5 clés pour une relation sereine entre directeur de thèse et doctorant
Par Marine Dessaux | Le | Doctorat
La relation entre doctorant et directeur de thèse constitue un pilier central du parcours doctoral. Pour le premier, cette période correspond à un changement de statut et un défi inédit; pour le second, à un engagement important et chronophage. Ce lien, qui se tisse au fil de trois années, peut devenir source de tensions, voire mener à l’échec. Voici cinq conseils pour éviter ces écueils.
« Une bonne relation entre directeur de thèse et doctorant rendra le travail de thèse plus fluide : c’est l’une des clés du succès », estime Sohrab Faramarzi Oghan, professeur assistant en gestion de la chaîne d’approvisionnement et des opérations à Rennes school of business et directeur d’une thèse pour la première fois depuis 2023.
Avec deux autres directeurs de thèse et un doctorant, il puise dans son expérience pour distinguer les éléments clés pour un rapport serein tout au long de la thèse.
1. Échanger avant de s’engager
Antoine Altieri, doctorant en histoire et histoire de l’art à l’École pratique des hautes études (EPHE - PSL), a commencé sa thèse en décembre 2023. Il attribue sa bonne relation avec ses directeurs de thèse au fait d’avoir pris le temps de les connaître en amont.
« J’avais fait mon mémoire de master sous la direction Laurent Hablot (EPHE-PSL) et j’avais déjà posé des questions à Patrick Boucheron (Collège de France) avant le début de la thèse. Dès le départ, je leur ai demandé d’échanger pour connaître leurs attentes. Alors que de nombreux doctorants ne rencontrent leur directeur qu’après leur inscription, j’ai eu trois ou quatre entretiens préalables », retrace-t-il.
Gaëlle Deharo, professeure en droit privé à l’ESCE business school, trouve également important que le doctorant se tourne vers un directeur de thèse en qui il a déjà confiance. « Il ne faut pas hésiter à prendre plusieurs rendez-vous, à proposer plusieurs projets avant d’entamer la thèse. Prendre un café avec son directeur de thèse est également une bonne idée. Une bonne relation humaine et scientifique est essentielle. Il faut garder à l’esprit qu’elle va s’inscrire dans la durée. »
Pour Reza Zanjirani-Farahani, professeur en gestion de la chaîne d’approvisionnement et des systèmes d’information à Rennes SB qui supervise des thèses depuis 2003, le choix du directeur de thèse est même l’élément qui compte le plus lorsqu’il s’agit de s’engager dans un doctorat. « Choisissez la personne avant le sujet ! », préconise-t-il.
Il liste d’ailleurs quatre attributs essentiels d’un bon directeur de thèse : ponctuel, compétent, disponible et bienveillant. « Un bon moyen de savoir si un enseignant-chercheur possède ces qualités est de parler à d’anciens doctorants qu’il a dirigés. »
Un conseil bénéfique dans les deux sens : « J’ai eu des doctorants brillants, mais avec un mauvais comportement. Nous n’avons pas réussi à aller aussi loin dans la collaboration qu’avec d’autres qui avaient un moins bon niveau académique, mais une meilleure attitude », explique le professeur.
2. Clarifier les attendus
« Je vois le parcours doctoral comme un projet de recherche avec des objectifs à aligner, incluant des tâches, des étapes clés et un calendrier précis. Notre groupe de discussion [avec Sohrab Faramarzi Oghan et un doctorant qu’ils co-dirigent] s’appelle d’ailleurs “The Beautiful Journey” ! Un voyage où chacun a des devoirs et responsabilités. Les directeurs de thèse apportent leur expertise et des retours constructifs, mais le doctorant a un rôle majeur : celui de mener ses recherches et de découvrir de nouvelles choses », expose Reza Zanjirani-Farahani.
Tout au long de ce parcours, il est important que chacun connaisse ses responsabilités. « La relation doit être professionnelle, collaborative et apporter du soutien. Il est essentiel que chacun respecte les délais et prenne en compte les préoccupations de l’autre, notamment l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Tout doit être décidé de manière collaborative, les préoccupations des doctorants étant prioritaires », expose Sohrab Faramarzi Oghan.
Gaëlle Deharo conseille de mettre au clair dès le départ quel type de travail doit être accompli : « Est-ce une thèse appliquée, répondant à une question concrète avec des données empiriques ? Ou souhaitons-nous mener un travail approfondi sur un concept ? Ce dernier est beaucoup plus difficile et demande un esprit de recherche très conceptuel. »
3. Communiquer ouvertement
« Il est nécessaire de savoir dire au doctorant quand les choses vont bien comme lorsqu’elles ne vont pas dans la bonne direction. Le doctorant, de son côté, doit être capable d’entendre ces remarques sans susceptibilité et dans une démarche scientifique », pose Gaëlle Deharo.
Antoine Altieri partage cet avis : « Il peut y avoir des désaccords sur les hypothèses et pistes de recherche à suivre. Ce n’est pas un problème, car il n’y a pas d’obligation à être d’accord, c’est sur la méthode qu’il faut s’accorder. Les directeurs de thèse sont aussi là pour apporter de la contradiction afin de tester la solidité des arguments. »
Pouvoir exprimer nos doutes, nos incompréhensions.
Côté doctorant, il est nécessaire de montrer ses difficultés et ses doutes. « Je conseille de bien préparer chaque entretien avec ses directeurs de thèse. Il ne faut pas chercher à tout prix à montrer que tout va bien ou que le travail avance parfaitement. L’intérêt des échanges avec un directeur est de partager ce qui ne va pas. En tant que doctorants, nous sommes tous un peu impressionnés au début, mais nous sommes là pour apprendre. L’intérêt de ces entretiens est de pouvoir exprimer nos doutes, nos incompréhensions, les livres que nous n’arrivons pas à trouver et les sources que nous n’arrivons pas à analyser », poursuit Antoine Altieri.
Pour que cette communication se passe sereinement, elle ne doit pas être descendante. « Les doctorants sont différents des étudiants en licence : ce sont des chercheurs à part entière, nos collègues. La relation n’est pas hiérarchique et il faut également prioriser leur parcours plutôt que la publication dans les meilleures revues. Ce travail commun permet souvent de maintenir des liens après la soutenance », souligne Reza Zanjirani-Farahani.
Comment réagir en cas de conflit entre les deux directeurs de thèse ?
Reza Zanjirani-Farahani et Sohrab Faramarzi Oghan ne se sont jamais retrouvés en conflit. « Le premier directeur de thèse, en l’occurrence Sohrab, prend les décisions et, si besoin, je donne mon avis », explique Reza Zanjirani-Farahani.
Sohrab Faramarzi Oghan estime que, même en cas de désaccords profonds, cela ne signifie pas la fin de la relation : « Certains conflits peuvent être résolus grâce à un engagement mutuel. Nous avons une procédure pour la prise de décision et essayons de faire uniquement des choix collectifs. Une communication ouverte permet de résoudre de nombreux conflits potentiels. »
4. Privilégier des échanges réguliers, au moins au début de la thèse
« Il est parfois difficile de savoir quand solliciter les directeurs de thèse. Il ne faut pas avoir peur d’agir de manière autonome sans les sursolliciter, ni les contacter uniquement pour les urgences. C’est un parcours long, donc il est important de prévoir des temps d’échange réguliers », prévient Antoine Altieri.
Le doctorant détaille : « Avec mes directeurs de thèse, nous n’avons pas de calendrier strict, mais je leur envoie deux types de mails : d’un côté, ceux qui les tiennent simplement informés de mes avancées et qui ne nécessitent pas forcément de réponse ; de l’autre, des mails plus urgents quand j’ai besoin d’un retour rapide. Dans ce cas, ils répondent très vite. Après chaque rencontre en présentiel, il est utile de fixer tout de suite un nouveau rendez-vous, cela aide à structurer les étapes suivantes, à donner une échéance. »
Quel rythme faut-il adopter ? Les réponses varient selon les interlocuteurs, pour Antoine Altieri, c’est tous les deux à trois mois. Gaëlle Deharo, elle, souligne l’importance de rendez-vous mensuels les premiers mois de la thèse.
« Au début, il est important de contacter son directeur de thèse chaque fois que l’on en ressent le besoin. Parfois, le simple fait de discuter permet de débloquer de nombreuses situations. Expliquer ses idées à quelqu’un permet souvent de mieux comprendre ce que nous voulons dire, de mieux exprimer les questionnements émergents », résume-t-elle.
Lors de la phase de terrain de la thèse, qui correspond généralement à la deuxième année, ces entretiens peuvent être plus espacés. « Mais dès que des résultats sont obtenus, il est crucial de les partager pour vérifier que nous allons dans la bonne direction », ajoute l’enseignante-chercheuse.
Reza Zanjirani-Farahani a, lui, une vision très exigeante de son devoir de disponibilité : « Je réponds à mes doctorants même s’ils m’écrivent en ligne à 21 h ou le week-end. Il est important d’être accessible sous 24 h et de donner des conseils spécifiques. »
Faut-il se limiter dans le nombre de thèse dirigées ?
Selon Gaëlle Deharo et Sohrab Faramarzi Oghan, pour bien accompagner des doctorants, il faut en limiter le nombre. « J’ai dirigé trois thèses, car j’ai volontairement limité le nombre de doctorants que j’encadre, ce qui n’est pas le cas de tous les chercheurs », indique la professeure d’ESCE BS.
Le professeur assistant de Rennes SB ajoute : « Nous enseignons et menons nos propres recherches en parallèle. Il doit y avoir un équilibre entre les différents services que nous proposons. Étant au début de ma carrière, avec peu de recherches personnelles établies, je pense qu’il vaut mieux ne pas encadrer plus de deux ou trois doctorants à la fois. »
5. Permettre à la relation d’évoluer au fil des années
La relation entre le directeur de thèse et le doctorant a évolué dans le temps. Ce à quoi les directeurs de thèse doivent s’adapter. « Auparavant, ce que disait le directeur était incontestable, mais aujourd’hui, les doctorants ont de plus en plus de mal à accepter de suivre le directeur de thèse quand celui-ci ne valide pas les données ou leur interprétation. Cette posture peut être positive quand elle ouvre de nouvelles pistes de recherche, mais quand c’est exacerbé, cela peut rendre la relation plus compliquée, notamment s’il y a une confusion entre opinion et démonstration scientifique », note Gaëlle Deharo.
Ce rapport change également au cours d’une même thèse. « Au début, les doctorants sont souvent timides et s’appuient entièrement sur leur directeur. Mais ils doivent progressivement s’émanciper. Le directeur de thèse reste un guide et un soutien jusqu’au dernier moment », observe la professeure.
Sohrab Faramarzi Oghan complète : « Avec le temps, il faut accompagner le doctorant dans la préparation de l’étape suivante. Ensemble, nous discutons des événements les plus pertinents pour sa carrière, et nous partageons nos réseaux avec eux. »
Ce suivi peut parfois dépasser le cadre strictement scientifique : « Nous ne sommes pas seulement là pour encadrer les doctorants sur le plan académique, mais aussi pour les soutenir sur le plan personnel, notamment face à un nouvel environnement qui peut nécessiter un soutien émotionnel. Lorsqu’un doctorant qui vient de l’étranger est arrivé en France, j’ai vérifié les horaires des trains et je l’ai accompagné de la gare à son logement, etc. », raconte Reza Zanjirani-Farahani.