Timing maîtrisé, prestige, valorisation : les points clés de la cérémonie de remise du doctorat
Par Marine Dessaux | Le | Doctorat
Tradition anglo-saxonne qui gagne du terrain dans les universités françaises depuis les années 2010, la cérémonie de remise du doctorat exige une programmation minutée. Sa maîtrise par les établissements s’affine au fil des promotions de diplômés. L’événement est aussi l’occasion de valoriser le doctorat.
Toge noire et mortier, long pompon — le « tassel » — et écharpe aux couleurs de l’université… Les docteurs sont prêts à récupérer le résultat d’au moins trois années de labeur intensives : leur diplôme de thèse, souvent obtenu à l’automne précédent, à l’issue de la soutenance.
Que ce soit au printemps ou en été, la cérémonie de remise du doctorat se déroule toujours plusieurs mois après la fin effective des études. Désormais chercheurs ou ayant opté pour une autre voie professionnelle, une partie de ces alumni ont changé de ville, voire de pays.
Malgré cet éloignement, le temps d’une soirée, en présentiel ou par le biais d’un live vidéo, les docteurs sont mis à l’honneur. « C’est le moment pour l’université de leur dire au revoir et de les remercier », rapporte Blandine Lacassagne, chargée de communication de l’Université de Bordeaux et responsable du pôle marque, image et conseil de l’institution.
Isabelle Fournier, vice-présidente en charge des affaires doctorales de l’Université de Lille, complète : « C’est un moment important et valorisant pour les jeunes docteurs, cela marque la reconnaissance de leur travail devant leurs pairs et les familles. »
Une organisation qui ne laisse pas de place au hasard
Avec entre 150 et 250 docteurs invités, accompagnés d’une à trois personnes, ainsi qu’une partie du corps professoral et des équipes des universités, les cérémonies de vœux sont des événements d’ampleur !
Dans les universités de Lille et PSL, c’est entre 400 et 500 personnes qui se sont réunies respectivement au Grand Palais, le 16 mars, et dans un amphithéâtre du campus de Dauphine, à Paris, le 14 avril. L’Université de Bordeaux a vu les choses en grand en invitant un millier de participants dans la salle de spectacle du Pin Galant de Mérignac, le 1er avril.
Le docteur en droit Alexandre Frambéry-Iacobone de l’Université de Bordeaux, aujourd’hui en post-doctorat, y assistait il y a quelques semaines : « L’expérience était très positive. Nous étions invités dans un très beau lieu avec un invité d’honneur prestigieux, le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin, dont je connaissais une partie des travaux. »
Gare aux cérémonies trop longues
Une fois tout le monde installé et passées les premières prises de parole, vient le temps pour les cohortes de monter sur scène, précédées d’un porteur de bannière symbolisant leur discipline. Chaque nom est égrené puis les docteurs récupèrent la copie symbolique de leur diplôme, enfilent l’écharpe satinée, serrent quelques mains et se font photographier…
Un moment critique pour la cérémonie qui peut vite s’essouffler. Alors pas question de perdre le rythme !
« Nous devons faire passer quatre docteurs en moins d’une minute, afficher leur nom et sujet de thèse via un diaporama en même temps que vient leur tour… Nous n’avons jamais dépassé 2 h 30 de cérémonie, détaille Blandine Lacassagne. Il est parfois difficile pour les parties prenantes de comprendre pourquoi un tel timing est nécessaire. Mais finalement tout le monde apprécie que l’organisation soit calée, chacun sait ce qu’il a à faire. »
À l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL), le format de la cérémonie des docteurs a évolué au fil des années : « La première était très longue. Les fois suivantes, nous nous sommes efforcés de raccourcir pour tourner autour de 2 h 10 cette année. C’est pourquoi nous avons décidé de ne pas avoir de grand témoin. Nous avons en revanche travaillé sur l’animation en faisant appel à de jeunes diplômées du Conservatoire national supérieur d’art dramatique-PSL », explique Émilie Bremond, responsable éditoriale de l’établissement.
Place au prestige !
Un moment solennel, mais aussi prestigieux, telle est l’ambition des cérémonies de remise du doctorat. Le décor joue son rôle : les docteurs bordelais n’avaient qu’à lever le nez pour observer une nuée de pompons bleus accrochés au plafond.
Côté musique, les styles divergent : l’Université PSL a opté pour un quartet de jazz jouant des morceaux de compositrices uniquement — un écho à la thématique de cette cérémonie « Femmes et sciences » —, à Lille c’est un chœur de Gospel qui apporte du rythme aux transitions, et à Bordeaux, une identité sonore a été développée avec Get a sound, le prestataire déjà sollicité pour réaliser la charte sonore de l’université. On peut aussi y entendre la musique de Game of Thrones au moment où les cohortes montent sur scène !
Enfin, un cocktail clôt chaque cérémonie. À l’Université de Bordeaux, les docteurs repartent avec leur écharpe, un sac contenant de petits cadeaux et des mots de remerciement du président de l’établissement et des directeurs d’écoles doctorales. L’Université de Lille a fait le choix d’offrir la toge et le mortier en souvenir.
Un budget réparti différemment selon les établissements
Malgré une grande partie de réalisation en interne, le budget reste conséquent pour l’organisation de tels événements. À Lille, la cérémonie rassemblait trois établissements : l’université, l’École centrale et l’Institut Mines-Télécom Nord Europe. « Nous étions autour de 50 000 €, un financement voté sur le budget recherche de l’université », dit Isabelle Fournier.
Pour l’Université de Bordeaux, « Le poste le plus important était celui de la location du Pin Galant et des services qui allaient avec : lumière, régie, etc. Venait ensuite le budget traiteur, la location des toges, l’achat des écharpes, la captation YouTube, le service de vestiaire par des hôtesses, la location de mobilier… Pour un total entre 90 et 95 000 euros. Le financement provient du budget du collège des écoles doctorales. », détaille Blandine Lacassagne.
L’Université PSL n’a pas souhaité communiquer de chiffre.
Événement d’inspiration américaine ou qui renoue avec la tradition ?
La résurgence des cérémonies des docteurs provoque des critiques sur le rôle de l’influence américaine dans un rite de passage pourtant hérité de pratiques européennes.
C’est en 2007 que l’Université Paris-Panthéon-Assas se fait remarquer pour l’organisation d’une cérémonie « à la Harvard ». Elle est suivie de plusieurs établissements jusqu’à aujourd’hui. Ces événements prennent de l’ampleur avec la fusion des universités. En 2018, les établissements publics expérimentaux de Lille et PSL (aujourd’hui sortie de l’expérimentation) tiennent leur première édition, suivie un an plus tard par l’Université de Bordeaux.
Pourtant, les cérémonies solennelles avec port de toges et mortiers, nés en Italie, étaient pratiquées en France depuis le Moyen Âge. Elles s’étaient arrêtées après mai 68. Peut-on alors parler d’un retour aux sources ? L’influence américaine n’est pas totalement absente, comme en témoigne le lancer de chapeaux en fin de cérémonie.
« La tenue donne un côté plus solennel. En France, nous ne sommes pas très cérémonie pour les remises de diplômes et c’est dommage, car c’est un moment important pour les étudiants, quel que soit le niveau d’études », défend Isabelle Fournier.
Valoriser un diplôme en perte de vitesse
La cérémonie des docteurs répond à un enjeu de communication : elle met en lumière les docteurs et leur expérience de thèse. « C’est un élément important pour promouvoir le doctorat : ces dernières années, nous avons observé une baisse du nombre d’étudiants intéressé par cette formation », expose Isabelle Fournier.
L’occasion également de « donner à voir la diversité de la recherche de l’établissement et consolider la communauté alumni », complète Théo Toussaint, responsable de communication et de promotion du doctorat de l’université bordelaise.
« Le doctorat peut être un exercice très solitaire, cette cérémonie permet de montrer l’appartenance à une communauté, estime Sandra Démoulin, directrice de la communication de l’Université PSL. »
Témoigner de l’expérience du doctorat
Et qui mieux que les jeunes docteurs pour parler de l’expérience de thèse ? À l’Université PSL, dans chaque cohorte — qui de façon originale sont pluridisciplinaires et constituées de représentants de l’ensemble des thématiques et établissements de PSL — un à deux docteurs prennent la parole.
« Même si cela pourrait être le premier réflexe, l’idée n’est pas de formuler des remerciements, mais plutôt d’aborder un sujet qui s’adresse à tous. Raconter un temps de découverte, de déconvenue ou encore partager son engagement. Une occasion, aussi, de s’entraîner à parler au grand public », énumère Émilie Bremond.
Une opportunité dans un contexte où l’exercice de médiation scientifique est de plus en plus exigé des chercheurs. Au total, six témoins de l’Université PSL se sont exprimés, notamment deux Iraniennes rappelant les conditions d’études compliquées pour les femmes dans leur pays. Mais aussi d’autres docteurs pour revendiquer leur amour de la recherche, revenir sur un parcours qui ne semblait pas prédestiné à la réalisation d’une thèse ou encore évoquer des conditions de travail compliquées pendant deux années de Covid.
Quelle place pour les docteurs étrangers ?
Pour inclure les docteurs internationaux qui ne sont plus en France, les universités de Bordeaux et PSL ont mis en place un live YouTube. « Plus d’un tiers de nos docteurs sont internationaux, c’est pourquoi nous avons maintenu le live instauré lors de la crise sanitaire. Cette réalité se ressent dans les commentaires sous la vidéo qui sont, pour beaucoup, en langues étrangères », remarque Théo Toussaint.
Ces internationaux ont également eu une place spéciale pendant la cérémonie avec la projection d’une vidéo. Ils y étaient interrogés sur le choix de l’université, mais aussi de la France. Un docteur béninois aveugle explique notamment avoir misé sur « de meilleures ressources » accessibles pour son handicap.
Enfin, les docteurs à distance ont pu se sentir présents d’une autre façon : en étant projetés sur un mur d’images de 4 par 4 mètres. On pouvait y voir les visages de 70 à 100 docteurs, filmés via leur webcam.