Universités en danger : une mobilisation inédite des présidents
Par Marine Dessaux | Le | Stratégies
De nombreux présidents d’université se sont mobilisés le mardi 3 décembre, pour dénoncer des conditions financières de plus en plus contraintes. Alors que le ministre de l’ESR, Patrick Hetzel, désormais démissionnaire avec la chute du gouvernement Barnier, les invitait à piocher dans leur trésorerie et qu’un décret pour plus de souplesse dans la gestion financière a été publié, celles et ceux à la tête de ces institutions expliquent pourquoi ces solutions ne suffisent pas.
« Nos universités sont en danger ! » Ce slogan a marqué une mobilisation inédite dans l’enseignement supérieur : celle des présidents d’université, le 3 décembre. Au cœur du problème, la difficulté à construire leur budget 2025 alors que le relèvement du compte d’affectation spéciale (CAS) Pensions ne sera pas compensé par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR). Une charge supplémentaire qui s’ajoute à d’autres : les mesures salariales dites Guerini de 2023 et 2024, pas entièrement compensées, ou les coûts énergétiques.
Le MESR estime demander « un effort budgétaire de l’ordre de 350 millions d’euros aux établissements d’enseignement supérieur, représentant environ 3 % du budget cumulé des universités ». Un poids trop lourd à porter, selon les présidents d’université.
Plusieurs établissements ont participé à la journée de mobilisation avec des modes d’action variés. Une quinzaine de présidents d’université ou d’établissements majoritairement franciliens se sont réunis à Sorbonne Université et ont été rejoints par une trentaine de leurs homologues en visioconférence.
Une trésorerie mal comprise au cœur des tensions
Pour financer les mesures non compensées par le projet de loi de finances 2025, le Gouvernement renvoie les universités à leur trésorerie. Des fonds disponibles estimés à 5,7 milliards d’euros par le MESR.
Celui-ci a d’ailleurs publié les chiffres relatifs à la situation financière des universités à fin 2024 « dans un souci de transparence et pour favoriser un dialogue objectif ».
« Cette trésorerie n’est pas disponible pour nos dépenses courantes, alerte Édouard Kaminski, président de l’Université Paris Cité. Elle est gagée à plus de 70 % sur des projets de recherche et pour le financement de projets immobiliers ou d’investissement. »
Nathalie Drach-Temam, présidente de Sorbonne Université et vice-présidente de l’alliance de treize universités françaises, Udice, souligne : « L’utilisation de chaque centime [tiré des budgets de recherche] doit être justifiée, et si nous ne respectons pas les conditions des projets européens, de l’Agence nationale pour la recherche, ou régionaux, l’argent nous est repris. »
Un contexte budgétaire de plus en plus difficile
Entre crise énergétique et non-compensation des mesures Guerini, les universités faisaient déjà face à un contexte difficile. « L’Université Côte d’Azur fait face à un surcoût cumulé de 15 à 16 millions d’euros », chiffre par exemple Jeanick Brisswalter, président de l’établissement, lors d’une conférence de presse le 3 décembre.
Résultat : elles doivent piocher dans leurs réserves quitte à faire une croix sur de futurs investissements ou travaux. « Chaque année, nous faisons face à une baisse des financements, similaire à la métaphore du changement climatique. La marmite financière des établissements se réchauffe, ce qui engendre des fermetures de formations et des gels de postes », alerte Gilles Roussel, président de l’Université Gustave Eiffel et ancien président de France Université.
Pour Carine Bernault, présidente de Nantes Université et de l’association des I-site l’Initiative, il y a « un chiffre à retenir : depuis 2017, la dépense publique par étudiant en euros constants a baissé de 15 % ».
Différents types d’actions sur les campus
En plus d’une réunion parisienne, la mobilisation prend corps sur les campus. Les universités Côte d’Azur et de Rennes 2 ont organisé des assemblées générales, beaucoup ont donné des conférences de presse, dont certaines communes, comme à Lyon entre l’université Lyon 2 et l’ENS.
Les universités de Lille et Reims ont suspendu leurs enseignements. « Nous avons voulu montrer aux pouvoirs publics et à nos partenaires locaux, ce que serait une métropole sans université. C’est pourquoi nous nous retrouvons sur un trottoir, devant le siège de l’université, pour dire “ça suffit !” », déclare Régis Bordet, président de l’Université de Lille, lors d’un point presse, le 3 décembre.
À l’Université de Bretagne occidentale, « toutes les sirènes incendie de l’établissement ont sonné à 11 h 29, avec invitation à se rassembler sur les parvis pour un débrayage de 31 minutes », indique l’université. À Orléans, où se tiennent les élections pour les conseils, Éric Blond, le président, a choisi de se mettre symboliquement en grève : en ne signant aucun document et ne répondant à aucune sollicitation.
En ligne, une pétition « Budget 2025 : Nos universités en danger ! » a été lancée par l’Université Reims Champagne Ardennes. Elle compte, au 4 décembre, près de 6 400 signatures.
Les propositions des présidents d’université pour dégager du budget
Pour Édouard Kaminski, trouver des fonds au sein des universités reviendrait à « accepter de faire des choix douloureux comme la suppression de formations. Pire encore, l’augmentation des frais d’inscription. Nous refusons de faire payer à nos étudiants la situation ».
Les présidents d’université réunis à Paris le 3 décembre avancent néanmoins comme solution budgétaire la réorientation de 0,5 % du crédit impôt recherche, « part que l’inspection des finances dénonçait comme mal utilisée ».
Lors de la rencontre avec Patrick Hetzel du 21 novembre, les dix présidents présents ont également suggéré d’utiliser les crédits de France 2030 pas encore consommés qui pourraient servir de levier pour traverser cette période difficile. Et de mettre à contribution l’enseignement privé “trop lucratif ” qui capte des crédits d’apprentissage.
Une réforme du système d’allocation des moyens aux universités annoncée
Toujours en cette journée de mobilisation, Patrick Hetzel a annoncé engager une réforme du système d’allocation des moyens aux universités au premier semestre 2025, « avec une application prévue pour 2026 ». Avec, derrière, l’idée de mieux répartir les ressources pour compenser les disparités entre universités, ce que certaines - les moins dotées - réclament.
Par ailleurs, un décret visant à introduire plus de souplesse et à simplifier la gestion financière des établissements d’enseignement supérieur a été publié au Journal officiel le 4 décembre. Il était en préparation depuis plusieurs mois, engagé sous le ministère de Sylvie Retailleau.
Une réponse insatisfaisante pour Virginie Dupont, présidente de l’Université Bretagne Sud et vice-présidente de France Universités : « Cela ne fait que compenser des éléments pour lesquels nous n’avons pas vocation à compenser. »
S’il ne change pas de ligne, le MESR indique qu’il tiendra compte des situations particulières : « Une dizaine d’établissements pourraient, néanmoins, rencontrer des difficultés financières accrues en raison de leur vulnérabilité à des charges supplémentaires. La situation des établissements concernés par des difficultés sera examinée de manière détaillée. Le cas échéant, des interventions financières ciblées seront effectuées en temps utile. »
Un changement de Gouvernement rebattra-t-il les cartes ?
Alors que le Gouvernement a fait face à une motion de censure, le 4 décembre, et que Michel Barnier a présenté sa démission au président de la République, le lendemain à 10h, les présidents d’université doivent se préparer à recommencer les négociations…
« Nous commencions à être écoutés par l’ancien gouvernement. Là on est reparti à zéro. Mais s’il y a un autre gouvernement, notre discours ne changera pas », indiquait Régis Bordet lors de la journée de manifestation.
Entre-temps, une réunion était prévue entre les présidents d’universités et Patrick Hetzel, le 4 décembre au matin.