal correctionnel qu’il a décidé de quitter définitivement son poste, afin de « préserver l’institution », selon ses mots. 

Celui qui annonçait, parmi ses orientations stratégiques en janvier 2022, la mise en place d’un dispositif d’écoute externalisé dédié aux violences sexistes et sexuelles (VSS) avec l’association France victimes, continue à « contester les accusations de violences formulées et diffusées » à son égard.

Un projet de recherche sur les VSS commun à l’Université Paris Cité et Sciences Po

L’Université Paris Cité et Sciences Po Paris annoncent les 22 mars s’associer pour un projet de recherche commun sur les violences sexistes et sexuelles. Du 25 mars au 05 mai, l’ensemble des étudiants et doctorants des deux établissements, soit 82 000 personnes, recevront un questionnaire par mail, auquel ils pourront répondre de manière anonyme. 

Cette démarche s’inscrit dans le projet de recherche Safeduc qui vise à établir « un panorama du nombre et du type de violences vécues [par les étudiants] ». Les résultats seront restitués début 2025.

L’ancien directeur de Pôle emploi chargé d’assurer « le retour à la sérénité des débats »

C’est lui qui avait présidé la commission chargée de préfigurer la réforme de l’Institut national du service public (ancienne École nationale d’administration) : Jean Bassères est désormais à la manœuvre à Sciences Po depuis le 27 mars, en attendant la nomination du prochain directeur.

Il aura fallu deux semaines pour trouver un profil capable de répondre aux enjeux politiques et universitaires de l’institution. Une décision de Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, « en accord avec Laurence Bertrand Dorléac, présidente de la FNSP », qui a sûrement dû obtenir l’aval de Matignon, voire de l’Élysée. Car quand il s’agit de l’établissement parisien, chaque décision est suivie de près par le Gouvernement et les médias.

Jean Bassères veillera au bon déroulement de la procédure de nomination du prochain directeur de l’IEP. - © DR.
Jean Bassères veillera au bon déroulement de la procédure de nomination du prochain directeur de l’IEP. - © DR.

Diplômé de Sciences Po Paris, inspecteur général des finances et ancien directeur général de Pôle Emploi, il dispose d’une longue expérience « au service de l’État et dans la conduite de l’action publique », indique le ministère.

Jean Bassères devra notamment mettre en œuvre des actions pour « garantir le respect des principes et valeurs de la République et assurer le retour à la sérénité des débats à Sciences Po Paris ».

Une référence à un événement organisé par un collectif d’étudiants sur le campus parisien de l’IEP, à l’occasion de la journée de mobilisation universitaire européenne pour la Palestine, et en marge duquel des faits à caractère antisémite ont été signalés.

Occupation de l’amphithéâtre Boutmy : le déroulé des événements selon Sciences Po

Le 12 mars, 8 heures, « une soixantaine d’étudiants, sans demande ni autorisation préalable, entrent dans l’amphithéâtre Émile Boutmy et l’occupent », raconte Laurence Bertrand Dorléac convoquée dans l’urgence par la commission culture et éducation du Sénat, le 20 mars.

Laurence Bertrand Dorléac a été interrogée par la commission culture éducation du Sénat, le 20 mars. - © D.R.
Laurence Bertrand Dorléac a été interrogée par la commission culture éducation du Sénat, le 20 mars. - © D.R.

Elle fait état de discours agressifs envers une étudiante de l’Union des étudiants juifs de France, interdite d’accès à un amphi : « Les versions diffèrent, mais il est certain que l’enquête devra faire la lumière sur les faits, sur les raisons pour lesquelles cette jeune femme a été empêchée d’entrer. »

La direction de l’établissement a pris des mesures appropriées, assure-t-elle devant les sénateurs : « Portes ouvertes de force, pour permettre à tous les étudiants et étudiantes d’entrer, micro et visio coupés, drapeaux et banderoles enlevés aux étages. »

Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR) et l’établissement ont saisi le Procureur de la République. La cellule d’enquête de l’IEP a également été saisie et une enquête administrative a été ouverte. « Désormais, plus d’une vingtaine d’auditions ont été prévues », précise Laurence Bertrand Dorléac.

Visite de Gabriel Attal et saisines au Procureur de la République

« Nous serons intraitables à toutes les dérives, notamment les dérives antisémites  », a déclaré Gabriel Attal. - © D.R.
« Nous serons intraitables à toutes les dérives, notamment les dérives antisémites  », a déclaré Gabriel Attal. - © D.R.

Au lendemain de l’occupation, le Premier ministre, Gabriel Attal, s’est invité au conseil d’administration de Sciences Po Paris. Une « visite inopinée », selon les doyens des écoles, directeurs des centres de recherche et départements de Sciences Po et membres élus de la faculté permanente du conseil d’administration (CA) de la FNSP. Ils dénoncent dans un courrier une tentative d’ingérence, sensation renforcée par des allusions à une possible « reprise en main de l’établissement » par le Gouvernement.

Si cette intervention a heurté une partie du monde universitaire (mais sans provoquer de réaction officielle, de France Universités), le Premier ministre a insisté sur son bien-fondé.

« L’autonomie de l’enseignement supérieur ce n’est pas et ce ne sera jamais une autonomie des valeurs républicaines. Depuis des années maintenant, à Sciences Po comme dans d’autres établissements, des débordements scandaleux se sont multipliés du fait d’une minorité agissante et dangereuse », a-t-il déclaré lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, le 19 mars.

Quel sera le profil du prochain directeur de l’IEP ?

Lors de la précédente campagne pour la direction de Sciences Po, et dans un contexte déjà marqué par les crises, les candidats universitaires avaient été écartés.

Christine Musselin, ancien directrice de la recherche et membre du Centre de sociologie des organisation de l’IEP, Anne-Sophie Barthez, directrice générale de l’enseignement supérieur au ministère, Olivier Faron, alors administrateur du Cnam et aujourd’hui recteur, et Pierre-Paul Zalio, directeur de l’ENS Paris-Saclay et à présent à la tête du Campus Condorcet, ne se lanceront sûrement pas à nouveau, échaudés par leur expérience ou bien installés dans leurs fonctions actuelles.

Fine connaisseuse de l’établissement, Bénédicte Durand, qui avait été administratrice provisoire après le départ de Frédéric Mion, mais dont la candidature avait été écartée au profit de celle Mathias Vicherat, préside désormais le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous)… Elle n’est donc plus en lice.

Le chantier s’avère de taille pour Jean Bassères qui doit préparer une succession apaisée dans un établissement -  à la fois école de l’élite politique et université de taille moyenne — qui ne connaît pas de trêve !