Super ministère, Philippe Baptiste, budget, IA… que retenir du gouvernement Bayrou pour l’ESR ?
Par Isabelle Cormaty | Le | Stratégies
Après l’adoption d’une motion de censure contre le gouvernement de Michel Barnier le 4 décembre, l’Elysée a dévoilé le 23 décembre la composition de l’équipe ministérielle du nouveau Premier ministre, François Bayrou. Désormais rattaché à l’éducation nationale, le nouveau périmètre du ministère de l’ESR n’a pas manqué de faire réagir les acteurs de l’écosystème, dans un contexte de relations tendues à l’occasion de la négociation du budget 2025.
L’ESR, désormais rattaché au sein d’un grand ministère de l’éducation nationale
C’est donc Élisabeth Borne, une ancienne Première ministre et députée du parti présidentiel Ensemble pour la République, qui succède à Anne Genetet à la tête de l’éducation nationale. Elle figure en deuxième position dans l’ordre protocolaire, derrière le Premier ministre François Bayrou et hérite d’un ministère d’État comprenant également l’enseignement supérieur et la recherche, confiés à Philippe Baptiste.
Lors sa prise de fonction le 24 décembre, celle qui fut surnommée « Madame 49.3 » par plusieurs syndicats a souhaité rassurer les acteurs de l’écosystème.
« J’apporterai mon expérience, ma vision transversale, ma capacité à défendre les budgets et à arbitrer. Et je compte bien m’appuyer sur le large champ de compétences qui m’est confié pour faciliter les coopérations et les synergies », a-t-elle expliqué.
Un grand ministère qui inquiète les syndicats de l’ESR
Dans un communiqué du 24 décembre, la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (Cdefi) « déplore que le MESR n’ait pas de ministre de plein exercice. Les établissements d’enseignement supérieur et de recherche font face à des difficultés inédites par leur ampleur et leur nombre. Dans ce contexte, bénéficier d’un ministère dédié, fort et disposant des ressources, de la vision et des capacités d’action nécessaires reste essentiel pour impulser et opérer efficacement une nouvelle stratégie ambitieuse qui s’impose. »
Un avis partagé par des syndicats du supérieur. « Nous craignons que l’enseignement supérieur et la recherche ne deviennent les variables d’ajustement du grand ministère dans lequel il est noyé, et plus globalement, dans le budget de la nation », indique ainsi Sup’Recherche-Unsa.
Un bon connaisseur des arcanes ministérielles précise toutefois à Campus Matin que le ministre en charge de l’ESR n’est pas un « simple » ministre délégué. Une position qui lui permet d’assister à tous les conseils des ministres et ainsi de faire passer des messages au chef de l’État et à ses collègues du gouvernement de manière hebdomadaire.
Pour le SNPTES-Unsa, « l’urgence est budgétaire et non pas structurelle ». C’est pourquoi le syndicat « exige également un moratoire sur tous les projets de réformes en cours et notamment l’acte II de l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur ».
De l’espace au Gouvernement, qui est le nouveau ministre délégué à l’ESR ?
Après deux présidentes d’université (Frédérique Vidal et Sylvie Retailleau) et le bref passage du député LR Patrick Hetzel, universitaire et ancien Dgesip, c’est cette fois un président d’organisme de recherche, Philippe Baptiste qui a été choisi pour occuper le ministère en charge de l’ESR.
Le troisième locataire de la rue Descartes en moins d’un an était président du Centre national d’études spatiales (Cnes) depuis avril 2021. Il a effectué toute sa carrière dans l’écosystème.
Ingénieur diplômé des Mines Nancy et titulaire d’un doctorat de l’Université technologie de Compiègne, il est spécialiste d’algorithmique, d’optimisation combinatoire, de recherche opérationnelle et d’intelligence artificielle.
Philippe Baptiste mène d’abord une carrière académique comme chercheur au CNRS, au Watson Research Center d’IBM, et comme professeur chargé de cours à l’École polytechnique. Il a notamment dirigé le laboratoire d’informatique de l’École polytechnique.
Un chercheur passé par le privé et les cabinets ministériels
En 2014, il devient directeur général délégué à la science du CNRS. En parallèle, il participe à la création et au développement de plusieurs start-up. Il rejoint le groupe Total en 2016 comme directeur scientifique puis directeur de la technologie.
Le chercheur a aussi exercé dans plusieurs ministères : directeur de cabinet de la ministre de Frédérique Vidal de mai 2017 à avril 2019, puis conseiller éducation, enseignement supérieur, jeunesse et sports jusqu’en 2020 du Premier ministre d’alors, Édouard Philippe.
Durant cette période, il a notamment supervisé la loi Orientation et réussite des étudiants (ORE), la mise en place de Parcoursup, et l’élaboration de la Loi de programmation de la recherche.
« Je suis un chercheur, d’abord et avant tout », les premiers mots de Philippe Baptiste
« Je suis un chercheur, d’abord et avant tout; j’ai passé parmi les plus belles de ma vie dans des laboratoires à Compiègne, aux États-Unis, en Australie et à l’X. J’ai aimé passionnément la recherche, j’ai beaucoup publié, des articles, des ouvrages scientifiques, et si j’ai, depuis lors, pris des responsabilités collectives, c’est parce que j’ai la conviction que la recherche doit être portée et défendue dans la société. »
Comme Sylvie Retailleau l’avait fait avant lui, Philippe Baptiste a tenu à rappeler lors de la passation de pouvoirs le 24 décembre son statut de chercheur. Il a aussi évoqué l’un des principaux sujets de préoccupations des établissements du supérieur : la répartition du budget 2025 et les efforts financiers demandés aux structures publiques.
« Je sais que de nombreux établissements sont dans une situation budgétaire tendue. Il nous faut, c’est certain, faire des choix et établir des priorités dans chaque établissement. Il nous faut aussi démontrer et expliquer, sans relâche, que la recherche et l’enseignement supérieur sont partie intégrante de l’avenir du pays », a souligné Philippe Baptiste pour sa première prise de parole.
« Nous devons aux jeunes étudiants de travailler sur leurs conditions d’étude, sur la manière dont ils les financent. Comme l’a souligné Élisabeth Borne, nous devons aussi faire preuve d’exigence. L’innovation et la recherche progressent par la rigueur, par l’évaluation constante de nos résultats et par la remise en question des pratiques. »
« Nous devons nous attaquer sans tarder aux défis qui sont les nôtres : des inégalités sociales territoriales dans l’accès et les parcours dans l’enseignement supérieur, des résultats parfois insuffisants dans certaines disciplines, une recherche trop souvent éclatée et difficile à coordonner » a-t-il encore cité.
L’IA et le numérique de nouveau rattachés à Bercy
La secrétaire d’État à l’IA et numérique Clara Chappaz, rattachée au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche dans le gouvernement Barnier conserve son poste… mais rejoint le giron de Bercy.
Elle est désormais ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du numérique auprès d’Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
« Je m’étais battu pour le rattachement de son secrétariat d’État au MESR. Ce n’était pas une simple coquetterie. Lorsqu’on regarde l’ensemble de la chaîne de valeur de l’IA, on constate qu’il faut la remonter. Si on veut franchir un nouveau saut, cela passera par la recherche », a déclaré Patrick Hetzel lors de sa passation de pouvoirs.
Clara Chappaz va poursuivre l’organisation à Paris du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle. Il réunira au Grand Palais les 10 et 11 février chefs d’État et de gouvernements, dirigeants d’organisations internationales, de petites et grandes entreprises, représentants du monde universitaire, chercheurs, organisations non-gouvernementales, artistes et la société civile.